Semaine Sainte 2021

Publié le par Garrigues et Sentiers

Depuis des lustres les chrétiens sont appelés à méditer au cours de cette semaine sur le sacrifice du Christ. Il ne manque pas de textes de l’Ancien Testament ni du Nouveau pour insister sur cet aspect de notre foi. Pourtant ce n’était pas la préoccupation première des premiers chrétiens. Il a fallu quelques siècles et bien d’autres considérations pour que l’Eucharistie soit résumée au renouvellement du sacrifice de Jésus à son Père. Lors de la Semaine Sainte, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur cette notion, et pourtant il nous semble qu’elle n’est que secondaire dans l’économie du Salut. Nous proposons alors d’évoquer d’abord cette question, puis de proposer une façon complémentaire de vivre cette semaine. Les lecteurs pressés pourraient directement passer à la seconde partie proposant un chemin de méditation pour la semaine.

 

 

Sacrifice de Jésus

 

Jetons un regard sur ce que peut signifier le sacrifice avant d’essayer de comprendre ce qu’il en est pour Jésus. On en trouve deux sortes dans l’Ancien Testament, oblation et rédemption.

 

Dans l’oblation, l’homme offre à Dieu les prémisses de la récolte, du bétail. Il entretient une relation d’échange avec Dieu dont il attend protection. Mais déjà la notion d’échange est battue en brèche car Dieu ne négocie pas, l’homme ne peut réclamer quoi que ce soit en échange de ses offrandes. La relation s’épure ainsi au fil du temps pour que l’oblation devienne un don gratuit, une action de grâces. L’homme reconnaît le don gratuit de Dieu et le remercie en lui offrant ce qu’il a de plus précieux : les prémisses, la vie représentée par le sang. Depuis l’histoire d’Isaac il ne peut être question d’offrir le sang (la vie) d’un humain, le sang de l’agneau devient le symbole fort de l’offrande. Le sacrifice de l’agneau est l’offrande de la vie lors du passage (Pâque) du Dieu sauveur.

 

La rédemption est le rachat (juridique) des péchés. L’homme éprouve un besoin de rachat pour lever la punition, il se reconnaît pécheur, la Justice (des hommes) exige contre-partie. Il est impensable à l’époque que Dieu ne réclame pas aussi justice pour pouvoir lever les péchés : les hommes chargent des péchés le bouc-émissaire envoyé au désert (le bouc dans les apocalypses est à gauche de Dieu, du côté des damnés) et ils offrent l’agneau dont la place est à droite de Dieu dans les mêmes représentations, du côté des élus.

 

Le Nouveau Testament renouvelle complètement la notion de sacrifice. Jésus apporte le Salut, comme Yahvé pour la sortie d’Égypte. Il nous invite à vivre avec le Père, il s’agit maintenant d’une relation d’amour, nos offrandes sont un don gratuit de réponse à l’amour offert. Je me donne totalement à celui qui me donne son amour et, par là, la vraie vie. Jésus devient l’archétype de ce don gratuit et total au Père. Malgré les difficultés, dues au péché des hommes, il L’a aimé jusqu’au bout, sa mort est conséquence de son engagement. La Croix liée à la Résurrection est le sommet de cet échange entre Jésus et son Père, don de sa vie par Jésus, don de la vie éternelle par le Père.

 

Mais le péché s’est immiscé, il est bien là. Il n’est pas tellement dans ce qu’on peut faire à Dieu (ou ne pas faire) car Dieu est le Tout-Autre et ne peut être affecté par nos actions envers Lui. Il est affecté par nos fautes envers nos frères (on trouve déjà cela dans les interdits du catalogue). Elles s’opposent à l’amour, à l’Esprit qui vit en nous. Jésus meurt de ce péché des hommes. La Rédemption n’est plus un rachat juridique, mais un don que le Père nous offre en levant notre péché et en nous faisant fils, grâce au don total que Jésus a réalisé en allant jusqu’à la Croix. La vie nouvelle inaugurée par Jésus annule nos péchés qui ne peuvent plus nous être comptés. La Rédemption est opérée une fois pour toutes. Les évangélistes l’ont exprimée en termes de sacrifice car c’était le cadre de pensée de l’époque. Ils se référaient au Serviteur d’Isaïe qui prend sur lui le péché pour en débarrasser les hommes. Jésus, nouveau Serviteur, est décrit dans les mêmes termes, même si Dieu n’exige plus une punition pour pardonner.

 

Des siècles plus tard l’Église voudra que ce « sacrifice » soit renouvelé régulièrement car elle y voyait le seul moyen de pardonner les péchés commis après le baptême. Elle revient à l’idée de rachat obtenu par une punition. Alors que l’Eucharistie était une action de grâces pour le Salut annoncé, l’idée de rachat l’emportera, le pain partagé deviendra la présence réelle du Christ afin de renouveler dans chaque messe son sacrifice « d’expiation ». Ceci est contraire à l’enseignement du Nouveau Testament : le sacrifice de la Croix est réalisé une unique fois pour le Salut du monde nouveau.

 

Pour nous maintenant, l’Eucharistie est une action de grâces réalisée dans le partage du Corps et du Sang (la vie) du Christ qui fait advenir le Royaume initié dans la Résurrection.

 

 

Un second chemin pour vivre les jours saints

 

Is 42, 1-7 ; 49, 1-6 ; 50, 4-9 ; 52, 13-53,12. Jn 13, 1-15. Ap 1, 5-8. He 4, 14-16 ; 5, 7-9.

 

Pendant ces jours, au-delà de l’aspect sacrificiel qui risque d’occulter ce qui se passe vraiment, revenons au don que Jésus fait à son Père, et à nous par ricochet : en apportant son Salut il a invité les disciples à vivre dans le Royaume. Le pain partagé, le vin partagé sont porteurs du Royaume présent en Jésus. Ils introduisent le peuple dans le Royaume et pour cela réalisent aussi la Rédemption (sorte d’acte juridique nécessaire à l’entrée dans le Royaume). Jean, lui, ne parle pas de pain ou de vin, mais du lavement des pieds les uns envers les autres : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples » (Jn 13, 35).

 

L’Église primitive a témoigné de cela à travers ses eucharisties qui n’avaient pas besoin de prêtres pour faire un sacrifice (cela ne sera repris que deux siècles plus tard en souvenir des grands-prêtres du Temple). Elles étaient un repas partagé qui se déroulait en souvenir du partage du pain et du vin à la veille de la mort de Jésus, signe de l’amour qui devait unir entre eux les participants. Par ces eucharisties ces derniers donnaient vie au Royaume qui était déjà là, et qu’ils devaient construire parmi les hommes.

 

Les textes de la Passion que nous allons relire nous rappellent le sérieux de l’engagement envers le Père, la difficulté qu’a éprouvée Jésus sur ce chemin (de Croix) pour rester fidèle malgré la souffrance due au péché des hommes. Ils nous rappellent aussi notre double responsabilité : nous sommes complices de ce péché qui tue, nous sommes responsables de la lutte que nous devons mener pour instaurer ce Royaume dans lequel Jésus nous invite à entrer.

 

Avant de relire les textes de la Passion, nous pourrions aussi relire les épîtres de ces jours saints : les « chants du serviteur » dans le livre d’Isaïe. Ils témoignent de la mission du Messie, de ce qui a été l’essentiel de sa vie parmi nous. Les méditer au cours de cette semaine nous permet de nous focaliser sur l’essentiel de la vie de Jésus. Ces textes ne parlent quasiment pas de sacrifice mais de don de soi par le Serviteur de Dieu. En ce sens ils sont bien des textes prophétiques dans lesquels Jésus s’est certainement reconnu.

 

Le Serviteur est l’œuvre de Dieu qui l’a « modelé » (Is 42, 6) comme il avait « modelé » (Gn 2, 7) Adam. Dieu en a fait « l’alliance du peuple... pour ouvrir les yeux des aveugles, extraire du cachot le prisonnier ». Le serviteur est attentif aux autres, « il ne brise pas le roseau froissé, il n’éteint pas la mèche qui faiblit ». Il fait la justice et il dit le Droit. Dieu ne le limite pas à la descendance de Jacob mais en fait la « lumière des nations », « pour que [son] salut atteigne aux extrémités de la terre » et en lui Dieu se glorifiera. Le Seigneur lui a donné une langue de disciple « pour qu’ [il] sache apporter à l’épuisé une parole de réconfort ». Le Seigneur lui a ouvert l’oreille et le Serviteur ne s’est pas dérobé. Le Serviteur ne s’est pas soustrait aux outrages car « le Seigneur va [lui] venir en aide, et c’est pourquoi [il ne s’est] pas laissé abattre». Que celui qui a marché dans les ténèbres se confie dans le nom de Yahvé, « qu’il s’appuie sur son Dieu ».

 

Ainsi ces trois premiers chants du Serviteur sont une préfiguration de la vie de Jésus, élu du Père, fidèle et confiant, travaillant au salut de tous les hommes. On est dans les sommets de ce qu’a pu être la présence de Jésus parmi les siens. C’est bien grâce à cette élection par le Père, à cette fidélité du Fils que ce dernier a apporté le Salut à tous les hommes.
 

Enfin dans le quatrième chant se noue le drame, le rejet par les hommes et la fidélité inconditionnelle du Serviteur qui va la payer de sa vie. Il se sacrifie en descendant au plus profond du mal que font les hommes, « il a été transpercé à cause de nos crimes » alors que nous le considérions comme frappé par Dieu, et dans ses blessures nous trouvons la guérison. Mais « à la suite de l’épreuve endurée par son âme, il verra la lumière et sera comblé ». Le texte nous gêne lorsqu’il dit que « Yahvé a voulu l’écraser par la souffrance » et qu’il « offre sa vie en sacrifice expiatoire ». Ces deux lignes nous montrent à quel point l’idée de sacrifice était prégnante encore chez Isaïe, alors que tout le reste du texte et des chants précédents n’attribuent pas à Dieu mais à notre responsabilité dans le péché la souffrance et la déréliction finale du Serviteur.

 

Le mystère pour nous reste entier : c’est par fidélité que Jésus n’a pas pu éviter la Croix, et elle l’a mené à assumer tous les péchés du monde pour les effacer par l’amour du Père. Que comprenne celui qui le pourra ! Comme l’a écrit Saint Paul, c’est « scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1 Cor 1,23), et nous sommes et Juifs et païens.
 

 

La lecture de l’Apocalypse du Jeudi et de l’Épître aux Hébreux le Vendredi sont eschatologiques : ces textes préfigurent ce qui doit arriver, l’exaltation du Christ. On débouche alors sur l’annonce de Pâques.

 

N’oublions pas que cette semaine ne prend sens que par le matin de Pâques. La nuit de la Croix ne peut être occultée, mais elle est intrinsèquement liée à la Résurrection, le Père qui semblait si absent était là et n’a pas abandonné son fils, gage de notre confiance sur notre chemin actuel.

 

Marc Durand

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article