La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

Publié le par Garrigues et Sentiers

La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

Entre les snacks et le PMU de Saint-Louis, le passant remarque à peine sa proue à l'ange ailé ou ses allures de barques byzantines. À la rigueur, on la voit mieux depuis le toboggan de l'A7 juste après la passe des Aygalades. De loin, les ailes de son clocher dominent comme les deux doigts tendus d'un hard-rocker perdu.

À son fronton, un logo du ministère de la Culture signale l'édifice comme bénéficiant du label Architecture remarquable contemporaine, précédemment intitulé « Patrimoine du XXe siècle ». Il fait partie de ces splendeurs bétonnées méconnues qui jalonnent la ville. Certaines ont droit au classement de l'Unesco, d'autres restent dans l'ombre, recluses dans leur fonction et souvent aussi dans l'oubli. L'église Saint-Louis est de celles-là.

Sa situation de retrait tient aussi de sa position urbaine : elle est posée un peu de guingois sur le chemin de Saint-Louis-au-Rove (15e arrondissement). La faute au terrain légué par une société industrielle dont les hauts-fourneaux étaient situés non loin. De cette parcelle contrainte, l'architecte Jean-Louis Sourdeau a tiré le meilleur : le frontispice surmonté d'un Christ en croix monumental est posé à côté de l'entrée, qui précède elle-même le clocher, comme une église démontée.

La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

Une église créée « au milieu d'une masse populaire indifférente »

L'ère automobile achève de noyer l'édifice dans un flot de véhicules, drainé par les ronds-points qui font la bascule entre le vallon des Aygalades et celui de Séon. L'église est posée là comme un surf immobile saisi dans l'ascension de la falaise de tuf. « L'intention de l'architecte était clairement de s'inspirer de la forme du navire avec la proue que figure le clocher et la forme ronde de la coupole », explique Jean-Claude Gautier, ancien conseiller pour le livre et la lecture de la DRAC qui a dirigé un récent ouvrage consacré à la construction de l'édifice (1), « mais ce qui devait frapper le plus à l'époque de sa construction en 1935 est qu'elle devait être entourée des cheminées d'usines ».

Dans les années 1930, l'Église catholique est en reconquête de ces terres ouvrières. En 1934, l'évêque Maurice-Louis Dubourg écrit dans une lettre pastorale : « Perdus au milieu d'une masse populaire indifférente, nous devons être des missionnaires dans cette masse. Et si nous voulons des conquêtes, nous devons marcher unis ». Les quartiers Nord sont alors peuplés de travailleurs venus de tout le pourtour méditerranéen : Italiens, Espagnols et Kabyles. Alors que le Parti communiste fédère nombre d'entre eux dans des grèves dures, l'Église doit tenir son rang pour ne pas perdre trop de terrain. Elle édifie de nouveaux lieux de culte en remplacement de ceux exigus qui jalonnaient les noyaux villageois. On ne connaît pas les donateurs qui ont financé son édification. Leurs noms étaient peints à l'entrée du lieu et ont été effacés par le temps. Pour reconstruire la mémoire de ce chantier, Jean-Claude Gautier a dû combattre contre la force de l'oubli, puisant dans les travaux universitaires, s'appuyant sur le travail de l'association Ancrages ou le savoir historique de Christine Breton ou de Lucienne Brun.

 

De grands artistes venus d'ailleurs

Les bulletins paroissiaux constituent une des principales sources pour comprendre l'histoire du lieu. Peu de traces dans les archives de la commande passée à l'architecte, du choix du sculpteur toulousain Carlo Sarrabezolles ou du peintre voyageur Jac Martin-Ferrières pour le chemin de croix.

En bibliophile averti, Jean-Claude Gautier a donc épluché les exemplaires de La Croisade, le bulletin de Saint-Louis. « On dit souvent que les bulletins paroissiaux sont ennuyeux et c'est pourtant là que j'ai trouvé le plus d'informations », sourit-il. Le nom du feuillet est lui-même une référence au roi qui aurait donné son nom au quartier. Il aurait fait du lieu une étape dans son retour des croisades desquelles il aurait ramené la couronne d'épines du Christ. On retrouve ce symbole dans les mains de l'ange, suspendu en luminaire en ferronnerie au milieu du dôme ou scellé dans les angles de la nef. Les différents vitraux en pavé de verre reprennent cette symbolique. On y trouve plusieurs bateaux et un croissant surmonté de la croix, sous-titré Tunis, lieu de mort du roi de France. Comme le chemin de croix aux allures de plan séquence graphique, les vitraux viennent enrichir la singularité du lieu.

La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

Mais ce sont les deux dessins sur papier marouflé de part et d'autre de l'autel qui frappent le visiteur. Ils reprennent l'iconographie ouvrière des années d'après-guerre. 

La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

D'un côté un marin tirant son bateau comme un Christ en croix.

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De l'autre, des travailleurs de tous les continents aux yeux curieusement bridés. « Il s'agit d'agrandissements de dessins parus dans le calendrier de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, raconte Jean-Claude Gautier, « ils témoignent d'une tendance très ancrée à Marseille d'un catholicisme ouvrier, né dans ces quartiers, à l'après-guerre»

La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

À l'entrée de l'église, une stèle rend hommage à un prêtre ouvrier, André Bergonnier, mort d'un accident du travail sur le port de Marseille. Cette tradition des prêtres travailleurs est née un peu plus bas, à la Cabucelle, sous l'impulsion de Jacques Loew, lui-même prêtre et docker. Mais l'église de Saint-Louis a également été le réceptacle de mouvements militants autour de la question de l'habitat comme le mouvement des squatteurs ou celui des Castors, né lui aussi à la Cabucelle.

 

La présence ouvrière

Mis à part quelques images, l'église elle-même ne conserve rien de cette histoire militante. Les grandes affiches partent peu à peu en lambeaux. Et la mémoire se perd. « Il reste très peu de choses de ce passé chrétien ouvrier qui a disparu en même temps que les ouvriers eux-mêmes », constate Thomas Sépulchre, vicaire de l'église. « Cela reste des quartiers populaires très marqués par l'immigration avec, aujourd'hui, une forte composante musulmane ». La communauté a rétréci au fil des décennies.

Une bonne part de cette solidarité particulière au Nord marseillais s'est exprimée dans les tréfonds bétonnés de l'église. Accessible par une entrée aux portes en alu moches, la crypte a longtemps été la salle paroissiale. De même dimension que l'église, elle est aujourd'hui à l'abandon, faute de répondre aux normes d'accessibilité. Elle est encombrée de chaises, de vieux meubles. Une petite scène au rideau rouge témoigne du temps où les spectacles du catéchisme côtoyaient les réunions politiques ou syndicales.

La mémoire ouvrière oubliée de l’église Saint-Louis de Marseille

On imagine les familles de sans-logis organisant les squats, les réunions de bâtisseurs, apôtres de l'autoconstruction, préalables à la naissance de lotissements entiers. Le lieu sent aujourd'hui le renfermé et l'abandon. Jadis, il a senti la sueur et le cuir puisqu'un club de boxe y avait élu domicile. Un champion d'Europe, Roger Gambini, s'y est entraîné.

« J'ai mis huit ans pour raconter les années de construction de l'église. Il faut désormais construire la mémoire de l'histoire qui a suivi. Cette histoire reste à écrire », « J'ai mis huit ans et non sans mal à réunir les contributeurs et la documentation pour raconter les années de construction de l'église » convient Jean-Claude Gautier. « Il faut désormais construire la mémoire de l'histoire qui a suivi ». L'église de la reconquête des années 1930 apparaît maintenant un peu grande, face à la réalité de sa fréquentation. Et son béton si moderne bien fragile, un siècle après, alors que la question de sa conservation se pose avec acuité.

Fragile béton

L'église Saint-Louis est aujourd'hui malade. Une purge de la façade a été réalisée par les marins-pompiers après l'effritement d'un de ses angles. De la même façon, des feuilles de bitume qui isolent le dôme ont fondu et se décollent sous l'effet de la chaleur. De plus, l'église n'est pas réalisée uniquement en béton mais celui-ci sert de parement à une construction en briques.

Ayant été construite après 1905, elle est propriété du diocèse. L'évêché a donc procédé à une étude complète de la bâtisse par une architecte du patrimoine. « La conclusion de l'étude est qu'il s'agit d'un béton de mauvaise qualité »lâche le vicaire Thomas Sépulchre. « Comme souvent avec les bâtiments de cette époque, il était fait pour durer 100 ans, pas plus. Or la date anniversaire approche ». Le prêtre évoque une facture à plusieurs millions d'euros que le diocèse ne pourrait pas assumer seul.

Benoît Gilles


Source : https://marsactu.fr/beton-aime-la-memoire-ouvriere-oubliee-de-leglise-saint-louis/

 (1) L'église Saint-Louis de Marseille – une mémoire en devenir, sous la direction de Jean-Claude Gautier, éditions Mémoire à lire– Territoire à l'écoute, Marseille, 2020.

Publié dans Fioretti

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