Annonciation 2021

Publié le par Garrigues et Sentiers

L'Annonciation par Jean Cocteau, chapelle N.-D. de Jérusalem, Fréjus

L'Annonciation par Jean Cocteau, chapelle N.-D. de Jérusalem, Fréjus

Que nous dit cette fête ?

 

Marie est pleine de grâce (« réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi », « l’Esprit Saint viendra sur toi »), bénie entre toutes les femmes (Élisabeth le proclame lors de la Visitation). La grâce répandue sur Marie remonte le temps, de même que par sa mort et résurrection, le salut du Christ a remonté le temps (la fameuse descente aux enfers du samedi) pour sauver aussi ceux qui l’avaient précédé. Marie source de grâce qui remonte jusqu’à Adam et Ève (dans la généalogie de Luc. Au contraire de Mathieu qui s’arrête à Abraham, Luc avait une vision universelle). Ève est alors « graciée », mère du genre humain au-delà de sa faute qui est levée.

 

Cette grâce s’étend aussi aux autres femmes de l’Ancien Testament, femmes sans place institutionnelle (la civilisation de l’époque ne le permettait pas) mais dont le rôle est essentiel et s’épanouit à côté des hommes (et non sous leur férule). Sarah reçoit la bénédiction par laquelle « elle deviendra des nations » c’est-à-dire la descendance d’Abraham (Dieu insiste sur la bénédiction donnée à Sarah, Abraham a peu de place à ce moment). Après le passage de la Mer Rouge, qui marque le salut fondateur du peuple d’Israël, c’est Myriam (même nom que Marie) qui fait chanter et danser le peuple, pas son frère Moïse. On peut évoquer aussi Judith, et d’autres…


Élisabeth est touchée par la grâce de la même façon que Sarah auparavant, Zacharie (homme et prêtre !) n’ayant pas le beau rôle. Puis c’est le tour de Marie qui, comme Zacharie, questionne l’ange (« comment cela se fera-t-il ? »), mais par une question ouverte suivie d’un fiat, au contraire de la réponse fermée de Zacharie qui le condamnera au silence. Ève a donné naissance à l’humanité, Sarah au peuple élu, Élisabeth au précurseur pour préparer les chemins du Seigneur, Marie au Sauveur. Dès qu’il s’agit d’une élection (Sarah, Élisabeth, Marie) Dieu choisit une femme qui humainement ne peut pas donner naissance (trop âgées ou vierge «ne connaissant point d’homme »), et les hommes sont hors champ, c’est l’action de Dieu qui les rend fécondes et leur donne ainsi une place prééminente (que par la suite les hommes se sont dépêchés d’éteindre sous le boisseau).

 

Marie prolonge cet état de grâce par le chant du Magnificat, chant-programme de l’action de Jésus (tellement révolutionnaire que certains rois ou princes interdisaient qu’il soit chanté quand ils entraient dans une église!), chant qui bouscule la Tradition dont elle est pétrie. Le chant de Zacharie (le Benedictus) est d’un tout autre ordre, chant d’action de grâces envers Dieu qui « se souvient de son alliance ». Chant célébrant « tout au long de nos jours » le salut antérieur du peuple et qui espère que l’enfant Jean-Baptiste puisse préparer les voies pour faire connaître ce salut. Loin des proclamations du Magnificat, Zacharie est dans le souvenir, ou la nostalgie.

 

Marie disparaît presque complètement du tableau pendant la vie publique de Jésus. Il a bien marqué qu’il ne voulait pas être entravé par l’inquiétude, voire la gêne, qu’il suscitait dans sa famille. Sa mère était auprès de lui au début de sa mission, aux noces de Cana, pour déjà être mise quelque peu de côté (« Que me veux-tu, femme ? »). De même lors de l’épisode au cours de laquelle ses frères et sa mère le firent appeler, au début de son ministère : il marque une rupture volontaire (« Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ?... »). Marie n’était pas chargée de la même mission, elle devait lui laisser les mains libres. Cette mise à l’écart a d’ailleurs commencé plus tôt, lors du pèlerinage au Temple quand Jésus avait douze ans. S’il ne s’agissait que d’une crise d’adolescence, l’évangile n’aurait pas repris l’anecdote. Jésus est respectueux de la Tradition (il a bien effectué le pèlerinage) mais celle-ci ne doit pas entraver sa mission qui est de s’occuper «des affaires de [son] père». Marie est restée dans la Tradition, loin du chant du Magnificat lors de la Visitation. Il lui faudra suivre de loin son fils tout au long de sa route pour le retrouver et enfin entrer de plain-pied dans le Monde Nouveau, au pied de la Croix.

 

Il est essentiel qu’au moment crucial de la Croix, Marie soit là pour que, en la confiant à Jean («Femme, voici ton fils » puis « voici ta mère ») Jésus en fasse la mère de ceux qui croiront en lui. Il ne l’appelle pas « mère », ce qui l’aurait liée à sa vie intime d’homme, mais, comme à Cana, il l’interpelle avec le terme « femme ». Marie est reconnue comme « femme », mère des croyants et mère du Christ, et non « maman » de Jésus. Les deux sommets de la vie de Marie sont donc le moment où elle est enceinte de Jésus, et celui où, devenue la mère du Christ elle devient la mère des croyants. C’est le résultat de l’action de l’Esprit qui l’a remplie de grâce (annonce de Gabriel) et a été rendue possible par son « fiat ». Il n’y a pas de plus haute place pour un humain dans l’histoire du salut. C’est une femme, Marie, qui l’occupe, et par ricochet fait rejaillir cette grâce sur les autres femmes.

 

Sarah, Élisabeth, Marie, et même la mythique Ève, sont les quatre « femmes fortes » qui marquent l’histoire de l’humanité : elles ne se réduisent pas à ce qu’on appelle la maternité, rôle passif dévolu aux femmes pour les maintenir sous le boisseau, elles ne se sont pas contentées d’être porteuses de leurs fils qu’elles devraient à leurs hommes, elles ont engendré (rôle éminemment actif) une descendance pour l’humanité (Ève), les « croyants » (Sarah), les chrétiens (Marie) ainsi que le précurseur ouvrant la voie (Élisabeth).

 

Enfin, conséquence de ce statut donné à Marie par Jésus sur la Croix, celle-ci sera présente dans l’Église naissante (1). Elle est là le jour de la Pentecôte. Elle est devenue de fait la première des disciples, non pas pour parcourir le monde et proclamer la bonne nouvelle, mais pour l’engendrer. En cette période actuelle où l’Église se remet en question, où elle doit méditer sur ses déviances et ses fautes, où elle doit redécouvrir quelle est sa mission dans un monde hostile, comme il l’était dans les premiers siècles, l’accompagnement par Marie des efforts, des conversions nécessaires, nous semble un motif d’espérance. La place de cette femme est au milieu de nous.

 

Marc Durand

25 mars 2021

 

1 – Puis oubliée pendant trois siècles pour être retrouvée dans le but de proclamer la divinité de Jésus (concile de Chalcédoine en 451). Une certaine dévotion à Marie s’en suivra, jusqu’au 19ème siècle où elle reviendra au premier plan d’une façon quelque peu (ou beaucoup) idolâtre. On en est revenus, il nous reste à lui faire une place adéquate.

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