C’est le titre du livre publié d’abord en anglais de deux économistes français, professeurs à Berkeley en Californie, qui ont contribué à l’élaboration de programmes électoraux de certains candidats démocrates à la présidence des Etats-Unis. Le sous-titre de leur livre est : « Richesse, évasion fiscale et démocratie ». Leur introduction s’intitule « Réinventer la démocratie fiscale ». Dans le livre, les allusions à la France ne manquent pas, sans compter leurs interviews dans les media français.
Fiscalité et démocratie. La richesse c’est le pouvoir.
Les deux auteurs nous préviennent : si l’on veut éviter de s’enfoncer « dans la dérive inégalitaire et oligarchique qui a amené Trump au pouvoir » il serait sage d’étudier l’histoire des impôts aux Etats-Unis. Le père de la constitution américaine déclarait en 1792 : « le grand objet |des partis politiques] devrait être de combattre le mal (…) en ne permettant pas (…) à quelques-uns d’accroître l’inégalité des biens par une accumulation de richesses immodérée (1) ». En France, 7 milliardaires possèdent plus que les 30 % les plus pauvres et les 10% les plus riches possèdent 50 % des richesses, selon le rapport d’Oxfam en janvier 2020.
Si des milliardaires français souhaitent contrôler les médias (presse écrite, télévisions, radios) ce n’est pas parce ces secteurs leur rapportent beaucoup mais pour influencer l’opinion. Pour toute personne qui veut s’informer sur le contrôle des médias par quelques milliardaires français, il y a abondance d’information.
Gaël Giraud dans une interview reproduite dans l’Encyclopédie du changement de cap (https://eccap.fr) déclarait : « Quand vous êtes une banque qui gagne plusieurs milliards d’euros chaque année, vous pouvez acheter tous les économistes qui passent dans le débat public (…) quand vous multipliez votre salaire par dix en allant travailler un jour par semaine dans une banque, vous n’avez absolument pas envie de donner une interview dans un journal pour dire du mal des banques ».
Et pour montrer la difficulté de contrôler le secteur financier, Gaël Giraud poursuivait : « regardez les cinq premiers postes de toutes nos grandes banques, ce sont des anciens inspecteurs généraux des finances, à tel point que l’ancien PDG de BNP Paribas aime répéter qu’il y a plus d’inspecteurs généraux des finances à BNP Paribas qu’au service de l’Etat. Cela vous dit quelque chose de cette espèce de collusion complètement incestueuse entre la finance privée et la haute administration des finances publiques, qui devrait travailler pour l’intérêt général » (2).
Dans son livre Le prix de la démocratie (Ed. Fayard) Julia Cagé montre comment des questions en apparence techniques ont un rôle dans le sentiment d’abandon des classes moyennes et populaires, et dans la montée des populismes (3).
Une réforme fiscale est possible
Les auteurs du livre ont fait un travail remarquable de rassemblement des données en collaborant avec d’autres économistes et notamment Thomas Piketty. Pour analyser l’évolution du revenu national et sa répartition pour chaque catégorie sociale, ils tiennent compte de tous les impôts aux divers niveaux administratifs. Il en résulte que pour les Etats-Unis :
- de 1946 à 1980 il y a eu une croissance forte et équitable du revenu national grâce à des taux d’imposition marginaux quasi confiscatoires,
- par contre de 1980 à 2018 les classes populaires ont été exclues de la croissance.
De 1980 à 2018, les 1% les plus aisés (ceux qui touchent plus de 500.000 dollars aujourd’hui) ont vu leur revenu augmenter fortement. Pour une infime minorité, la croissance a été exponentielle : pour les 0,1% les plus fortunés les revenus ont augmenté de 320%, et pour les 0,001% (soit les deux mille trois cents américains les plus riches) de plus de 600%. Durant la même période les classes populaires, c’est-à-dire la moitié de la population qui perçoit les revenus les plus bas, n’ont pratiquement bénéficié d’aucun gain de revenu réel.
Il ne faut donc pas oublier que le taux marginal supérieur d’imposition des hauts revenus a été aux Etats-Unis de « 78% entre 1930 et 1980, dépassant même les 90% entre 1950 et 1963 ». C’est donc un retournement spectaculaire qui a été introduit par Ronald Reagan président des E.U. durant son second mandat en 1986. Après trois semaines de débat au Congrès, la nouvelle loi prévoyait le taux marginal supérieur d’imposition de 28%, soit le taux le plus bas de tous les pays développés. Et au Sénat la loi avait été adoptée par 97 voix contre trois. « Les démocrates Ted Kennedy, Al Gore, John Kerry et Joe Biden avaient tous voté « oui » dans un bel élan d’enthousiasme » (4) et les auteurs ajoutent : « Bien que peu populaire auprès des citoyens, cette réforme fiscale suscitait la ferveur dans les hautes sphères politiques et intellectuelles ». C’était le tournant néo-libéral qui amenait Margaret Thatcher à déclarer « La société n’existe pas, seuls les individus existent ». Et les auteurs de Triomphe de l’injustice constatent que pour les économistes qui enseignent dans les universités américaines enseigner les bienfaits du virage de Reagan « relève quasiment du devoir professionnel ».
Joe Biden nouveau président des E.U. n’a pas retenu (contrairement à Mme Warren qui était aussi candidate démocrate pour la présidence des E-U), les suggestions des auteurs du livre Le triomphe de l’injustice pour imposer davantage les grandes fortunes. Il est probable cependant que Joe Biden reviendra sur la décision de Trump d’abaisser l’impôt sur les sociétés.
Réforme fiscale et élections présidentielles de 2022
En France, le gouffre entre les plus riches et la classe moyenne au cours des 40 dernières années a été moindre qu’aux E.U. mais un débat démocratique est cependant essentiel pour qu’un candidat favorable à la lutte contre les inégalités nous prépare à la transition écologique et à une politique d’amélioration des services publics.
Il n’y a rien à attendre d’E.Macron, lui qui a été sourd jusqu’à présent :
- A toutes les demandes de rétablissement de l’impôt sur la fortune.
- Aux demandes qui ressortaient du grand débat national à la suite du mouvement des gilets jaunes, c’est-à-dire la demande d’une meilleure répartition de l’effort fiscal qui pèse trop à l’heure actuelle sur les classes moyennes.
- Au fait que 76% de la population interrogée par le baromètre Odoxa sur le moral économique des français réalisé pour BFM Business, Challenges et Aviva soutiennent l’instauration d’un nouvel impôt spécifique pour les plus aisés. Une mesure qui convainc une majorité de français, qu’ils soient sympathisants de gauche (86%), de LR (60%) ou de LREM (57%).
Alors qu’E.Macron recevait le 29 juin 2020 les 150 membres de la Convention Citoyenne pour le Climat, leur demande d’une taxe de 4% sur les dividendes distribués figurait déjà parmi les trois demandes qu’il refusait sur les 149 propositions contenues dans le rapport.
En s’appuyant sur les travaux des économistes français qui ont inspiré certains candidats démocrates pour les élections présidentielles aux E.U., nous avons les arguments et les outils pour relever les défis de l’évasion fiscale, assurer une meilleure coordination entre pays, passer de la course au moins disant à la course au mieux-disant.
Guy Roustang
(1) Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, Le triomphe de l’injustice, Traduit des E. U., éditions du Seuil, 2020, p. 227.
(2) Dans la rubrique Finance de l’eccap.fr Régulation financière et pantouflage ; Extrait d’une conférence de Gaël Giraud.
(3) Voir dans l’eccap « La démocratie et l’argent » selon Julia Cagé, octobre 2018.
(4) Le triomphe de l’injustice p.82.
Source : Lettre d'information n° 43 de l'Encyclopédie du changement de Cap (lettre@eccap.fr)