A l'écoute de la Parole de Dieu

Publié le par Garrigues et Sentiers

Solennité de la Fête-Dieu

Solennité du Sacrement du Corps et du Sang du Christ

Ex 24, 3-8 ; Ps 115(116) ; He 9, 11-15 ; Mc 14, 12-16.22-26.

 

Ces textes nous invitent à méditer sur la Nouvelle Alliance dans le Sang de Jésus (l’Exode évoque la première Alliance, l’épître aux Hébreux le salut définitif dans la Nouvelle Alliance) et l’évangile de Marc va au cœur de cette réalité : le repas de la Cène.

Ce qui suit n’est pas un commentaire de ces textes, mais un essai d’approche ce ce que peut signifier pour nous « l’Eucharistie », en remarquant déjà que ce terme signifie « action de grâces » alors qu’on l’a réduit bien souvent à l’hostie et au calice de vin.

 

Nous sommes sortis du temps de Pâques, mais l’Église veut encore nous faire méditer sur des réalités essentielles révélées par le mystère pascal. Après le dimanche de la Trinité, voici donc celui de la Fête-Dieu, terme bien mal venu, plutôt déiste alors qu’il s’agit d’une toute autre réalité. Le terme choisi par Urbain IV en 1264 est d’ailleurs « Solennité du Sacrement du Corps et du Sang du Christ ». Cette décision a été prise pour marquer la fin d’une querelle théologique sur le sens du pain et du vin consacrés, sont-ils une présence réelle de Jésus ?

Dans la philosophie de l’époque le terme « réel » signifiait « concret », il s’agissait de substance. C’est à la suite d’un fameux « miracle » de Bolsena en 1263 au cours duquel le prêtre Pierre de Prague, qui était sceptique, aurait vu l’hostie se teinter de rouge et couler au cours de la messe qu’il célébrait (nul n’est tenu d’y croire!!!), qu’Urbain IV s’est décidé à instaurer cette fête . Il écrivait alors : « il est juste néanmoins, pour confondre la folie de certains hérétiques, qu'on rappelle la présence du Christ dans le très Saint-Sacrement ». Mais la réalité peut ne pas être uniquement une réalité concrète (substantielle), le changement de substance (la fameuse « transsubstantiation ») a-t-il un sens ? Depuis un siècle les théologiens sont beaucoup plus prudents, il peut y avoir de l’idolâtrie dans ces rites d’adoration de l’hostie. On ne peut cependant pas balayer cette théologie comme si de rien n’était, rappelons qu’en 2010 encore, le pape Benoît XVI revenait sur la question pour soutenir les processions du Saint Sacrement.

Ici nous éviterons d’entrer dans ces « disputes » et nous nous attacherons à méditer sur l’enseignement de Saint Paul et des Évangélistes, sur lesquels tout a été fondé. La croyance en la transsubstantiation a été vraiment reconnue de façon bien plus tardive (vers le 11ème siècle).

 

Le texte de Paul sur l’Eucharistie se trouve en 1 Cor, 11, 17-34. Il s’agit de corriger les Corinthiens qui dénaturaient le « Repas du Seigneur ». Paul rappelle les paroles prononcées : « Ceci est mon Corps rompu pour vous ; faites-ceci en mémoire de moi » Puis « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang : chaque fois que vous en boirez, faîtes le en mémoire de moi ». Et si vous ne respectez pas le repas du Seigneur, «méprisez-vous l’Église de Dieu ?» Le manque de respect au repas du Seigneur est « mépris de l’Église », Paul ne parle pas de mépris du pain consacré. La coupe et le pain sont communion au corps du Christ et à son sang, Paul le dit explicitement quelques lignes plus haut en 1 Cor 10, 16. La présence du Seigneur n’est pas formellement dans les espèces, mais dans son corps qui est l’Église. La faute des Corinthiens est de désobéir à la volonté de Jésus (prendre le repas ensemble qui manifeste leur unité) dans l’acte même où ils prétendent s’y conformer car ils prétendent communier au corps et au sang en se divisant entre eux. L’Eucharistie (terme qui signifie « prière d’action de grâces ») se trouve dans le partage du pain et du vin que les convives assimilent, et en les assimilant reçoivent la vie même de Jésus. Jésus se rend présent par la communion en un seul corps qu’il unit et fait sien. J. Moingt écrit :

« Ne pas discerner le corps voulait dire : ne pas discerner la communion de vie qui s’établit entre le Christ vivant au ciel et l’Église de la terre par la foi dans la portée salutaire de la venue du Christ, qui s’exprime par l’acte de se réunir dans l’unité d’un même corps pour faire mémoire de lui .»

Ou encore :

« Discerner le corps, c’est reconnaître la communication qui s’établit entre le Christ au ciel et l’Église sur terre par la réminiscence de ce qui s’est passé dans la mort et la résurrection de Jésus, de ce qui est passé et passe incessamment de lui (désigné par les mots corps et sang) en nous (désignés par le pluriel de l’impératif ‘faîtes’), dans l’Église rassemblée en corps du Christ. »

Ainsi l’enseignement de Saint Paul nous invite à partager le pain et le vin et à rencontrer le Christ dans ces pain et vin partagés. La consécration de la messe n’a pas de sens sans la communion qui suit, elles forment un tout. Notre adoration du Saint Sacrement est adoration du Christ qui se donne à nous lorsque nous le partageons pour devenir son propre Corps qui est l’Église. Il y a bien présence réelle du Christ, ce qui ne signifie pas une nouvelle substance, c’est beaucoup plus profond que cela. Le frère Max Thurian, à la suite du travail élaboré dans le groupe œcuménique des Dombes, l’écrit clairement : "La présence réelle du corps et du sang du Christ ne suppose pas un changement physico-chimique, mais elle est la rencontre concrète avec la personne du Seigneur, Dieu et homme, qui se donne comme une nourriture". Cette rencontre, base de notre vie de foi, mérite, nécessite, notre adoration… et notre conversion.

 

Dans les Synoptiques, l’action de grâces prononcée par Jésus prend un sens substitutif et expiatoire (on voit là l’influence des rites sacrificiels juifs). Il paye pour nous les conséquences du péché, à notre place, et nous serons amenés à le suivre sur ce chemin (de croix). Son sang, le vin, « répandu pour une multitude » est le produit de la vigne qu’il ne boira plus avec ses disciples avant de se retrouver dans le Royaume (Mt 26, 29 ; Mc 14, 25 ; Lc 22, 18). L’Eucharistie est d’abord le commandement d’entretenir en nous le souvenir de Jésus et de son Évangile, dans une union fraternelle dans l’attente de son retour. La suite des évangiles nous signifieront que l’Eucharistie fait de nous des témoins de l’amour de Dieu révélé dans la Croix, témoins de la Résurrection, elle est envoi en mission. Elle n’est pas un rite nouveau institué par Jésus, mais appel à le rejoindre.


Jean n’évoque pas le récit du pain et du vin au cours du repas, il le remplace par le lavement des pieds, oh combien symbolique et bien expliqué par Jésus. Au-delà de la consécration du pain et du vin évoquée par les synoptiques qui le précèdent, il insiste sur la relation en esprit et vérité que Jésus établit entre nous et entre lui et nous, au moment même de cette eucharistie. On peut dire que la prière eucharistique de Jean, véritable testament de Jésus, couvre les chapitres 13 à 17.

 

La fête du Saint Sacrement est une invitation à adorer le Christ qui vit en nous et nous nourrit dans le pain et le vin partagés qui sont le sacrement de sa présence, que nous recevons dans l’unité entre lui et nous. Terminons par une nouvelle citation de J. Moingt :

 

« Cet effet sacramentel n’est pas obtenu automatiquement, mais est conditionné par le genre de vie que mènent les chrétiens et qui doit être une vie fraternelle (Paul) de serviteur les uns des autres (Jean), sous peine que la célébration de la fraction du pain ne corresponde plus au commandement du Christ».

 

Marc Durand

 

J. Moingt, Esprit, Église et monde, t.2, De la foi critique à la foi qui agit, Gallimard, 2016

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V
Le problème n’est pas que la transsubstantiation ait un sens ou pas, mais que le catholique est tenu d’y croire, contrairement à ce qu'écrit Marc Durand («nul n'est tenu d'y croire!!!»). Qu’Urbain IV ait fulminé la bulle «Transiturus de hoc mundo» et Benoît XVI présidé à Rome le jeudi 15 juin 2006 la messe de la Solennité du Corps et du Sang du Christ et la procession traditionnelle de la Fête-Dieu du Latran à Sainte-Marie Majeure ne sont pas des détails (et tant pis si je passe pour un affreux intégriste, mais je ne fais pas partie de l’Église! [1]).Voir l'encyclique Mysterium fidei de Paul VI (03/09/1965):<br /> https://www.vatican.va/content/paul-vi/fr/encyclicals/documents/hf_p-vi_enc_03091965_mysterium.html; la Profession de foi de Paul VI (30/06/1968):<br /> http://sursum.free.fr/documents/profession_de_foi_paul_vi.html, chapitre «Le corps et le sang du Seigneur»; et l'encyclique Ecclesia de eucharistia de Jean-Paul II, Chapitre II, & 15 (17/04/2003):<br /> https://www.vatican.va/holy_father/special_features/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_20030417_ecclesia_eucharistia_fr.html<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> [1] J’en parle certes de l’extérieur, mais c’est que je sache la seule façon de prendre du recul (voir l’exemple des sectes).
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