Il faut sauver l'esprit de Saint-Merry

Publié le par Garrigues et Sentiers

En complément de l'article de Jean-Luc Lecat, La fermeture du Centre pastoral Saint-Merry, une liquidation d'un trésor encombrant, nous portions à la connaissance de nos lecteurs l'article que René Poujol a publié sur son blog Cath'lib.

G & S

 

La fermeture annoncée de cette « vitrine » d’un certain catholicisme d’ouverture serait assurément une profonde erreur 

Par lettre en date du 7 février, l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit a fait connaître au Centre pastoral de Saint-Merry qu’il serait mis fin à la mission qui lui était confiée, à la date du 1er mars. L’annonce a créé un véritable choc. Cette église du cœur de Paris, proche du centre Pompidou, vit depuis 1975 sous une double identité : une paroisse territoriale classique rassemblant les fidèles de l’ancien quartier des Halles-Beaubourg, et un Centre pastoral rassemblant des personnes venues de toute l’Ile-de-France et qui se retrouvent là par affinité et adhésion à un projet. À tort ou à raison, Saint-Merry fait figure de bastion « progressiste » du catholicisme parisien. Il n’en fallait pas davantage pour que l‘annonce de sa fermeture, dans des conditions qui restent confuses, soit dénoncée par certains comme la volonté du diocèse d’en finir avec une forme de pluralisme religieux dans la capitale. Ce qui, d’évidence, serait une profonde erreur ! 

 

Un lieu de rencontre avec le monde de l’art et de la culture

Le Centre pastoral des Halles-Beaubourg, devenu ultérieurement Centre pastoral de Saint-Merry, est né de l’intuition du cardinal François Marty dans les années d’après Concile Vatican II. Dans la perspective de l’ouverture prochaine du centre Georges Pompidou (inauguré en 1977) le cardinal souhaitait faire de Saint-Merry, confiée à un groupe de laïcs autour du père Xavier de Chalendar, un lieu de rencontre et de dialogue avec le monde de l’art et de la culture et plus largement avec le monde contemporain. Au fil des ans, le Centre pastoral s’est fait connaître pour la tonalité de ses liturgies dominicales, mais également pour son soutien aux migrants ou réfugiés, sa solidarité avec le Chili sous la dictature militaire mais aussi pour l’accueil de personnes « marginalisées » dans l’Eglise : homosexuels ou divorcés-remariés, avant les ouvertures pastorales du pape François. 

 

L’aboutissement d’une longue crise

Mais il n’était un secret pour personne que, depuis quelques années, la communauté traversait une période de fortes tensions. Coup sur coup, deux des prêtres nommés par le diocèse ont demandé à être relevés de leur charge : Daniel Duigou, ancien journaliste de télévision, prêtre et psychanalyste, proche de Mgr Jacques Gaillot, au bout de trois ans, qui confie volontiers avoir vécu là une « saison en enfer » et plus récemment, le père Alexandre Denis un an après sa nomination. Dans sa lettre, Mgr Aupetit fait d’ailleurs clairement allusion « à la manière dont un petit nombre contribuait à bloquer tout processus de discussion libre et combien cela générait un climat dans lequel la charité semblait totalement oubliée. » 

L’équipe pastorale semble reconnaître le bien fondé du grief évoqué par l’archevêque de Paris puisqu’on peut lire dans la réponse qui lui est adressée en date du 11 février : « Si certains des membres du Centre pastoral ont pu exprimer avec véhémence leur désaccord avec le P. Alexandre Denis, nous tenons à vous dire que cela ne reflète en rien l’opinion de la majorité de notre communauté. » Regrettant par ailleurs une décision prise dans la précipitation et sans consultation, elle invite à une reprise du dialogue, appuyant sa démarche par une pétition qui demande « le maintien d’un centre pastoral à Saint-Merry ».  

 

Pourquoi j’ai signé la pétition

Voilà pour le factuel ! Le lecteur me permettra une brève incise plus personnelle. Je connais Saint-Merry sans jamais avoir appartenu à la communauté proprement dite. J’ai choisi d’y célébrer, à plusieurs reprises, les fêtes de Noël ou de Pâques dans un climat d’accueil et de fraternité qui « me parlait ». J’y ai organisé puis animé, à la demande du Centre pastoral quelques soirées-débats en amont de l’élection présidentielle de 2017. Et comme nombre de franciliens, j’ai participé, deux années durant, aux Nuits sacrées, durant lesquelles les portes de l’église étaient généreusement ouvertes à des groupes musicaux de différentes religions : chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes et hindouistes. Et je compte nombre de mes amis qui sont, eux, des familiers de Saint-Merry. Autant de raisons personnelles qui m’ont conduit à signer la pétition.

 

Un soutien inconditionnel… nuancé de quelques questions

L’annonce de la fermeture du Centre pastoral a vite fait le « buzz » sur les réseaux sociaux, dans le monde de la cathosphère. Les réactions qui s’y exprimaient témoignaient le plus souvent d’une forme d’ignorance de la réalité de Saint-Merry – complexe, il est vrai, du fait de ses deux missions – et des causes qui avaient pu conduire l’archevêché de Paris à prendre une décision aussi radicale. Pour autant la tonalité générale n’en était pas moins au soutien inconditionnel d’un lieu jugé symbolique d’un « catholicisme d’ouverture », et à l’appel conséquent à signer et faire signer la pétition. Avec parfois, la mise en cause directe d’une volonté de « liquidation d’un trésor encombrant » (1). L’accusation est reprise dans une note d’info interne : « On peut penser que l’image de l’Église que présente le centre pastoral semble intolérable à l’autorité diocésaine parisienne actuelle. (…) Comment rejoindre ceux et celles qui se sont éloignés et qui pourtant voient en l’Évangile, une source de vie ? » 

Pour autant, sans contester que la décision puisse poser question, certains commentateurs soulignent le mea culpa implicite du Centre pastoral (2) pour en conclure que la communauté porte vraisemblablement une part de responsabilité dans l’épilogue de cette affaire. Et qu’il serait excessif de n’y voir que l’expression d’une forme de cléricalisme ordinaire dont les laïcs seraient les victimes. Sur Facebook, un observateur (Manuel Achard) écrit : « Je veux bien qu’on s’en prenne à Mgr Aupetit, mais lorsque le Conseil pastoral de Saint Merry fait partir deux prêtres aux personnalités clairement pas cléricales, ouvertes sur le monde et très proche des périphéries, on peut quand même s’interroger… Encore plus lorsque ce Conseil reconnaît ses erreurs. »

 

Héritiers sans partage de l’intuition des fondateurs

Alors, quelle lecture faire ? Il se pourrait que la réponse réside dans ce passage du texte déjà cité de Jean-Luc Lecat : « On peut supprimer tout ce que l’on veut à la communauté du Centre Pastoral, la seule chose vitale pour nous c’est cette rencontre ouverte à qui veut construite ensemble et célébrer au grand vent de la vie de notre monde. C’est d’abord pour cela que nous venons à Saint-Merry des quatre coins de Paris et de sa banlieue. C’est d’abord cela qui nous a été offert et confié par François Marty, archevêque de Paris, et par Xavier de Chalendar entouré de quelques passionnés, pour permettre à la vie du XXIe siècle de pénétrer dans l’Église et pour offrir à une communauté chrétienne ouverte à tous, en règle ou pas avec les schémas traditionnels, de s’ajuster à la demande de nos contemporains, à leurs attentes, à leurs besoins, au langage de notre temps. »

« C’est cela qui nous a été offert et confié par François Marty et Xavier de Chalendar… »  Inutile d’aller chercher ailleurs. On doit pouvoir l’écrire sans faux procès : le « noyau dur » de l’équipe d’animation du Centre pastoral est aujourd’hui composé de personnes qui font partie de la communauté de Saint-Merry depuis l’origine et s’estiment dépositaires de son intuition pastorale. À charge pour les prêtres nommés par le diocèse de se l’approprier… ou de se démettre ! Cela me remet en mémoire mes visites au Vatican, au temps où je dirigeais la rédaction de Pèlerin, et où j’ai entendu bien des fois, formulé en ces termes ou plus finement suggéré : « Vous savez, les papes passent, la curie reste ! » 

 

Un désir manifeste d’apaisement et de dialogue

Il n’appartient pas à l’observateur extérieur de faire la part des torts des uns et des autres. Sans doute les « fidèles » de Saint-Merry, attachés à son projet pastoral d’ouverture ; à son histoire, et familiers des messes dominicales n’ont-ils pas pris la juste mesure des problèmes de gouvernance qui, au fil du temps, pouvaient s’être enkystés ! L’électrochoc de la décision épiscopale est venu faire son office. La réponse de l’équipe d’animation du Centre pastoral à la lettre de Mgr Aupetit se termine en ces termes : « Nous pensons essentiel pour la communauté ecclésiale du Centre pastoral comme pour nous de vous rencontrer au plus tôt pour apporter des clarifications sur la justesse de notre projet, lever tous les malentendus sur notre démarche et inscrire les réformes à entreprendre. C’est avec confiance et insistance que nous vous demandons de répondre favorablement à notre demande, si possible dans les jours qui viennent, de façon à être en mesure de répondre à notre communauté qui se sent perdue et manifeste un fort besoin d’être rassurée. »

La rencontre doit avoir lieu ce vendredi avec Mgr Benoîst de Sinety, vicaire général, désigné comme médiateur en cette affaire. Difficile, pour lui, de ne pas mesurer l’enjeu de la décision à prendre ou confirmer. La création du Centre pastoral, en 1975, correspondait profondément au désir, au pari, d’inculturation du catholicisme voulu par le Concile Vatican II. Et cette exigence demeure dans le contexte actuel d’une Eglise en France tentée par une forme de repliement. Le risque, pour les années qui viennent, serait de bétonner ce qui reste de pratique et d’appartenance religieuses, encore fragilisées par les récents confinements, autour d’une seule sensibilité ecclésiale, au détriment d’un pluralisme exigeant. À tort ou à raison, le Centre pastoral de Saint-Merry fait figure de bastion « progressiste » dans un paysage ecclésial parisien plutôt monocolore. Tirer un trait sur son existence serait une profonde erreur, plus même, une faute pastorale ! 

René Poujol

 

POST SCRIPTUM

Je pense utile au lecteur de remonter ici, en post scriptum, le commentaire déposé à la suite de cet aticle par Pietro Pisarra, responsable de la communication du Centre Pastoral Saint-Merry :

Cher René,
Un très grand merci pour avoir dit si bien, avec rigueur et clarté, ce qui est en jeu. Oui, il y a eu beaucoup d’erreurs, de rigidités, de maladresses. Ne pas le reconnaître serait une faute encore plus grave, car la seule démarche possible pour des chrétiens est la réconciliation dans la vérité. Mais peut-on pour autant, sans le dialogue nécessaire, tirer un trait sur une expérience bien vivante et un lieu qui, loin d’être monocolore, exprime une variété de sensibilités. « Circumdata varietate », disaient de l’Église les Pères latins, car la variété et la diversité sont constitutives de la « catholicité ».
Le Centre pastoral Saint-Merry a essayé de prendre au sérieux l’invitation du cardinal Marty dans sa lettre de mission de 1974 : « Inventez l’Église de demain », rien de moins ! Et l’inventer aussi par de nouvelles formes de coresponsabilité. Or la coresponsabilité est exigeante, très difficile à vivre au quotidien, et encore plus la synodalité à laquelle nous invite le pape François. Elles – la coresponsabilité et la synodalité – ne se font pas sans heurts et demandent une remise en cause permanente, avec la boussole de l’Évangile, l’aide du magistère et « du sensus fidelium », toujours attentifs aux signes des temps. C’est là qu’il y a eu des failles des deux côtés. Mais cela ne justifie pas la décision brutale de l’archevêque. Car l’Église – nous répète sans cesse le pape François – n’est pas pour les parfaits, mais pour les boiteux et les pêcheurs que nous sommes, tous.
En ces jours difficiles, une amie a fait circuler ces mots de Tagore. Je sais que l’on peut mettre Tagore dans toutes les sauces, mais cette phrase résume bien la situation : « Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors ». On ne peut s’en sortir que par le dialogue dans la clarté et la vérité.

Pietro Pisarra
responsable de la Communication au Centre Pastoral Saint-Merry

  1. L’expression est de Jean-Luc Lecat, dans un texte qui a largement circulé [NDLR : et que nous avons publié dans Garrigues et Sentiers : http://www.garriguesetsentiers.org/2021/02/la-fermeture-du-centre-pastoral-saint-merry-une-mesure-de-liquidation-d-un-tresor-encombrant.html]
  2. Ce mea culpa devient d’ailleurs explicite dans la note d’info déjà évoquée où l’on peut lire : « La communauté du centre pastoral sait qu’elle doit faire et refaire son examen de conscience, et accueillir toute proposition de réconciliation. »

Source : https://www.renepoujol.fr/il-faut-sauver-lesprit-de-saint-merry/

 

Publié dans Réflexions en chemin

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