Retrouver un sens à la mort à l’heure de la pandémie
Une des conséquences majeures de la pandémie due au Covid est d’avoir replacée la question de la mort aussi bien dans l’univers de l’expertise médicale que dans celui de la politique. Dans une passionnante conversation publiée par le magazine La Croix-l'Hebdo, Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, explique comment la question de la mort était évacuée dans les pratiques médicales. Elle dit son « choc », lors des stages à l’hôpital dans le cadre de ses études de médecine, sur la façon dont les patients mouraient : « Il y avait beaucoup de pratiques d’euthanasie non dites, et on laissait les étudiants ou les aides-soignants auprès des malades en fin de vie. Le milieu médical montrait un total désintéressement pour la mort (…) Pour beaucoup de services hospitaliers en France, l’épidémie a donné l’occasion de rencontres rudes avec la mort. D’autant plus que la mort n’était pas seulement, comme en soins palliatifs, celle des autres. Elle pouvait atteindre les soignants ». Pour elle : « Apprivoiser la mort prend sans doute toute une vie » (1).
Certains êtres ont été très précoces dans cet « apprivoisement ». Le 4 avril 1787, Mozart écrivait à son père malade (il décéda le 27 mai) une lettre d’une maturité étonnante. Il avait trente ans et devait lui-même mourir 4 ans plus tard :« J’apprends (…) maintenant que vous êtes vraiment malade ! Je n’ai pas besoin de vous dire avec quelle impatience j’attends une nouvelle rassurante de votre propre plume ; et je l’espère aussi, fermement – bien que je me sois habitué à imaginer toujours le pire en toutes circonstances. – Comme la mort est l’ultime étape de notre vie, je me suis familiarisé depuis quelques années avec ce véritable et meilleur ami de l’homme, de sorte que son image non seulement n’a pour moi plus rien d’effrayant, mais c’est plutôt quelque chose de rassurant et de consolateur. Et je remercie mon Dieu de m’avoir accordé le bonheur (vous comprenez) de le découvrir comme clé de notre véritable félicité. – Je ne vais jamais me coucher sans penser (quel que soit mon jeune âge) que je ne serai peut-être plus le lendemain – et personne parmi tous ceux qui me connaissent ne peut dire que je sois d’un naturel chagrin ou triste. – Pour cette félicité, je remercie tous les jours mon Créateur et la souhaite de tout cœur à tous mes semblables. (…) » (2). Ce n’est pas seulement les airs du « Requiem » que fredonnait Mozart dans ses derniers jours, mais aussi ceux de la « Flûte enchantée »,
Le philosophe Pierre Zaoui, interrogé sur ce surgissement de la mort dans une société qui cherche à la cacher répond : « C’est une des grandes leçons de la philosophie : apprendre à mourir et à faire face à la mort d’autrui n’est pas nécessairement morbide, c’est parfois le seul moyen de conférer à la vie une dignité et une valeur supérieures à la simple survie. Nous ne devons pas nous détourner de la mort pour méditer la vie seule, mais dire encore la vie face à la mort. Ce n’est là rien d’autre que la vie même. La mort peut toujours alimenter l’amour de la vie, c’est à cela que servent tous les rituels de la mort » (3).
Dans un monde obsédé par la toute puissance et le tout contrôle, nous devons réapprendre ce qu’exprime avec grande justesse le poète René Char : « Ce qui m’a mis au monde et qui m’en chassera n’intervient qu’aux heures où je suis trop faible pour lui résister. Vieille personne quand je suis né. Jeune inconnue quand je mourrai. La seule et même passante » (4).
Bernard Ginisty
- Claire FOURCADE : Apprivoiser la mort prend sans doute toute une vie, Conversation avec Isabelle de Gaulmyn in La Croix-L’Hebdo des 5-6 juin 2021, p. 11-17. Elle ajoute « Nous avions demandé, comme étudiants, à suivre une formation pour savoir comment parler de la mort aux malades. Nous étions alors dans les années 1980 et on a pris notre demande à la légère, en nous disant que c’était le genre de formation « pour faire bien dans les médias ».
- Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Correspondance, Tome V, éditions Flammarion, 1992, p. 181-182. Deux mois avant sa mort, revenant d'une représentation de La Flûte Enchantée, il écrit ces mots à sa femme qui était en cure : « Je reviens à l'instant de l'Opéra ; il était plein comme toujours. Le duo Mann und Weib et le glockenspiel ont été bissés comme d'habitude. De même que le trio des jeunes garçons, au 2e acte – mais ce qui me fait le plus plaisir, c'est le succès silencieux » (Lettre à sa femme des 7 et 8 octobre 1791 in Correspondance, Tome V, éditions Flammarion 1992, p. 251).
- Pierre ZAOUI : La vie nous oblige à l’aimer in La Croix-l’Hebdo des 5-6 juin 2021, p. 35.
- René CHAR (1907-1988) : Feuillets d’Hypnos in Œuvres complètes, éditions Gallimard, La Pléiade, p. 178.