A l'écoute de la Parole de Dieu
Fête de la Toussaint
Ap 7, 2-4.9-14. Ps 23 (24) 1-6. 1Jn 3, 1-3. Mt 5, 1-12a.
Fête de la Toussaint, de « tous les saints », mais Dieu seul est saint ! Depuis la nuit des temps il y a confusion entre « sacré » et « saint ». L’homme sacralise un objet ou une personne pour l’offrir au dieu et ce sacré devient un intermédiaire entre lui et ce dieu. Le sacré est alors fait tabou ainsi que ce qui s’y rapporte (dans le temps il était interdit à un fidèle de toucher calice ou ciboire qui étaient destinés à contenir l’objet sacré par dessus-tout, l’hostie et le vin consacrés). Lorsqu’il s’agit d’un homme qui est consacré, sa nature change, il devient tabou, lui aussi, et ne peut descendre de son piédestal (sacerdos in æternum)… On sait ce qui s’en est suivi !*
Renonçons ici au sacré pour méditer sur la sainteté.
Que signifie ce mot « saint » ? Il est le qualificatif de Dieu. Considérer la sainteté de Dieu, c’est entrer dans le mystère divin et de sa communication avec les hommes. Dieu est le « Saint d’Israël », le peuple est appelé à « sanctifier » Dieu (ou à le « craindre », la crainte signifiant l’infini respect devant Yahvé dont on ne peut même pas prononcer le nom, on retrouve la sacralité, sacralité du nom cette fois). Le sanctifier, c’est se mettre en sa présence en reconnaissant son être divin**, son inaccessibilité car il est au-delà de nous. Mais il veut aussi être avec nous : « Au milieu de toi [mon peuple] je suis le Saint » (Os 11, 9). Et Yahvé sanctifie son peuple, c’est-à-dire se l’approprie : il est le Saint d’Israël, lui-même sanctifié par la volonté de Dieu et lui appartenant. Dieu en est la force, le fondement. Tout le premier Testament tourne autour de cette réalité, comment traduire en actes cette sanctification du peuple.
Jésus est conçu du Saint Esprit qui, lors de son baptême, descend sur lui.
Le Père lui a dit :
« Tu es mon Fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré » et
« Tu es prêtre de l’ordre de Melkisedek, pour l’éternité » (He 1, 6, lu le dimanche 24 octobre).
Il est donc sanctifié, personnellement, introduit dans la vie de Dieu pour nous y inviter. Au cours de sa vie, ses miracles ne sont pas un signe de puissance mais de sainteté, c’est Dieu qui sauve par son intermédiaire. Jésus est :
« issu selon la chair de la race de David, et selon son esprit de sainteté établi dans la puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, Jésus-Christ, notre Seigneur » (1, Rm 1, 3-4).
La « glorification » (que nous chantons par exemple dans le Gloria) est la proclamation de la sainteté, de la reconnaissance de l’être de Dieu. Jésus est bien devenu le Saint de Dieu :
«Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie » (Jn 17, 1)
puis
« Je me sacrifie moi-même [en me donnant tout au Père] pour qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés en vérité » (Jn 17, 19).
On est alors passé de la sainteté du Dieu du ciel (son « être » même) à celle de Jésus attestée par sa résurrection, et finalement à celle des hommes
« saints dans le Christ Jésus et appelés à être saints » (1 Cor 1, 2).
Les temps messianiques ont été ouverts par la résurrection et les hommes sont
« lavés, sanctifiés, justifiés par le Nom du Seigneur Jésus-Christ et par l’Esprit de notre Dieu » (1 Cor 6, 11).
Il n’y a qu’un événement fondateur de notre sainteté : la mort de Jésus (don total de sa personne) intimement liée à sa résurrection avec son retour vers le Père (Ascension) et à l’envoi de l’Esprit de la Pentecôte. Tout le mystère chrétien consiste à nous faire saints, c’est-à-dire à vivre de la vie du Dieu trinitaire, dans l’unité de son amour.
Mais tout n’est pas gagné ! Nous sommes libres de l’accepter ou pas. Ce qu’on appelle ordinairement la sainteté des hommes est seulement le fait d’une vie essayant de se déployer dans cet amour, conséquence de notre sanctification, ce don gratuit. Nous ne gagnons pas la sainteté par nos œuvres, elles en sont une conséquence, et le signe, guidées par l’Esprit qui vit en nous.
Si nous reprenons les premier et second Testaments, ils se révèlent être un appel constant à reconnaître la sainteté de Dieu, le reconnaître tel qu’il est, et à accepter cette proposition qu’il nous fait de sanctification, c’est-à-dire de vie dans son amour. Quand nous célébrons l’Eucharistie, nous ne participons pas à un geste sacré, magique, de transsubstantiation, nous rendons grâces en « glorifiant Dieu », ce qui signifie le reconnaître, en nous mettant à son écoute. Nous bénissons le Christ qui s’est donné à nous en nous partageant le pain et le vin. Nous partageons alors la vie qu’il nous offre, partage signifié par celui de la Parole, puis du pain et du vin, partage dans lequel nous reconnaissons la présence du Christ. L’Eucharistie est un geste de sanctification, et alors
« Jésus sera glorifié [reconnu pour ce qu’il est] dans ses saints » (2 Th 1, 10).
Revenons alors aux textes proposés en ce jour. Celui de l’Apocalypse décrit la « glorification » de Dieu par l’immense foule des hommes (et non par quelques privilégiés, un petit nombre qui seraient « nos saints »). Dieu n’a pas besoin d’être glorifié, cette attitude de l’immense foule est tout simplement la reconnaissance par elle de qui est Dieu, reconnaissance qui l’introduit elle-même dans cette vie divine. C’est par exemple ce que nous
chantons dans les hymnes divers.
Le psaume rend grâce pour cette invitation de Dieu aux hommes qui en retour leur demande de s’y préparer :
« Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes ».
Saint Jean, dans sa lettre, nous rappelle que
« dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté »,
texte d’espérance donc, pour tous. Enfin le texte des béatitudes que nous lisons en cette fête nous donne un programme, un chemin qui peut nous guider dans notre recherche pour vivre dans l’Esprit. Alors nous serons « heureux », terme répété à chaque scansion, 9 fois, avant le final
« soyez dans la joie et l’allégresse ».
Nous célébrons aujourd’hui la sainteté des hommes, l’appel qu’ils ont reçu à cette vie en Dieu en recevant l’Esprit Saint qui les fait vivre, et le bonheur qui en découle :
« La communion du Saint Esprit soit avec vous » (2 Cor 13, 13).
Marc Durand
* Jésus s’est appliqué à désacraliser, les chrétiens se sont empressés de re-sacraliser tant est fort le besoin des hommes de définir du sacré qui organise leur vie, l’oriente, la structure. Alors que Jésus avait désacralisé le sacerdoce juif et que les Juifs eux-mêmes avaient renoncé au grand-prêtre après la destruction du temple (le saint des saints était sacré), deux ou trois siècles plus tard les chrétiens sont revenus en arrière et ont institutionnalisé le sacerdoce, consacrant ceux qui feront des gestes sacrés et les rendant sacrés eux-mêmes. Cela en contradiction avec l’épître aux Hébreux pour laquelle Jésus est le seul grand-prêtre, intermédiaire entre le Père et les hommes. Si nous sommes alors un peuple de prêtres, c’est dire que nul autre n’a une place privilégiée d’intermédiaire entre Dieu et nous, n’a une place de grand-prêtre.
** La philosophie butte quand il s’agit de « l’être » de Dieu. Dieu est du domaine de la possibilité de l’impossibilité, le mot « être » n’est pas adéquat. La théologie prend alors le relais, et au lieu d’évoquer « l’être » de Dieu, la Bible parle de sa « sainteté » pour le définir. Ce qui est nouveau avec le second Testament, est que cette sainteté est offerte à l’homme en le faisant « fils de Dieu », don déjà annoncé dans le premier par les prophètes.