Pour une décléricalisation radicale de l'Église catholique romaine
Dans le cadre des problèmes de pédophilie, et d’une manière générale des abus sexuels perpétrés par des prêtres, ce qui choque le plus, et qui est en même temps le moyen par lequel ces hommes ont pu commettre ces actes, c’est qu’ils sont les ministres du sacré, dans l’Église. C’est parce qu’ils sont, eux, un tout petit nombre, les seuls habilités à administrer les sacrements, qu’ils ont une telle autorité et un tel pouvoir.
Il est évident qu’ils en sont pour la plupart conscients ; il est évident qu’ils considèrent que leur rôle est un service, et que leur pouvoir s’accompagne d’une responsabilité d’autant plus grande. Mais cette concentration de l’administration des sacrements entre les mains d’un si petit nombre est-elle vraiment justifiée ? Pourquoi ne pourrait-on envisager une sorte de démocratisation de l’administration des sacrements ?
Nous avons bien déjà quelques exceptions : le sacrement du mariage, administré l’un à l’autre par les deux époux ; le sacrement du baptême qui peut, en cas d’urgence (danger de mort), être administré par n’importe qui (éventuellement même pas baptisé !) Concernant l’eucharistie, pourquoi seuls les prêtres seraient-ils habilités à consacrer les espèces ? Pourquoi tout chrétien, s’il a reçu la plénitude de l’initiation – tout chrétien confirmé –, ne pourrait-il pas en faire autant ? Qu’est-ce qui s’y opposerait fondamentalement, théologiquement parlant ?
Qui était présent à la Cène ?
Une analyse attentive et impartiale des évangiles oblige à considérer qu’il n’y avait pas que "les Douze" qui aient été présents au Cénacle pour l’institution de l’Eucharistie, mais que c’est l’ensemble des "disciples" qui y a pris part.
Manger la Pâque avec "mes disciples"
Les trois évangiles synoptiques sont d’accord, c’est avec "ses disciples" que Jésus avait prévu de manger cette dernière Pâque, au cours de laquelle il allait instituer le mémorial. Les récits ensuite peuvent différer, mais les trois nous ont conservé au moins cette intention, qui était celle de Jésus : cette dernière Pâque, il voulait la prendre avec "ses disciples", ce qui veut dire l’ensemble de ceux, femmes et hommes, qui le suivaient encore à ce moment-là, et non pas les seuls "Douze" :
« Le Maître dit : Où est ma salle où, avec mes disciples, je mange la pâque ? » (Marc 14, 14). « Le Maître dit : Mon temps est proche. Chez toi je fais la pâque avec mes disciples. » (Matthieu 26, 18). « Le Maître te dit : Où est la salle où, avec mes disciples, je mange la pâque ? » ( Luc 22, 11)
Et c’est normal : ces disciples, qui suivent encore Jésus en ces temps proches du dénouement, sont des personnes qui ont quitté leur famille, leurs proches, et qui se retrouvent là à Jérusalem sans personne avec qui partager ce repas, communautaire par excellence, qu’est la Pâque. Et Jésus les aurait laissé tomber, pour un repas qu’il n’aurait pris qu’avec les Douze ? Ceci ne colle pas du tout, ni avec tout ce que nous savons de sa personne, ni avec son enseignement.
Une grande salle à l’étage
Matthieu n’a pas conservé les termes utilisés par Marc pour caractériser cette salle, pourtant si importante par la suite pour que nous lui ayons donné un nom spécifique : le Cénacle. Heureusement Luc, lui, est resté fidèle à Marc, ce qui nous permet d’être à peu près certains de la réalité historique de ce qui nous en est dit.
En Marc 14, 14 et Luc 22, 11, le mot grec traduit par ma ou la "salle" désigne normalement plus précisément une salle d’auberge ou d’hôtel (c’est le mot utilisé aussi par Luc en 2, 7, à la nativité, quand il est dit que la "salle de l’auberge" n’était pas un lieu convenable pour accoucher). Puis Marc (14, 15) et Luc (22, 12) poursuivent en disant que va être montrée aux disciples une "grande salle en étage". L’idée est donc celle d’une grande salle, qui a été réservée à l’avance, et qui se situe à l’étage d’une auberge ou d’un hôtel. Comment ne pas penser à une salle de noces ou de banquet ?
Et une telle salle n’aurait été réservée que pour treize convives ? La tradition, pourtant, considère que c’est dans cette même salle que, après la Résurrection, "les disciples" resteront jusqu’à la Pentecôte, et, selon Actes 1, 15, s’y trouveront réunies, au moins une fois, environ 120 personnes…
"C’est un des Douze"
Mais, s’il en est besoin, il y a encore ceci. Une fois le repas commencé, Jésus annonce qu’il va être trahi : « Amen, je vous dis, un de vous me livrera » (Marc 14, 18 ; Matthieu 26, 21). Chacun de ceux qui sont là en est peiné, et s’inquiète auprès de Jésus : « Ce n’est pas moi ? » (Marc 14, 19 ; Matthieu 26, 22). Alors Jésus leur répond : « C’est un des Douze ! » (Marc 14, 20).
Si seuls les Douze étaient présents, cette réponse de Jésus n’aurait pas de sens : il viendrait de leur dire, aux Douze, que l’un d’eux va le trahir, et il leur redirait maintenant, mais en s’adressant à eux à la troisième personne, ...la même chose ! C’est incompréhensible : l’un de vous (les Douze) va me trahir, et celui-là c’est l’un des Douze ; Jésus radote-t-il ?
Par contre, si les personnes présentes sont effectivement nettement plus nombreuses que les seuls Douze, alors tout devient logique et cohérent : Jésus annonce à tous la trahison, et devant les inquiétudes générales qu’il a soulevées, il précise que c’est l’un des Douze ; les autres peuvent se rassurer !
Pour un retour aux sources
Des femmes prêtres ?
Il apparaît donc que ce n’étaient pas que "les Douze" qui étaient présents à l’institution du mémorial, mais "les disciples" dans leur ensemble. Ce sont toutes les personnes, femmes et hommes, qui vont constituer la première Église, les mêmes qui vont recevoir l’Esprit à la Pentecôte, qui prennent déjà part au premier repas eucharistique, et qui s’entendent dire par Jésus : « Cela, faites-le en mémoire de moi » (Luc 22, 19).
Bien sûr tombe ainsi l’argument essentiel opposé par le magistère à l’ordination de femmes à la prêtrise. Mais c’est peut-être à une révision plus radicale du sacerdoce que nous sommes tous appelés, femmes et hommes. Le sacré ne serait-il pas chose trop importante pour n’être laissé qu’entre les mains d’un tout petit nombre ?
Concernant au moins l’eucharistie – mais en réalité aucun sacrement n’existe qui ne s’enracine en celle-ci –, c’est l’ensemble de la communauté – au moins l’ensemble de ceux qui ont reçu la plénitude de l’initiation chrétienne – qui fait mémoire. Et c’est cet acte de mémoire de toute la communauté, agissant in persona Christi, qui rend présents le corps et le sang de Jésus sous les espèces du pain et du vin, et non le fait qu’un homme seul ait été censément habilité à le faire.
Et les Douze dans tout ça ?
Historiquement parlant, il semble difficile de douter que Jésus ait effectivement créé, dans les premiers temps de son ministère public, un groupe de douze personnes, ce nombre de douze faisant sans aucun doute référence aux symboliques douze tribus d’Israël. Ce qui est moins évident, c’est que Jésus ait continué d’accorder la même importance à ce groupe, au fur et à mesure de l’avancement des événements.
Il est en effet non moins certain que cette référence aux douze tribus empoisonne, et emprisonne Jésus, dans une lecture politique et terre-à-terre de sa dimension messianique. On sait comme il a dû se défendre des attentes, pour le moins trivialement nationalistes, de ses disciples, y compris – ou particulièrement ? – des Douze, qui se voyaient déjà chacun comme son lieutenant, à la tête d’une tribu, et se disputaient pour savoir qui serait le premier ministre du futur gouvernement…
On sait aussi, d’autre part, que la soi-disant succession apostolique à partir de Pierre et des Douze est un mythe. Il n’y a pas eu, dans les débuts, une Église, un arbre, mais une forêt, un foisonnement de communautés et de lectures et d’interprétations diverses de l’histoire et de la personne de Jésus. Ce n’est que plus tard, au gré de la constitution d’un mouvement majoritaire, par normalisation et uniformisation des différents courants, qu’a été inventée cette idée de succession en droite ligne depuis les Douze.
Le temps du renouveau ?
Les premiers chrétiens n’avaient pas de lieu de culte, ils se réunissaient au domicile de l’un ou l’autre membre, en groupes restreints. Ils partageaient leurs joies et leurs peines, ils lisaient les Écritures et se racontaient l’histoire des actions et des paroles de Jésus, tout en prenant ce qu’ils appelaient le repas du Seigneur. Si le maître de maison pouvait éventuellement présider à ce repas, ce n’était que par convention sociale ou facilité, en aucun cas une nécessité pour que le repas soit considéré comme "valide".
De nos jours, les lieux où les chrétiens vivent le plus profondément la communion fraternelle sont de petites équipes, affiliées ou non à tel ou tel mouvement. Dans ces équipes, ils vivent un partage et une solidarité de vie et ils se réfèrent à la Parole de Dieu. Par contre, ils ne peuvent pratiquement jamais partager le pain et le vin, car il est rare qu’un prêtre soit présent à leurs réunions, si tant est que cela puisse même seulement arriver parfois.
L’organisation hiérarchisée de l’Église s’est faite au nom d’un principe d’unification de tous les chrétiens sous une seule bannière, mais cet objectif était-il, est-il encore, cohérent avec ce que Jésus lui-même aurait souhaité ? On peut en douter, si on se réfère à cette anecdote particulièrement opportune, de l’homme qui chassait les démons au nom de Jésus, alors qu’il ne faisait pas partie de ses disciples "officiels" (Marc 9, 38-40 ; Luc 9, 49-50) Les dits disciples ont voulu le faire cesser, mais Jésus les a désapprouvés : « Ne l’empêchez pas ! Qui n’est pas contre vous est pour vous. » L’unité en Christ ne signifie pas uniformisation, pas plus que la diversité ne doive être comprise comme division !
In fine
Le récit des pèlerins d’Emmaüs par Luc est généralement considéré comme un symbole de l’eucharistie : les disciples racontent leur vie, tout ce qui vient de leur arriver – leurs espoirs passés et leur déception –, puis ils relisent avec Jésus les Écriture – ils approfondissent leur foi –, et enfin il leur partage le pain. Alors leurs yeux s’ouvrent, ils réalisent que leurs cœurs étaient tout brûlants tandis qu’ils conversaient, et ils repartent aussitôt, regonflés à bloc, prêts à témoigner de la présence du ressuscité.
C’est à Jésus qu’ils confient leur histoire, c’est Jésus qui les éclaire à partir des Écritures, et c’est encore lui qui se donne à eux dans le pain partagé, sans conditions, sans intermédiaires.
Cela n’exclut pas que nous puissions avoir besoin d’organisation, de structures, voire de discipline, mais nous devrions en désolidariser la vie sacramentelle. Le sacré vient de Dieu, quand l’institution vient des hommes : les deux ne sont pas du même ordre. Le premier est vital pour nous, et devrait donc nous être le plus largement accessible, en toutes circonstances. La seconde, elle, doit lui rester ...secondaire !
Anon