Aller vers nos commencements
Le grand philosophe et théologien que fut Hans Urs von Balthasar déplorait la tendance de certains esprits à réduire les problèmes les plus fondamentaux de l’humanité « comme s’il leur était proposé un sujet de concours de mathématiques ». Et il ajoutait : « Devant certaines « solutions », on serait tenté de dire : « Dommage ! C’était un beau problème » (1).
Il est vrai qu’une certaine pédagogie nous a habitués à chercher rapidement les bonnes réponses avant d’avoir médité suffisamment les interrogations. S’agissant des questions touchant au sens de la vie, à la recherche spirituelle, aux relations entre les personnes, l’expérience montre qu’il est important de les habiter longtemps pour qu’elles travaillent en nous, avant de se précipiter pour donner les prétendues bonnes solutions. Le travail d’une vie ne se réduit pas à des réponses à un système de Questions à Choix Multiples, ces fameuses QCM qui font les beaux jours des grands concours !
Toute interrogation fissure le champ clos de notre confort intellectuel et spirituel dans lequel nous sommes toujours tentés de nous enfermer. Et avant de colmater rapidement ces brèches ouvertes dans nos trop faciles certitudes, il est important de se laisser apprivoiser par ces mises en question. Ainsi, on découvrira qu’il s’agit moins de remettre une bonne copie ou d’engranger des réponses définitives, que de se mettre en route. En effet, chaque étape de notre recherche conduit à la découverte de nouveaux horizons qui sont aussi de nouvelles questions.
S’ouvrir à la relation avec Dieu et avec les autres comporte toujours des risques. Aussi, la tentation est grande de coloniser notre avenir en le bétonnant de certitudes, de peur « qu’il ne nous arrive quelque chose ». Combien de désastres personnels ou collectifs ont été causés par cette prétention d’enclore nos histoires personnelles ou celles des peuples dans des systèmes a priori ! Or, notre seule chance est qu’il nous arrive des événements, des relations, des émotions, des pensées qui nous surprennent et que nous n’avions pas prévus. C’est le sens du mot Évangile : une bonne nouvelle qui nous transforme et nous met en route, et non une idéologie qui conforte nos acquis et nos installations.
Notre vie ne saurait se réduire à des travaux pratiques dictés par des savants et des experts. Elle est tissée d’interrogations, de rencontres, de peurs et de joies, d’ennuis et de découvertes. Elle ne se déroule jamais selon ces fameux « plans de vie » ou « plans de carrière » qu’on m’incitait à construire dans ma jeunesse. Sa richesse n’est pas constituée des bonnes réponses que nous capitaliserions pour traverser l’existence, mais de notre capacité à rester éveillé aux questions qui nous habitent. C’est en restant veilleur, même et surtout dans nos nuits, que nous serons disponibles pour accueillir ce qui nous arrive comme une grâce.
Une amie vient de me transmettre cette belle citation de l’écrivain et universitaire britannique C.S. Lewis (1898-1963) : « Vous ne pouvez pas revenir en arrière et changer le début, mais vous pouvez commencer là où vous êtes et changer la fin ».
Bernard Ginisty
(1) Hans URS VON BALTHASAR (1905-1988), Grains de blé, Éditions Arfuyen, Paris 2003, p. 67.