Le Synode des évêques se transforme pour donner de l’espace au Peuple de Dieu : un entretien avec le cardinal Grech

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le Vatican a annoncé le 21 mai que le Synode des évêques que la pape avait convoqué à Rome en 2022 pour débattre du thème « Pour une Église synodale : communion, participation et mission » est  reporté en 2023.

Ce report tient au désir du pape de donner de l’espace au Peuple de Dieu, afin que tous puissent faire entendre leur voix. C'est le sens des nouveautés introduites dans le processus synodal. Le cardinal Mario Grech les illustre dans cet entretien avec les médias du Vatican.

Pourquoi le Synode a-t-il été reporté ?

L'Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques en tant que telle sera célébrée en octobre 2023. D'une part, il y avait la situation dramatique de la pandémie, qui conseillait la patience pour un événement ecclésial qui, de toute façon, exige la présence des évêques à Rome dans sa phase de célébration. D'autre part, il y avait la nécessité d’une période plus étendue pour appliquer les normes établies dans la Constitution apostolique Episcopalis communio. Le Pape François a publié cet important document le 15 septembre 2018, transformant le synode d'un événement en un processus. Auparavant, le Synode était, à tous les effets, un événement ecclésial qui s'ouvrait et se clôturait dans un temps déterminé - généralement trois à quatre semaines - et qui impliquait les évêques membres de l'Assemblée. Cette forme de célébration répondait à la configuration donnée au Synode par le Pape Paul VI en 1965.

Dans le Motu proprio Apostolica sollicitudo, du 15 septembre 1965, le Pape a institué un organisme d'évêques « soumis directement et immédiatement à l'autorité du Pontife Romain », qui participerait - comme le dit le titre du Motu proprio - à la fonction pétrinienne de «sollicitude de toute l'Église». Le but du Synode était de «favoriser une union et une collaboration étroites entre le Souverain Pontife et les évêques du monde entier» ; de «procurer des informations directes et exactes sur les problèmes et les situations qui concernent la vie interne de l'Église et l'action qu'elle doit mener dans le monde actuel» ; de «faciliter l'accord des opinions au moins sur les points essentiels de la doctrine et sur la manière d'agir dans la vie de l'Église».

Que nous apprend un demi-siècle d'histoire du Synode ?

L'histoire du Synode illustre tout le bien que ces Assemblées ont apporté à l'Église, mais aussi le fait que le temps était venu d'une participation plus large du Peuple de Dieu à un processus de décision qui concerne toute l'Église et chacun de ses membres. Le premier signal a été petit mais significatif : le Questionnaire envoyé à tous lors de la première Assemblée synodale sur la famille en 2014. Au lieu d'envoyer aux évêques les Lineamenta préparés par des experts, en sollicitant des réponses qui permettraient à la Secrétairerie du Synode de rédiger l'Instrumentum laboris qui sera discuté en Assemblée, le Pape a ordonné la mise en place d'une écoute plus large de toutes les réalités ecclésiales.

Le discours du 17 octobre 2015, à l'occasion du 50e anniversaire de l'institution du Synode, a ouvert le scénario sur «l'Église constitutivement synodale». L'une des phrases les plus citées du Pape François est tirée de ce discours : «Le chemin de la synodalité est justement celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire» et décrivait l’Église synodale comme une «Église de l'écoute», dans laquelle chacun doit apprendre de l'autre : Peuple de Dieu, Collège épiscopal, Évêque de Rome. C'est là que se dessine, en fait, le processus synodal, dans lequel «le Synode des Évêques est le point de convergence de ce dynamisme d’écoute mené à tous les niveaux de la vie de l’Église» : dans les Églises particulières, à l'écoute du Peuple de Dieu ; aux niveaux intermédiaires de la synodalité, surtout dans les Conférences épiscopales, où les Évêques exercent leur fonction de discernement ; et enfin au niveau de l'Église universelle, dans l'Assemblée du Synode des Évêques. Episcopalis communio ne fait qu'entériner ces idées.

Quelles sont, en résumé, toutes les nouveautés introduites par ce document ?

La première et plus grande nouveauté est la transformation du Synode d'un événement en un processus. Je l'ai déjà signalé : alors qu'auparavant le Synode s'épuisait dans la célébration de l'Assemblée, désormais chaque Assemblée du Synode se développe selon des phases successives, que la Constitution appelle «phase préparatoire, phase de célébration, phase de réalisation». La première phase a pour objet la consultation du Peuple de Dieu dans les Églises particulières. Dans son discours du 50e anniversaire, le Pape insiste beaucoup sur l'écoute du sensus fidei du Peuple de Dieu. On peut dire que c'est l'un des thèmes les plus forts du pontificat actuel : de nombreux interprètes soulignent à juste titre le thème de l'Église comme Peuple de Dieu ; mais ce qui caractérise le plus ce Peuple pour le pape, c'est le sensus fidei, qui le rend infaillible in credendo.

Il s'agit d'une donnée traditionnelle de la doctrine, qui traverse toute la vie de l'Église : «la totalité des fidèles ne peut pas se tromper en croyant», en vertu de la lumière qui vient de l'Esprit Saint qui leur a été donné au baptême. Le Concile Vatican II dit que le Peuple de Dieu participe à la fonction prophétique du Christ. C'est pourquoi il est nécessaire de l'écouter, et pour l'écouter il faut aller là où il vit, dans les Églises particulières. Le principe qui régit cette consultation du Peuple de Dieu est l'ancien principe selon lequel «ce qui concerne tout le monde, doit être discuté par tous». Il ne s'agit pas de démocratie, de populisme ou de quelque chose de ce genre ; c'est l'Église qui est le Peuple de Dieu, et ce peuple, en raison du baptême, est le sujet actif de la vie et de la mission de l'Église.

Pourquoi cette première phase préparatoire est-elle importante ?

Le fait que cette phase soit appelée préparatoire pourrait induire certaines personnes en erreur, comme si elle ne faisait pas partie du processus synodal ; en réalité, sans cette consultation, il n'y aurait pas de processus synodal, car le discernement des Pasteurs, qui constitue la deuxième phase, se fait sur la base de ce qui est ressorti de l'écoute du Peuple de Dieu. Ces deux actes sont étroitement liés, je dirais même complémentaires : les questions que les Pasteurs sont appelés à discerner sont celles qui ont émergé de la consultation, pas les autres.

L'Instrumentum laboris est élaboré sur la base de ces deux actes, qui se réfèrent à deux sujets : le Peuple de Dieu et ses Pasteurs. Le discernement des Pasteurs trouve son point culminant dans l'Assemblée synodale, qui réunit le discernement de toutes les Conférences épiscopales, nationales et continentales, et du Conseil des Patriarches des Églises orientales. Un acte choral qui implique l'ensemble de l'épiscopat catholique dans le processus synodal. Comment ne pas espérer de grands fruits d'un chemin synodal aussi large et participatif ? Et comment ne pas espérer que les indications issues du Synode deviennent, à travers la troisième phase, celle de la mise en œuvre, un vecteur de renouvellement et de réforme de l'Église ?

Quelle est la raison qui a poussé le Pape et la Secrétairerie du Synode à entreprendre cette nouvelle voie ?

Le processus synodal n'a pas été conçu dans un bureau ; il a émergé du cheminement même de l'Église tout au long de la période postconciliaire. Au début, tout était circonscrit à une assemblée d'évêques. Mais Paul VI avait précisé que le Synode, comme tout organisme ecclésial, est perfectible. C'était un début. Sans ce début, nous ne serions probablement pas ici à parler de synodalité et de l'Église constitutivement synodale. Le thème de la synodalité était tombé dans l'oubli dans la pratique ecclésiale et la réflexion ecclésiologique du deuxième millénaire dans l'Église catholique. Il s'agissait d'une pratique typique de l'Église du premier millénaire, perpétuée dans l'Église orthodoxe.

La nouveauté dans l'Église catholique est que la synodalité réapparaît comme le couronnement d'un long processus de développement doctrinal, qui conduit à la clarification de la primauté pétrinienne avec Vatican I, à la collégialité épiscopale avec Vatican II et aujourd'hui, à travers l'accueil progressif de l'ecclésiologie conciliaire, en particulier le chapitre II de Lumen gentium sur le Peuple de Dieu, à la synodalité comme moyen de participation de tous au cheminement de l'Église. Il s'agit d'une grande perspective, qui unit la tradition de l'Église d'Orient et de l'Église d'Occident, en donnant à l'Église synodale ce principe d'unité qui faisait défaut même dans l'Église des Pères, quand la fonction d'unité même était exercée par l'empereur !

De ce cheminement synodal, ou peut sans nul doute s’attendre également à de grands fruits au niveau œcuménique. C'est ce qu'a déclaré le Pape dans son discours à l'occasion du 50e anniversaire de l'institution du Synode : la synodalité comme dimension constitutive de l'Église offre également un cadre adéquat pour comprendre le ministère hiérarchique, en particulier le ministère pétrinien, avec le Pape qui - ce sont les mots du Pape François – «ne se trouve pas, tout seul, au-dessus de l’Église, mais en elle comme baptisé parmi les baptisés et dans le Collège épiscopal comme évêque parmi les évêques, appelé en même temps – comme Successeur de l’Apôtre Pierre – à guider l’Église de Rome qui préside dans l’amour toutes les Églises». Le processus synodal est le test décisif de cette vision vraiment élevée de l'Église.

Quels fruits pouvons-nous attendre de cette nouvelle façon de célébrer le Synode ?

La prochaine assemblée synodale porte sur la synodalité. Au fond, les fruits que l'on peut espérer sont déjà implicitement indiqués dans le titre indiqué par le Pape pour l'Assemblée : "Pour une Église synodale : communion, participation et mission". Pendant longtemps, on a parlé de la communion comme d'un élément constitutif de l'Église. Aujourd'hui, il semble clair qu'une telle communion est synodale ou n'est pas une communion. Cela ressemble à un slogan, mais sa signification est précise : la synodalité est la forme de communion de l'Église-Peuple de Dieu.

Dans le cheminement commun du Peuple de Dieu avec ses Pasteurs, dans le processus synodal auquel tous participent, chacun selon sa fonction propre - Peuple de Dieu, Collège des Évêques, Évêque de Rome - il y a une réciprocité de sujets et de fonctions qui fait avancer l'Église sur son chemin, sous la conduite de l'Esprit. Il ne faut pas oublier qu'on a peut-être beaucoup insisté dans le passé sur la communio hierarchica : l'idée que l'unité de l'Église ne pouvait être réalisée qu'en renforçant l'autorité des Pasteurs. À certains égards, ce passage était également nécessaire, lorsque, après le Concile, diverses formes de dissidence sont apparues. Mais cela ne peut pas être la manière ordinaire de vivre la communion ecclésiale, qui exige la circularité, la réciprocité, un cheminement ensemble dans le respect des fonctions respectives au sein du Peuple de Dieu. La communion ne peut donc se traduire que par la participation de tous à la vie de l'Église, chacun selon sa condition et sa fonction spécifiques. Le processus synodal démontre bien tout cela. 

Le Pape François a souligné à plusieurs reprises l'importance du Peuple saint de Dieu et la nécessité de donner plus de place aux femmes dans l'Église, tout en dénonçant le risque du cléricalisme. Comment le document sur le processus synodal répond-il à ces tensions ? Travaillez-vous à introduire d'autres innovations qui permettront une participation plus complète du Peuple de Dieu dans toutes ses composantes ?

Dans le processus synodal est impliqué l'ensemble du Peuple de Dieu. L'importance accordée au Peuple de Dieu est évidente dans la consultation, qui est l'acte fondateur du Synode. Je le répète : la consultation fait déjà partie du processus synodal, elle en constitue le premier et indispensable acte. Le discernement dépend de cette consultation. Ceux qui disent que ce n'est pas pertinent, qu'au fond ce n'est qu'un acte préparatoire, ne comprennent probablement pas bien l'importance du sensus fidei du Peuple de Dieu.

Comme je l'ai déjà dit, dans l'Église primitive, c'était le seul cas d'infaillibilité reconnu dans l'Église : «la totalité des fidèles ne peut se tromper dans la croyance». Ici, chacun a sa place et la possibilité de s'exprimer. La volonté de la Secrétairerie Générale est de permettre à chacun de faire entendre sa voix ; que cette écoute soit la véritable «conversion pastorale» de l'Église. Que Dieu fasse que l'un des fruits du Synode soit que nous comprenions tous qu'un processus de décision dans l'Église commence toujours par l'écoute, car ce n'est que de cette manière que nous pouvons comprendre comment et où l'Esprit veut conduire l'Église.

Quel sera le rôle des évêques ?

Il ne faut pas oublier que le moment du discernement est confié avant tout aux évêques réunis en assemblée. Certains diront que c'est du cléricalisme, que c'est un désir de maintenir l'Église dans des positions de pouvoir. Mais il ne faut pas oublier au moins deux choses. La première, sans cesse réitérée par le Pape, est qu'une assemblée synodale n'est pas un parlement. Le faire fonctionner avec des systèmes de représentation ou de quotas risque de ressusciter une sorte de conciliarisme, déjà largement enterré. En second lieu, le Concile affirme que les évêques sont «le principe et le fondement de l'unité dans leurs Églises particulières». Aux évêques revient donc une fonction de discernement, qui leur appartient en raison du ministère qu'ils exercent pour l'Église.

À mon avis, la force du processus réside dans la réciprocité entre la consultation et le discernement. C'est là que réside le principe fécond qui peut conduire à d'autres développements de la synodalité, de l'Église synodale et du Synode des Évêques. Mais nous ne pouvons pas le savoir aujourd'hui : plus nous marchons, plus nous apprenons en chemin. Je suis convaincu que l'expérience du prochain Synode nous en dira long sur la synodalité et sur la manière de la mettre en œuvre.

propos recueillis par Andrea Tornielli

Source : https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2021-05/synode-2023-entretien-cardinal-grech.html

Publié dans Signes des temps

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D
Le souvenir du synode sur la famille est un peu cuisant. Les filtres avaient "bien" fonctionné, les discussions de base ont été intéressantes pour les participants, mais qu'en est-il remonté? J'ai tendance à dire "rien". Va-t-on recommencer? Un nouvelle fois c'est la hiérarchie instituée qui tranchera, répercutera ou enterrera. Cela rappelle un certain "centralisme démocratique" qui finalement a eu raison du communisme! On aurait pu espérer que des personnalités laïques en assez grand nombre et très diverses soient associées aux évêques dans la seconde phase pour éviter le cléricalisme rampant toujours pas jugulé.<br /> "Qui peut se dire sage? Celui qui apprend de chacun", cette maxime pourrait-elle persuader nos hiérarchies d'écouter sérieusement, de s'ouvrir enfin les oreilles?<br /> "La force du processus réside dans la réciprocité entre la consultation et le discernement. C'est là que réside le principe fécond qui peut conduire à d'autres développements de la synodalité" affirme le Cardinal Grech, espérons qu'il soit entendu.
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V
Je ne discuterai pas du contenu de l’interview du cardinal. Les déclarations d’intention, comme vous manifestement, ne m’intéressent pas. Que voudriez-vous que l’Église change dans son approche d’une question quelle qu’elle soit? Car sur tous les sujets l’Église a bien une doctrine traditionnelle, dogmatique, que tout catholique doit partager. Quel en est le fond? Tant que cela ne sera pas précisé, je ne vois pas ce qu’on pourra discuter. Doit-on ici partir de l’encyclique de Jean-Paul II du 7 décembre 1990 Redemptoris missio (en ligne : https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_07121990_redemptoris-missio.html)? De toute façon, je suis personnellement sûr qu’il ne sortira de ce synode nil novi sub sole car s’il est bien un sujet sur lequel l’Église ne peut pas changer c’est celui de la mission (l’Église est missionnaire ou n’est pas). J’apprends que l’archevêque de Munich Reinhard Marx vient d’offrir sa démission au pape François à cause du scandale des abus sexuels dans l’Église en constatant, paraît-il, que l’Église en est arrivée à «un point mort» et qu'il s'agit d'un «échec institutionnel et systémique». Sur la question de la mission, le dossier est explosif. À mon avis, François fera comme Jean-Paul II, bien sûr (le dogme est intouchable), mais à sa manière, plus diplomatique, plus «onctueuse» (l’appel à une «nouvelle évangélisation» lors du quatrième voyage de Jean-Paul II en Pologne en juin 1991, alors que l’«affaire du carmel d’Auschwitz» durait depuis 7 ans et n’était pas encore terminée, avait suscité trop de controverses).<br /> <br /> Armand Vulliet