Témoigner de la résurrection
La liturgie chrétienne nous invite à vivre les prochaines semaines comme un « temps pascal ». Dans un monde où le règne de la marchandise réduit nos années et nos jours à une alternance de production et de consommation des choses, elle nous aide à retrouver les pulsations les plus fondamentales de nos vies. Car une vie humaine n’est pas l’addition indifférenciée de semaines ou d’années, mais un rythme à la fois biologique, intellectuel et spirituel.
Être témoin de la résurrection du Christ rend toutes les résurrections possibles : voilà le message fondamental de ce temps pascal. Une résurrection n’est pas une conquête ou l’addition des performances de telle ou telle institution religieuse. Elle n’est pas la revanche de Celui qui a été injustement et ignominieusement condamné. C’est l’expérience qu’au sein des pires désastres demeure intacte la capacité de renaître. Le message de Pâques rend caduques les religions du destin qui voudraient que nos vies obéissent aux seules logiques économiques, financières, militaires, où les forts éliminent les faibles.
La résurrection ne se vit pas dans le triomphe des armes, mais dans la fraîche lueur d’une aube de printemps où quelques femmes découvrent un tombeau vide. Nous avons connu, dans des pays de tradition chrétienne, l’alliance du sabre et du goupillon et plus récemment celle de certains courants dits « évangéliques » avec des croisades guerrières. Lorsqu’au nom d’idéaux politiques ou religieux, on confie à la force des armes la pédagogie de la renaissance des peuples, on ne fait que progresser dans l’oppression. Il suffit de relire l’Évangile, promu par certains comme une arme, pour découvrir que chaque fois que les disciples du Christ ont voulu transformer en machinerie administrative ou guerrière le message qu'ils entendaient, ils se sont fait rabrouer par celui qui enseignait à ne pas confondre Dieu et César.
Nous portons tous en nous ce "duel de la vie et de la mort" évoqué dans la liturgie de Pâques. Le Christ a été victime, lui aussi, d’une folie identitaire à dominante religieuse. On ne lui a pas pardonné d’avoir ouvert les voies du salut, et donc la paix, à la totalité des hommes. Si la lumière de Pâques ne nous donne pas de solutions toute faites, elle nous habite comme une source de vie plus radicale que toutes les morts. Elle nous apprend que seule la fraternité de ceux qui vivent des résurrections, par-delà les pulsions de domination et de mort, permet d’inventer un monde nouveau.
Dans l’épître aux Colossiens (4, 10), l’apôtre Paul écrit “ Vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui, pour accéder à la connaissance, ne cesse d’être renouvelé à l’image de son créateur ” Il définissait ainsi une nouvelle modalité de la pensée : accéder à la connaissance n’est possible qu’en gardant le contact avec le renouvellement créateur. Paul annonce ainsi que le réel déborde éthiques et idéologies. Il est d’abord événement qui nous arrive et dépasse tout ce que nous pourrions attendre. Le rôle central occupé par la Résurrection dans la foi chrétienne est de l’ordre de la naissance dans une vie d’homme. C’est un commencement absolu qu’aucune nécessité n’exige. Il n’est pas plus possible de coloniser cet événement que de négocier sa propre naissance. On ne peut que l’accueillir et en témoigner.
Bernard Ginisty