À l'écoute de la Parole de Dieu
24eme Dimanche du T.O. Année B 12/09/2021
Is 50, 5-9a ; Ps 114 ; Jc2, 14-18 ; Mc 8, 27-35
C’est l’heure de vérité pour Pierre et… pour nous, le moment des colères de Jacques, de Pierre et de Jésus qui font avancer.
Dans l’Épître (Jc 2, 14-18) Jacques interpelle chaque membre de sa communauté : « comment se comporter vis à vis des pauvres ? causer ou agir » ?
Dans l’Évangile (Mc 8, 27-35) Jésus pose à ses disciples et à nous tous la question fondamentale : pour vous qui suis-je ? Pierre s’oppose à Jésus et se fait vertement remettre en place :« Arrière de moi Satan ! ».
Regardons de plus près ces situations violentes :
Dans la deuxième lecture (Jc 2, 14-18), Jacques s’en prend vertement à certains fidèles qui, en déformant la pensée de Paul sur le primat de la foi, affirment : l’essentiel de la Bonne Nouvelle apportée par Jésus serait la « foi » reçue comme un don de Dieu et que la pratique des « œuvres » est inutile. Dimanche dernier, avec la même colère, Jacques avait critiqué durement les membres de sa communauté qui accueillent, avec tous les honneurs, un homme important « aux vêtements rutilants » et relèguent un pauvre « au bas du marchepied » ! Ici à nouveau, il dénonce les belles paroles non suivies d’actes envers ceux qui sont dans le besoin. Or la foi sans les œuvres est une foi morte.
L’Évangile (Marc 8, 27-35) marque un tournant dans l’évangile de Marc (1). Après des débuts de Jésus où l’accueil est mitigé, la foule, séduite par ses miracles, porte sur lui des avis différents et le prend pour « Jean Baptiste, Élie ou un des prophètes ». Les pharisiens, sadducéens et légistes sont de plus en plus hostiles à la personne de Jésus, pour sa prétendue intimité avec Dieu. Jésus pose alors à ses disciples une question directe, non plus générale (Que dit-on ?), mais « Pour vous, qui dites-vous que je suis ? » Pas d’échappatoire possible. La réponse jaillit du fond du cœur de Pierre : « Tu es le Christ » (2). Il formule l’espérance traditionnelle d’un Juif pieux (3) : Dieu devait libérer son peuple, en envoyant un Messie qui établirait son royaume et libérerait le peuple d’Israël de ses envahisseurs romains. Aussi quand Jésus annonce un programme de souffrance, de rejet par les anciens, les grands prêtres, les scribes, les autorités du peuple, sa mise à mort et trois jours après sa résurrection, Pierre explose car ce n’est pas son projet pour Jésus. Il rêve de libération politique et de bonnes places pour « la bande à Jésus ». Or Jésus annonce souffrances et mort ! Comme les frères de Jésus (Mc 3,21) Pierre a dû penser que son maître « déraillait ». Il le rabroue (l’engueule(epitiman) (4). Furieux, Jésus « rabroue » (epitimav) Pierre, publiquement devant se disciples « en le jetant dehors » et « en le traitant de Satan ».
Les termes sont très violents : normalement le disciple doit « suivre » (akoloutheiv) ou « marcher derrière Jésus » (5). Ici, Jésus chasse Pierre. Mathieu utilise la même expression lors de la troisième tentation au désert quand Jésus chasse Satan (Mt 4,10). Cette scène est à rapprocher de celle avant la Passion (Lc 22, 31-32) où les disciples se querellent au sujet de savoir qui est le « plus grand » et se disputent les premières places quand Jésus aura établi son royaume (Mc 10, 35-42) : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous secouer dans un crible comme du blé. Et moi j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne disparaisse pas... Et toi quand tu seras revenu affermis tes frères ». Pierre avec la même spontanéité, comme si l'expérience ne lui avait rien appris, lui répond qu'il est prêt à mourir pour Jésus. Avec la même violente tendresse, Jésus lui prédit : « Je te le déclare, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd'hui que tu n'aies par trois fois nié me connaître ». Comme dans la séquence précédente, Pierre tombe de très haut.
Ces textes, fondamentaux pour la première communauté chrétienne, le sont aussi aujourd’hui pour nos communautés et pour chacun de nous.
D’abord concernant la foi : « Pour vous qui suis-je ? » La question directe ne demande pas de réponse générale en « on » mais en « je ». Jésus est-il un grand homme qu’on admire ou le Fils de Dieu, mort et ressuscité, que nous voulons suivre ? Ces textes nous appellent à l'humilité et à la confiance : même le premier des apôtres a plusieurs fois « failli » en se trompant « sincèrement » dans ses représentations (un Messie triomphant au lieu d’un Messie crucifié et ressuscité) et dans sa pratique (il reniera Jésus). Comme Pierre, ne nous étonnons pas de nos propres doutes, de nos hauts et bas, de nos trahisons.
Ce n'est pas la confession de foi à un instant T qui compte, mais le cheminement de la foi. Pierre, après sa trahison, donnera sa vie pour le Christ et réalisera la promesse du Christ : « Celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera ». Maurice Bellet, commentant ce passage de la confession de Pierre, parle de « l'illusion de la foi ». Quand Pierre dit « Tu es le Messie », il est sincère et dit quelque chose de vrai pour lui. Mais il est dans l'illusion, « à côté de la plaque », très loin de la réalité énoncée par sa confession.
De même, lorsque nous confessons « le Christ mort et ressuscité Fils de Dieu », nous sommes dans le vrai et en même temps dans l'illusion, car la réalité visée nous échappe. La foi est un cheminement de vie et non pas d'abord un accord intellectuel à un dogme. Ces textes nous montrent aussi combien des échanges musclés entre nous sur la foi peuvent nous aider à dépasser l'illusion du moment, en sachant que ce dépassement n'est que provisoire et toujours à refaire. N'ayons pas peur de dire nos doutes, d’expliciter les reproches que nous ferions, nous, à Jésus et d’entendre, par personnes interposées les reproches qu’il pourrait nous faire.
Concernant notre pratique, entendons Jacques nous demander : est-ce que, vis-à-vis de ceux qui sont dans le malheur, tu « causes » ou tu agis ?
Antoine Duprez
(1) Cette scène se retrouve dans les quatre évangiles et a très probablement une base historique dans la vie de Jésus. Mais les versions sont très différentes. Mathieu (16, 31…) a la version la plus longue : « Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Jésus lui fait un éloge public : « Heureux es- tu Simon, fils de Jonas, car ce n'est pas la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est aux cieux… Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église et les puissances de la mort n'ont pas de force contre elle. Je te donnerai les clés du royaume. » C'est l'éloge le plus beau que Jésus puisse faire à un homme. La théologie catholique ne cesse d'utiliser ce texte, notamment vis-à-vis des frères séparés. Or ce texte, d'après John Meier « se comprend mieux comme une scène qui se trouvait originellement dans une situation post pascale et que Mathieu ou sa tradition ont rétro-projeté dans le ministère public » (Un certain juif Jésus, t. 3, p. 172).
(2) L’Évangile de Marc contient très probablement la réponse historique de Pierre plus que celle de Matthieu 16 .
(3) Déjà Isaïe, dans les chants du serviteur, avait pressenti un serviteur souffrant dont la première lecture (Is 50, 5-9a) montre le disciple parfait qui malgré ceux qui le frappent, les outrages et les crachats, garde sa confiance entière en son Dieu et sauvera ses frères.
(4) Le verbe grec epitimao a le sens d’« enjoindre » (Mc 8,30) mais aussi de « rabrouer » (en langage courant d’« engueuler »), comme en Mathieu 19, 13, quand les disciples « rabrouent » les enfants qu’on présente à Jésus. Quand on sait le sort réservé aux enfants en Palestine à cette époque, le contraire de « l’enfant roi » actuel, et le tempérament violent de Pierre, Jacques et Jean, la traduction « engueuler » semble la plus proche de la réalité ; c’est dire la violence de la réaction de Pierre, vis-à-vis de Jésus et celle de Jésus vis-à-vis de Pierre : le même terme est utilisé dans les deux cas.
(5) En poursuivant une traduction populaire le upage opiso peut se traduire « fous le camp » (le « raus » allemand). Jésus sort de ses gonds.