L’unité des Chrétiens n’est pas la construction d’une « megachurch »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Depuis 1908, à l’initiative du prêtre épiscopalien américain Paul Watson, des Églises chrétiennes vivent chaque année, entre le 18 et le 25 janvier, une semaine de prière pour leur unité. En 1933, l’abbé Paul Couturier de Lyon a donné à cette manifestation sa forme actuelle interconfessionnelle et internationale.

L’histoire du Christianisme a connu beaucoup de ruptures entre les Églises. Si la géopolitique a souvent été le terreau de ces crises, le besoin de réforme contre les dérives des institutions ecclésiastiques existantes en a été aussi le moteur. En Occident, l’intention de Luther et des réformateurs n’était pas de substituer une Église à une autre, mais de ramener le christianisme à sa pureté évangélique. Comme le note avec justesse le théologien catholique Yves Congar, l’Église catholique a toujours besoin de l’interpellation réformée : « Un grand nombre de textes officiels, de déclarations du pape et des évêques sont des exposés où la Parole de Dieu n’est pas interrogée et entendue d’abord comme la source et la norme, l’inspiration et la lumière de ce qui sera dit. On la cite plutôt en illustration. Nous avons encore besoin d’être interpellés par Luther » (1).

Plus fondamentalement, le pluralisme des Églises interdit à chacune d’entre elles de s’égaler à la totalité du Corps mystique du Christ. Si le désir d’unité des chrétiens, et plus généralement de l’humanité nous habite, il ne saurait conduire à l’enfermement dans une « megachurch » qui se définirait en quelque sorte comme la fin de l’histoire. Toutes les Églises sont provisoires et n’ont de sens que comme éducatrices de l’homme à l’accueil de l’Évangile, qui ne peut être que libre et entièrement personnel. L’universalité de la grâce invite chacun à recevoir et assumer ce qu’il a d’unique et non à rêver de conquêtes institutionnelles. Nous sommes tous fondamentalement minoritaires. L’humanité se construira par des relations entre des hommes s’assumant uniques et différents, en cela “ fils d’un même Père ”.

À l’occasion de la fusion historique des Églises réformées et luthériennes en 2013, pour constituer l’Église protestante unie de France, Laurent Schlumberger élu premier président de cette nouvelle Église déclarait ceci : « Les affiliations sont désormais individuelles et fluctuantes. Plus personne ne veut d’institution qui dicte ou délimite. Il y a donc une pluralité spirituelle que nous ne connaissions pas il y a encore une génération et demie. Nos contemporains sont à la recherche de témoins et non d’institutions qui encadrent. Notre union est le fruit de cette évolution. Mais notre réponse n’est pas identitaire. Souvent, mais pas toujours, la poussée évangélique ou ce qui touche à la nouvelle évangélisation catholique est identitaire. Nous affirmons l’hospitalité en faisant vivre, au sein d’une même Église, deux traditions de style différents » (3).

La crise, depuis des lustres, est à la Une des media, comme d’ailleurs, bien souvent, elle traverse nos vies personnelles. Le mot grec crisis signifie le moment de la hiérarchie des critères et des choix. La crise nous engage donc à sortir d’un certain flou confortable qui nous éviterait ces choix, parfois difficiles. La vie chrétienne ne se définit pas par une appartenance institutionnelle mais en vivant une continuelle « re-formation », une authentique formation permanente à l’écoute de la Parole de Dieu qui, nous dit l’épître aux Hébreux 4, 12 « est vivante, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles » et ne cesse de renouveler la face de la terre.

Bernard Ginisty

  1. Laurent GAGNEBIN, La fête de la Réformation in Revue Évangile & Liberté, n°192, octobre 2005.
  2. Yves CONGAR (1904-1995), Martin Luther, sa foi, sa réforme. Études de théologie historique, éditions du Cerf, 1983, p. 80. Yves Congar, religieux dominicain, fut un des théologiens catholiques les plus influents du 20e siècle. Il est connu pour ses travaux en ecclésiologie et œcuménisme. Sanctionné par la Curie romaine, il fut réhabilité et nommé expert au concile Vatican II et élevé au cardinalat par le pape Jean-Paul II.
  3. Laurent SCHLUMBERGER, interview pour le journal Le Figaro, 11 mai 2013.

Publié dans Réflexions en chemin

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