« Quelques questions que ma foi pose à mon Église » (Jacques Noyer)
Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens est décédé en juin 2020 alors qu’il venait de fêter ses 93 ans. Il était en train de terminer un ouvrage sur son itinéraire de croyant et de responsable épiscopal dans l’Église catholique intitulé : Le goût de l’Évangile (1). Ordonné évêque en 1987, il découvre la Conférence des évêques de France portée par l’enthousiasme suscité par le Concile Vatican II. Mais il va constater la lente érosion du dynamisme conciliaire. « Peu à peu, avec la prudence de Jean-Paul II, puis l’inquiétude de Benoît XVI, l’épiscopat français, comme d’autres épiscopats, se replie sur une théologie traditionnelle et doucement efface le concile de l’horizon. Même si je suis un témoin moins attentif depuis que je suis en retraite, je constate la capitulation sans conditions des ambitions conciliaires devant les courants préconciliaires » (2).
Loin de sombrer dans la morosité ou la nostalgie d’ancien combattant conciliaire, il analyse les raisons de cet échec : « Il m’apparaît comme une évidence que nous n’avons pas pris la bonne méthode. (…) On a voulu réussir Vatican II avec les méthodes de Vatican I. (…) Le Pape François m’aide à comprendre notre erreur : nous voulions faire la leçon au peuple de Dieu pour le changer selon notre rêve, changer la doctrine pour la rendre moderne. (…) Nous avions eu la naïveté de penser que c’était par les clercs que nous allions réveiller le peuple de Dieu. Non, c’est le cri des hommes qui réveillera les clercs. Ma foi au Christ trouve un nouvel élan ? Nous avons perdu une bataille, nous n’avons pas perdu la guerre. Le combat continue » (3).
Pour Jacques Noyer, la nouveauté de l’Évangile est d’ouvrir la filiation divine à tout homme et non pas à condition que cet homme appartienne à telle ou telle institution. Une Église particulière n’est pas propriétaire de ses membres : « Comme les parents qui présentent l’enfant au baptême se disent simples dépositaires d’un enfant qui n’est pas leur propriété mais l’enfant de Dieu, ainsi, la communauté ecclésiale qui baptise n’en est-elle pas non plus propriétaire. Au lieu de se penser comme l’Église des Aimés de Dieu, chaque Église se pense comme l’instrument de salut. Chacune compte ses « sauvés » comme de tristes administrations bureaucratiques au lieu de partager la fête commune » (4).
Pour lui, l’eau du baptême n’est pas un rituel d’entrée dans une organisation particulière, mais dans la fraternité universelle : « En quittant mes vieux déguisements de comédie que m’impose la vie sociale, en me jetant dans l’eau du baptême, je me débarrasse de toute appartenance particulière. Je ne suis qu’un pauvre homme que Dieu aime comme un fils. Je deviens frère de tous. Certains supportent mal ma nudité, car nous ne savons vivre qu’au milieu des uniformes. Et si la liturgie couvrait les baptisés de vêtements blancs, ils étaient sans insigne et sans marques. Vous pouvez chercher : il n’y a nulle part une petite étiquette qui signalerait « Made in Roma » ou « Made in Constantinople » (5).
À chaque page de l’Évangile, le message du Christ est un appel à faire naître des « sujets », c’est à dire des « fils » et des « frères », et non des adhérents moutonniers demandant à des institutions d'assumer à leur place leurs responsabilités spirituelles et citoyennes.
Bernard Ginisty
(1) Jacques NOYER, Le goût de l’Évangile. Quelques questions que ma foi pose à mon Église, éditions Temps Présent, 2020, 150 pages, 16 euros.
(2) Id. page 137.
(3) Id. pages 22-24.
(4) Id. pages 57-58.
(5) Id. page 58.