La complexité de l’autisme

Publié le par Garrigues et Sentiers

Je ne pense pas trahir Jacques Derrida en appliquant le concept de Différance au terme d’autisme. Pour résumer, si nous utilisons le même mot, si nous entendons le même son, depuis la création de ce terme par le psychiatre suisse Eugen Bleuler il ne définit plus à l’heure actuelle le même patient. L’évolution des connaissances scientifiques, l’évolution des pratiques médicales aboutissent à une complexité croissante de la classification des malades. Les autistes stricto-sensu cèdent le pas aux « troubles envahissants du développement, aux patients souffrant de troubles du spectre autistique » et cette nébuleuse a comme conséquences la multiplicité, la diversité, la complexité des prises en charge thérapeutiques et des traitements des complications.

Une définition pas toujours bien comprise

Eugen Bleuler, psychiatre suisse contemporain de Freud, décrit l’autisme chez les schizophrènes comme le mouvement de repli sur soi, le refus ou l’impossibilité de contact avec l’extérieur, il décrit l’autisme au sein de la psychose, comme faisant partie de la psychose. Les psychanalystes et particulièrement les lacaniens comprennent toujours l’autisme ainsi.

Ce mot va s’émanciper du champ de la psychose pour qualifier des handicapés mentaux qui n’ont pas, ou peu, ou difficilement de contacts avec le monde extérieur, qui présentent des troubles de l’altérité.

Ces troubles de la communication et des interactions sociales ne sont pas toujours synonymes de déficience intellectuelle. Hans Asperger en 1944 décrit le syndrome d’Asperger ou autisme comme une psychopathie avec développement intellectuel normal. Ce qui permet de séparer en deux groupes les autistes, ceux avec déficience intellectuelle et ceux qui peuvent poursuivre des études, voire obtenir des diplômes universitaires. Si tous ont en commun des troubles affectifs et des troubles de la communication (refus du contact même avec les proches, tendances aux replis sur soi, aux stéréotypies, fixations obsessionnelles sur des objets divers…), l’évolution personnelle les discrimine nettement.

Le développement des neuro-sciences, de la génétique, de la psychiatrie ont abouti à préciser différentes étiologies responsables de malformations cérébrales, de troubles du fonctionnement cérébral, de l’absence de langage qui donnent des troubles du spectre autistique, mais nous n’avons pas à l’heure présente découvert une cause unique explicative de cette pathologie.

Il est important de comprendre et d’admettre la grande variété de patients sous le terme d’autistes (1). D’une part, cela dissipe les malentendus reposant sur un modèle unique plus ou moins mystérieux de la maladie, d’autre part cela permet une mise à distance avec le modèle véhiculé par les médias. En effet le cinéma, les séries télévisées privilégient le syndrome d’Asperger comme exemple de la maladie autistique, ainsi la réduction médiatique aboutit à créer une équivalence : autiste= être génial, très éloigné de la majorité des autistes soignés en institution. Il en résulte une souffrance accrue des familles dont l’enfant handicapé mental ne ressemble en rien au « hacker » génial des séries !

Des traitements qui cèdent le pas aux prises en charge

Historiquement la prise en charge des autistes a eu lieu au sein des établissements psychiatriques, en corollaire d’une approche de l’autisme définie comme psychose. Les relations entre l’institution psychiatrique et les familles d’autistes ont donné lieu à des malentendus, voire des conflits, les familles se sentant mises en causes pour les troubles de leur enfant. Le rôle primordial de la relation à la mère pour le développement mental et affectif du petit enfant, a placé les mères en position d’accusées, les a culpabilisé et a provoqué le rejet des cures analytiques, des psychothérapies, mais aussi le rejet des traitements psychiatriques médicamenteux comme les neuroleptiques et le rejet de l’institution psychiatrique.

Les découvertes progressives des causes neurologiques, génétiques à l’origine de syndromes d’autisme ont été vécues comme un soulagement pour beaucoup de parents. L’espoir d’amélioration, voire de guérison, sont venus du développement des neurosciences dont les applications médicales ont renouvelé les diagnostics, mais surtout les prises en charges. Dès les années 90 le dépistage précoce dans la petite enfance de troubles évocateurs du spectre autistique (absence de regard, absence de sourire, manque d’intérêt pour le monde extérieur…) a donné lieu à un véritable arsenal de protocoles associant démarche médicale, paramédicale, cognitive.

Les traitements médicamenteux, eux, marquent le pas. Malgré de nombreuses expérimentations, nous n’avons pas de médicament de l’autisme, mais une pharmacopée utile spécifique de diverses complications comme l’épilepsie, les troubles du comportement, différents troubles organiques…

En réaction aux manques de places et aux retards de l’institution psychiatrique, des associations, notamment parentales, en lien avec les pouvoirs publics vont créer des établissements pour autistes : accueil de jour, internats, formules mixtes où interviennent des médecins, infirmiers éducateurs, psychomotriciens, psychologues, orthophonistes. Les associations parfois spécialisées dans une pathologie comme la Trisomie 21, ou selon le degré de gravité, le niveau de dépendance, développent des lieux d’accueil, de vie, d’éducation qui aboutissent à une meilleure prise en charge des handicapés mentaux avec troubles du spectre autistique.

Malgré tous les progrès accomplis nous sommes encore loin de l’idéal d’une guérison, de l’obtention d’un développement mental normal mais aussi de l’intégration sociale de la personne handicapée (2).

Des prises en charges pas toujours conventionnelles

Dans ce contexte de semi-échec, le foisonnement des propositions thérapeutiques explose, chaque année nous trouvons sur « le marché » des théories explicatives de l’autisme avec propositions de thérapies. Comment s’y reconnaître ?

Le Pr Amaria Baghdadli (3) dans son cours de 2014 rappelait l’objectif de la recherche : ne pas se priver de nouvelles interventions thérapeutiques mais les évaluer pour conserver ce qui est fondé (4). Si les programmes comportementaux ABA(Applied Behavior Analysis) fondés sur les principes de la théorie de l’apprentissage sont reconnus pour leur efficacité pédagogique, de nombreuses solutions thérapeutiques soit présentent des intérêts limités (quoique non négligeables) comme le contact avec les animaux qui vise l’apaisement, soit ne peuvent être retenues car ne respectant pas les critères d’évaluation : définition de la population bénéficiant de l’intervention – but recherché – moyens utilisés – critères de jugement –  analyse statistique des effets du traitement… (5).

Illustrons notre propos en nous arrêtant sur deux méthodes de traitement non médicamenteuse de l’autisme : l’Equithérapie et la CPA ou communication profonde accompagnée.

L’Equithérapie (6) a fait ses preuves, elle fait partie des propositions de prise en charge dans la plupart des centres. Son but, que le patient atteigne l’apaisement par la pratique du cheval, s’inscrit dans une recherche de bien-être psycho-corporel. Elle est évaluable de façon conjointe par l’équipe d’éducateurs qui suit chaque patient quotidiennement et l’équipe qui apprend au patient à monter à cheval en surmontant son angoisse, par l’apprentissage des règles élémentaires de cette discipline. Certaines personnalités ne pourront bénéficier du contact avec l’animal et seront écartés de cette pratique, d’autres la poursuivront avec un vrai bonheur.

La CPA (7) pose le problème d’une prise en charge basée sur un corpus de croyances sans possibilité d’être évalué par une personne extérieure à ces croyances qui mesurerait des critères objectifs.

Les théories fondatrices de cette méthode supposent la possibilité d’une communication entre la conscience d’un médiateur et l’inconscient du patient qui livrerait ses traumatismes, y compris ceux remontant à la période fœtale, y compris ceux véhiculés par les générations d’ascendants du patient. Le médiateur recueillerait à l’aide d’une technique manuelle des textes « écrits » par les patients. Ces textes attesteraient de la vie spirituelle, affective, intellectuelle des autistes, y compris lorsqu’ils souffrent de déficience intellectuelle et de mutisme.

Nous n’excluons pas l’hypothèse que le patient puisse bénéficier d’une relation avec une personne qui régulièrement vient auprès de lui et tente de communiquer avec lui. De plus la CPA a le mérite de poser publiquement le problème de la vie intérieure des personnes handicapées mentales, des autistes dépourvues du langage oral. Quelle est la perception du monde de cette personne ? Peut-on assimiler une personne à l’évaluation de son âge mental ? Peut-on considérer qu’un enfant de trois ans et un autiste adulte dont on a mesuré un QI comparable à un enfant de trois ans sont identiques et ont la même expérience de vie ?

Conclure, c’est livrer son questionnement

Quand prendrons-nous en compte l’expérience de vie (8) des personnes souffrant de handicap mental ? Quand s’efforcerons-nous en tant que thérapeute de déchiffrer les désirs de la personne en lien avec sa vie présente ? Désirs qui comme pour toute personne vivante provoquent l’évolution.

Si la loi du 11 Février 2005 a œuvré pour un changement de regard de la société sur les handicapés mentaux en leur reconnaissant des droits, en leur donnant un cadre juridique qui leur permet d’évoluer vers l’autonomie, sur le terrain, les libertés reconnues abstraitement ont du mal à être vécues concrètement.

En France nous en sommes toujours à des prises en charge institutionnelles ou à des modèles de vie intra-familiale qui ne permettent pas à des personnes porteuses d’un handicap mental avec déficience intellectuelle de pouvoir vivre comme des adultes autonomes.

L’évolution prochaine viendra-t-elle des patients eux-mêmes ? Deux phénomènes tendent à faire bouger nos représentations, d’une part les Autistes Asperger rendent compte de leur vie intérieure par leur parole publique, d’autre part des mouvements associatifs d’handicapés mentaux, au-delà de nos frontières comme le mouvement Independant Living aux USA, contestent la prise de parole au sujet du handicap par « les normaux » et affirment publiquement leurs revendications, « Rien sans nous pour nous » !

Pour conclure sans conclure, dernier questionnement : que dit l’autisme, pathologie de la communication qui ne cesse d’augmenter (9), d’une société dont la technologie témoigne du développement sans précédent des moyens de communication au service du souci obsédant de communiquer ?

Christiane Giraud-Barra

(1) Soignant exclusivement des autistes déficients intellectuels depuis cinq ans, je ne peux que confirmer la variété des patients : patients psychotiques, polyhandicapés mutiques avec déficience intellectuelle sévère, sujets valides, de déficience intellectuelle moyenne, mais dans l’impossibilité de communiquer verbalement.

(2) Les relations affectives parents-enfants, le désir de protection des parents face à un milieu extérieur qu’ils vivent souvent comme hostile ou dangereux, le refus général de prise en compte des désirs sexuels et de l’expérience de vie des patients forment des obstacles à la reconnaissance pour un handicapé mental d’un statut et d’une vie d’adulte

(3) Professeur de pédopsychiatrie université de Montpellier spécialiste de l’autisme.

(4) Elle rappelait que sur Google les résultats concernant les traitements pour autismes s’élevait à 78.300.000.

(5) Un point me semble important pour obtenir une évaluation valide : l’évaluateur ne doit pas être impliqué dans la réalisation des interventions. Cela évite le biais de croire ce que l’on a envie de croire.

(6) Jean-Pierre Courtial, Autisme et Equithérapie, éd. Dauphin, 2018 : une méthode décrite pour obtenir une relation entre l’enfant autiste et le cheval qui amène une amélioration du comportement de l’enfant, liée aux qualités propres du cheval, à l’environnement éducatif Psy+ cavalier ; ouverture de l’enfant autiste à une relation avec l’autre, l’autre étant représenté par le cheval. L’amélioration du langage n’est pas recherchée.

(7) Présentations multiples sur internet ; en voici deux : Nathalie Jaouën : CPA ; Jamar Marie-Jo vidéo de présentation CPA.

(8) Je préfère de beaucoup le concept d’expérience de vie à celui de vie spirituelle, je reprends à mon compte la philosophie de Jean-Luc Nancy, « L’âme c’est l’expérience du corps ».

(9) Années 1970 : diagnostics chez les moins de 20 ans, 4/10000 ; en 2009 : 20,6/10000 (source DIU sur le Handicap mental en 2014).

Publié dans Réflexions en chemin

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