Qui est ton Dieu ? Un Dieu qui croit en l'homme, en chaque homme

Publié le par Garrigues et Sentiers

La réflexion de Jacques Musset publiée dans ce blog, Où est-il ton Dieu ?est de celles qui appellent, non pas une réponse, mais un écho pour tous ceux qui, comme lui, cheminent dans un certain doute, ou au moins dans une prise de distance avec leurs origines culturelles et religieuses. Il a le mérite de la sincérité, sans langue de bois, et on doit lui en être reconnaissant. 

J’aime en premier dans les interrogations de l’auteur celle du titre : qui est ton Dieu ? À quel Dieu crois-tu ? (on se rappelle le titre de Jean-Marie Ploux : "Dieu n’est pas ce que vous croyez") et la seconde, qui suit immédiatement : en quel Dieu (ou quels dieux) je ne crois pas ? Cette question est peut-être la plus importante, elle permet de « faire le ménage » dans nos idées toutes faites, nos héritages non assumés, nos fantasmes, nos idéologies, voire nos idolâtries. 
La référence à Marcel Légaut m’avertit d’un compagnonnage de pensée, bien que je n’en fasse pas mon seul et unique maitre spirituel, j’y reviendrai.

Cependant, une première différence d’appréciation m’apparaît rapidement quand Jacques Musset cite Darwin, Copernic, Galilée, Newton et Freud. Leurs discours en majorité scientifiques (le doute est permis pour Freud) n’interfèrent pas à mes yeux avec une attitude de croyant. Le temps où l’Église catholique condamnait toute affirmation scientifique qui contredisait la « vérité biblique » est passé depuis longtemps et les créationnistes (en majorité américains) n’ont que peu d’influence. La démarche scientifique est une chose, le récit biblique en est une autre, de l’ordre du mythe (au sens positif de ce mot) ou du récit fondateur. Je ne pense pas que Jacques Musset nie l’importance des mythes pour l’espèce humaine, l’homme n’est-il pas un animal mythique, au sens où ils lui sont vitaux : leur ignorance par notre civilisation technologique ne pose-telle pas problème ? En nous débarrassant du religieux (grande illusion ?), nous avons oublié l’importance du récit pour le remplacer par des fables technologiques ou des fictions économiques.

Je ne vais pas reprendre tous les articles du Credo, ni les premiers chapitres de la Genèse, mais le Dieu créateur auquel Jacques Musset ne croit pas, me semble au contraire d’une première importance pour qui se réfère – encore un peu – à l’anthropologie chrétienne (sans pour autant se dire croyant). Le Dieu créateur de l’homme à son image fait de l’homme un créateur, ou plutôt un co-créateur comme disent certains. Sa mission est d’humaniser (ou de diviniser, c’est la même chose) le monde (l’univers) que Dieu lui a confié. Deuxième conséquence de cette création « à l’image », l’homme n’est QUE image, il n’est pas Dieu. Qui ne voit l’importance de cette affirmation à notre époque où l’homme croit pouvoir « tout maitriser », y compris le mystère de la naissance et celui de la mort, en se prenant pour Dieu. Troisième conséquence, l’homme, créature divine, ne peut pas se créer lui-même ex nihilo, il est dans une histoire, dans un récit (encore une fois), dans une tradition au bon sens du mot, il vient de quelque part, il est héritier au sens fort. De même, vouloir créer un « homme augmenté » apparaît dans cette optique comme une folie ou un… blasphème. Le Dieu créateur « sert  » à une chose : empêcher l’homme de se prendre pour Dieu, même si, dans la meilleure tradition, Dieu ne « sert » à rien. L’histoire d’Adam et Ève n’est peut-être pas fondamentale, mais le mystère de la création est fondateur. 

Jacques Musset ne croit pas au Dieu sacrificateur, comme on le comprend ! L’Ancien Testament a interdit le sacrifice humain après le « ratage » de celui d’Isaac, et le Nouveau Testament vaudrait le re-légitimer ? Par quelle pirouette théologique en est-on arrivé là ? La lecture du "Dieu pervers" de Maurice Bellet nous aura ouvert à une autre vision, mais pourquoi les « pratiquants » parlent-ils encore de « sacrifice de la messe » ? La "théologie sacrificielle" est encore de mise, malheureusement.

L’auteur cite Marcel Légaut comme son maitre spirituel et je m’étonne qu’il ne cite que lui. Le maitre spirituel appelle son lecteur à une liberté qui lui fait rechercher le compagnonnage d’autres éveilleurs de conscience : la référence à un seul me semble présenter le risque d’une idéalisation (idéologisation ?) du maitre. Jean Sulivan, auquel il a rendu hommage récemment ("Dans l’espérance d’une parole"), fait pour moi partie de ces maîtres spirituels, de même que Bernard Feillet, ou plus récemment la théologienne protestante Marion Muller-Colard. Je n’oublie pas un certain nombre de théologiens, tels Adolphe Gesché, Robert Scholtus ou Joseph Moingt, qui sont aussi à leur façon des éveilleurs et peut-être aussi des prophètes. Je me sens aussi proche de Jacques Musset quand il parle de l’importance des prophètes tant oubliés aujourd’hui.

Un dernier commentaire et un dernier nom : Etty Hillesum. Cette grande figure de la résistance à l’anéantissement d’un peuple écrit dans son journal que la vraie question n’est peut-être pas celle de l’existence de Dieu, mais celle de notre capacité à le « faire exister ». Renversement complet de perspective. De la même façon, la question posée par Jacques Musset de croire ou non en Dieu ne doit-elle pas être remplacée par l’affirmation (ou sa négation) que Dieu croit en l’homme, en chaque homme ?

Pierre Locher

Publié dans Réflexions en chemin

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V
Personnellement je n’ai aucun doute sur la psychanalyse: cette pseudo-science est purement et simplement une théologie (dans sa forme la plus achevée: la scolastique), c’est-à-dire une élucubration (une «pirouette») à partir d’hypothèses gratuites inventées pour les besoins de la cause. Par contre je doute fort que Jacques Musset sombre dans l’idéalisation d’un maître et je suis loin de croire que le créationnisme ait si peu d’influence que cela: les créationnistes américains sont légion et la majorité des croyants dans le monde -les pauvres- ignore tout de la culture scientifique (qui, d’ailleurs, en possède vraiment une?).<br /> <br /> J’ai le furieux sentiment que la plupart des auteurs de ce site vivent en milieu fermé, un cercle de «happy few» (comme la communauté de Jean, qu’ils citent souvent). Les théologiens qu’ils citent sont tous et toujours les mêmes et toujours des théologiens dits «de pointe». Et comme ces théologiens ils se débarrassent allègrement de tout ce qui les gêne («Jacques Musset ne croit pas au Dieu sacrificateur, comme on le comprend! L’Ancien Testament a interdit le sacrifice humain après le “ratage” de celui d’Isaac, et le Nouveau Testament vaudrait le re-légitimer? Par quelle pirouette théologique en est-on arrivé là?») Manuel de Diéguez a magistralement analysé cette attitude, dans un livre que je tiens pour essentiel: «Certains regretteront peut-être que mes études du sacrifice chrétien se fondent sur l’enseignement classique de l’Église catholique et sur la tradition immuable de sa théologie, alors que de récents exploits de théologiens dits “de pointe” et qui se sont allègrement donné à eux-mêmes le nom de “chercheurs”, qu’ils ont abusivement emprunté à des disciplines critiques, auraient “remis en question” une doctrine deux fois millénaire. Mais aussi longtemps que la “vérité” sera définie par l’Église et non point par tels ou tels théologiens célèbres en désaccord les uns avec les autres, aussi longtemps que la preuve en sera constamment fournie par le rappel à l’ordre de ces “chercheurs” par le magistère sitôt que leurs idées en viennent à connaître quelque notoriété, donc à troubler les fidèles; aussi longtemps que ces “chercheurs” n’auront pas précisé leur statut intellectuel et échappé à l’ambiguïté de leur position, qui les autoriserait à se réclamer à la fois d’une pensée orthodoxe, donc dogmatique et de la liberté de la réflexion, l’honnêteté exigera de s’en tenir objectivement à la “vérité” définie par voie d’autorité. L’analyse du contenu politique du sacrifice chrétien démontre précisément que la “vérité” catholique sera toujours et nécessairement du ressort du pouvoir central, parce qu’une orthodoxie, qu’elle soit religieuse ou idéologique, ne sera jamais en mesure de se comporter autrement sans renier sa propre logique interne.» (L’Idole monothéiste, PUF, 1981, p.26.)<br /> <br /> Armand Vulliet
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