À l'écoute de la Parole de Dieu
Fête de l’Épiphanie 2/01/2022
Is 60, 1-6; Ps 71 (72) ; Ep 3, 2-6 ; Mt 2, 1-12.
Fête de l’Épiphanie de Dieu qui se manifeste à toute la terre. Bien, mais n’en restons pas là (nous y reviendrons) et méditons les textes proposés.
Le magnifique texte d’Isaïe qu’il faut lire et relire pour mieux le goûter, est un texte d’amour envers Jérusalem : « sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît », amour et espérance. Quelle Jérusalem pouvons-nous exalter à ce point ? Traditionnellement, on nous a dit qu’elle représente l’Église et ainsi ce poème adressé par Isaïe à Jérusalem serait une expression de notre amour de l’Église. Mais quelle Église pouvons-nous aimer ?
Et d’abord quelle Jérusalem pour Isaïe ? Quand le prophète qui a signé du nom de son prédécesseur, le grand Isaïe, écrit ce texte, Jérusalem est détruite, le Temple n’est plus, le peuple est à des milles de là en captivité et un petit nombre seulement espère revenir. Alors il ne peut s’agir que d’une Jérusalem idéalisée, la Jérusalem qui aurait dû toujours exister si elle n’avait trahi son Dieu, si elle ne s’était trouvée aux mains de faux-prophètes et de dirigeants corrompus, si son peuple ne s’était pas tourné vers les idoles du temps. Le prophète clame son amour de la Jérusalem qui doit renaître car il a gardé toute sa confiance en son Dieu. Cette « Jérusalem nouvelle », alors, attirera à elle tous les rois de la terre, « tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront [par ces dons] les exploits du Seigneur ».
Quelle Église pouvons nous célébrer, magnifier, aimer ? Déjà notre Église est divisée : catholiques, réformés, orthodoxes et combien encore de divisions internes ! Nos diverses obédiences sont aux mains d’institutions qui n’ont peut-être pas grand-chose à envier aux institutions juives de l’époque de la ruine de Jérusalem. Alors oublions les institutions, elles sont nécessaires, elles peuvent cacher des trésors de sainteté (même bien les cacher!), ce ne sont pas elles que nous pouvons célébrer. Même au-delà des institutions, notre Église, constituée de tous les chrétiens, n’est pas tellement admirable, chacun de nous sait bien à quel point il ne lui est pas fidèle. Comme le peuple Juif de l’époque de la destruction de Jérusalem, nous avons, nous aussi, nos idoles, nos propres corruptions. Alors ce cri d’amour pour l’Église s’adresse-t-il à une Église idéalisée, qui n’existe pas ? Dans quelle illusion serions-nous !
L’ Église que nous pouvons aimer, célébrer, ne peut être que l’ Église de Jésus-Christ, faite de tous ceux qui désirent le suivre, qui écoutent sa parole, vers qui Dieu est descendu par l’Incarnation et qui sont exhaussés pour devenir fils du Père parce que devenus frères du Christ. C’est l’Église de la Parousie, ou plutôt l’Église en marche vers la Parousie, habitée de tous ceux à qui le Christ a donné la Vie qui se mue en Vie éternelle.
« Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle...et je vis la Jérusalem nouvelle...prête comme une fiancée parée pour son époux. Et j’entendis une voix puissante qui disait “Voici la demeure de Dieu chez les hommes ; il demeurera avec eux et eux seront son peuple...Il essuiera toute larme de leurs yeux...il n’y aura plus ni deuil, ni gémissement, ni douleur, car le premier monde aura disparu”... Il me montra la Cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d’auprès de Dieu » (Ap 21, 1-4 ; 10).
C’est pour cette Église que nous pouvons déclamer ce poème d’amour d’Isaïe, nous croyons qu’elle adviendra, nous sommes tous appelés à la faire advenir. Et si nous pouvons ainsi nous exprimer à travers ce chant du prophète, alors nous serons inondés de joie.
Le psaume reste dans la même veine, Jérusalem est le Royaume, dirigé par un roi épris de la Justice de Dieu. Elle attirera à elle « tous les rois...tous les pays ». Avec ce petit rappel, « il délivrera le pauvre et le malheureux, il aura souci du faible et du pauvre », condition pour faire advenir cette Jérusalem nouvelle, le Royaume de Dieu.
Paul nous replonge dans ce que nous enseigne l’Épiphanie : ce sont toutes les nations qui sont appelées, « associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse ». L’Église n’a aucune frontière, elle est faite de tous ceux qui sont appelés. Les limites que nous lui donnons séparent ceux qui se savent appelés des autres, mais tous sont associés à l’héritage. Les non-chrétiens ne passent pas par nos chemins, cela ne les laisse pas sur le bord de la route. Ne nous vantons pas trop d’être « ceux qui savent », soyons déjà fidèles à notre chemin et restons ouverts à tous ceux, bien plus nombreux, qui en parcourent d’autres. Notre « Mission » est de témoigner de la Vie que nous avons reçue, et d’en témoigner en la mettant en pratique, elle n’est pas d’imposer notre chemin aux autres ou de les juger.
Enfin l’évangile nous raconte cette jolie histoire des rois mages. Ne revenons pas sur la signification universelle de ce conte, mais sur ce petit écrit :
« Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les
chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël ».
Bethléem est le berceau de la famille de David, Mathieu veut marquer que Jésus est de la lignée de David,il n’est pas hors sol. Jésus nous manifeste l’entrée de Dieu dans notre histoire. Devant prendre la tête du peuple, il ne pouvait pas descendre d’un autre que de David. Les temps sont accomplis, un descendant de David devient le Messie qui doit fonder la Jérusalem nouvelle.
Bien sûr il est écrit que les Mages repartent par un autre chemin pour éviter de dénoncer Jésus à Hérode, mais cette phrase finale peut signifier plus. Après avoir reconnu le don de Dieu en offrant eux-mêmes ce qu’ils avaient de plus précieux, en s’offrant eux-mêmes donc, ils ne repassent plus par les chemins ordinaires du monde ancien, il ouvrent une nouvelle route dans le monde nouveau qui advient.
Cette Épiphanie ouvre une nouvelle année, qui est pour nous l’année de toutes les inconnues, de tous les possibles. On ne sait ce que devient la pandémie qui atteint tout le monde, les malades, leurs familles, mais aussi la vie de tous les jours faite de restrictions, d’impossibilités, qui jette dans la pauvreté nombre de personnes, qui est un grand séparateur. On ne sait ce que donneront les élections qui engagent notre avenir : quelle société voulons-nous ? Fermée sur elle-même et protégée ? Ouverte avec tous les risques afférents ? Quelle place pour les autres, ceux qui ne sont pas de notre premier cercle, ceux qui viennent de très loin ? Les choix sont multiples, nous devrons les faire. Quant à l’Église catholique, elle a ouvert un synode qui peut faire un flop comme les précédents ou ouvrir un avenir (radieux?), là encore nous sommes engagés. Mais quel est notre amour de l’Église et que signifie-t-il ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ?
L’Épiphanie nous rappelle que Dieu se manifeste à tous, nous appelle tous.
À nous de répondre.
Marc Durand