Habemus Matrem ? (suite) : Une démocratie municipale troublée

Publié le par Garrigues et Sentiers

Dans l’article Habemus Matrem ?, nous avons réfléchi sur les conséquences de la démission de la Maire de Marseille sur la participation aux élections, mais ceci n’en résume pas toutes les conséquences. Nous voudrions maintenant nous appesantir sur les contradictions actuelles de l’électorat. En effet les électeurs dans leur majorité semblent pris au piège de leurs revendications : ils expriment une défiance vis-à-vis des professionnels de la politique tout en désirant un changement des pratiques, un renouvellement de la classe politique avec une ouverture sur la société civile et l’appel à des personnes plus « ordinaires ».

Michèle Rubirola représentait ce symbole du renouvellement politique : femme, inconnue des médias, écologiste, n’ayant jamais occupé de fonction politique de premier plan. Pendant la campagne électorale elle a développé une méthode de Démocratie participative avec des ateliers ouverts à tous les habitants pour cerner les demandes.

En tournant la page de sa fonction de Maire a-t-elle méconnu le symbole qu’elle représentait ? Elle-même minimise la portée de son geste, « il n’y a pas d’homme ni de femme providentielle mais une équipe » autrement dit au sein de cette équipe on est interchangeable ? Les commentaires médiatiques pointent, eux, le retour aux « apparatchiks du parti socialiste : « Benoît Payan a fait toute sa carrière au sein du parti socialiste marseillais » (1), ce qui révulse le plus l’électorat !

Reconnaissons que l’héritage de Jean-Claude Gaudin est empoisonné. Marseille, ville surendettée, aux prises avec des problèmes dramatiques : le logement, les écoles, la pollution... ; aux prises avec le temps de travail du personnel municipal (2)… Mais quand bien même la situation serait-elle pas aussi lourde, les responsabilités d’un Maire sont écrasantes, et cette fonction est surexposée à l’expression du mécontentement des habitants.

Sans adopter le modèle du Prince de Machiavel pour conquérir et conserver le pouvoir, admettons la difficulté pour un militant d’une cause donnée, issu d’un parti, de devenir le représentant de l’intérêt général et d’être obligé de composer ses revendications avec celles de l’ensemble de la population. L’art du compromis, l’art de gouverner s’apprend avec la pratique politique.

Dans le schéma classique de la Démocratie représentative, les électeurs élisent leurs représentants, ils délèguent la mission de réalisation de leurs revendications.  Au terme du mandat électoral ils mesurent les résultats et pèsent la différence entre ce qu’ils voulaient et ce qui concrètement a pris forme sous leurs yeux. Plus la différence est grande, plus grande est la frustration, plus violents les ressentiments. Les électeurs peuvent changer leurs représentants et choisir un autre courant politique mais les changements de partis ne changent pas la médiocrité des résultats (3).

Avec la contestation sociale des Gilets Jaunes nous avons vu s’exprimer « la détestation des politiques », une défiance telle qu’elle s’est retournée contre leurs auteurs, dépourvu d’issue politique : le mouvement s’est fragmenté et dispersé.

Les électeurs en sont-ils réduits à l’abstention et à prendre les politiques, tous bords confondus, pour les boucs-émissaires de leur mal vivre en société ?

En 2007 Madame Segolène Royal, candidate au nom du Parti Socialiste à la présidentielle a lancé le mot d’ordre de Démocratie Participative, elle prenait en compte la déception récurrente des citoyens vis-à-vis de la Démocratie représentative. Ce concept s’est concrétisé sous plusieurs formes :

Par des « Conférences citoyennes » dont la dernière que nous venons de vivre avec la Conférence citoyenne sur le climat : 150 personnes tirées au sort ont travaillé pendant six mois sur les enjeux du Réchauffement climatique et les mesures pour l’enrayer. Elle a abouti à une trentaine de propositions mais pour le moment aucune de ces propositions n’a été reprise par l’Assemblée nationale, seule institution représentative du peuple qui vote les lois, d’où l’idée du Président de la République de faire un appel par référendum pour inscrire le climat dans la Constitution de la République.

Nous ne savons pas si le référendum proposé va aboutir mais cela a le mérite de montrer les limites des Conférences Citoyennes : elles ne peuvent aboutir qu’à des résultats de travaux, préalables de nouvelles lois reprises par l’Assemblée Nationale.

Une autre forme de la Démocratie participative se réalise dans les Conseils de Quartiers créés par des Mairies (en toute légalité, loi de 2002) comme groupe complémentaire des assemblées municipales. Michèle Rubirola porte ce projet pour Marseille, (un début de réalisation voit le jour dans le 15e arrondissement de Marseille) bien que Marseille soit dotée depuis Gaston Deferre de Comité d’intérêt de Quartier pour chaque arrondissement. La Confédération des CIQ regroupe actuellement 101 CIQ pour Marseille et sa périphérie (4).

Les Conseils de Quartiers restent des possibilités offertes par la Loi mais force est de constater que peu de municipalités offrent ce créneau démocratique pour au moins deux raisons :

1° Ils exigent beaucoup de disponibilité de la part du citoyen : même si leur présence est indemnisée, au fil du temps, les CC se vident de leurs participants.

2° Ils doivent dégager en leur sein une volonté unitaire autour d’un projet mais les participants provenant de milieux, de territoires, de générations différentes ont du mal à dégager une position unitaire consensuelle.

Comment sortir des contradictions démocratiques ? Une issue voit-elle le jour dans certaines municipalités dont les maires impulsent une vie démocratique qu’ils définissent comme la Démocratie implicative ou coopérative ? L’objectif étant de permettre à leurs habitants, au cas par cas, de s’impliquer dans la création de projets, de devenir co-partenaires de la vie municipale dans une réalisation concrète.

Aux dernières rencontres des Semaines sociales de France des 27/28/29 novembre 2020 les maires Daniel Cueff et François Garay ont partagé leurs expériences (5).

Le premier, maire pendant 20 ans du village de Langouët, a vécu la Démocratie participative comme l’expression d’une majorité conservatrice, opposée à l’innovation.

Convaincu de la nécessité de convertir son territoire à l’écologie, il a alors impulsé une autre méthode : proposer des actions concrètes comme la cantine scolaire 100% bio que la municipalité a réalisée avec les parents des enfants scolarisés. Tout le monde s’est mis au travail « avec le même niveau d’incompétence » et en quelques années les menus proposés aux enfants proviennent de l’agriculture biologique locale.

Fort de cette méthode, le village de Langouët est devenu un « prototype » écologique avec : indépendance énergétique, habitat social écologique… Daniel Cueff en tire des leçons démocratiques : 1° l’orientation politique est de la responsabilité de l’élu ; 2° la réalisation est l’affaire de tous ; 3° la place des experts ne se situe pas en amont des décisions politiques mais en cours d’élaboration.

L’autre maire, celui des Mureaux, François Garay, lui aussi opposé à la Démocratie Participative s’est tourné vers la Démocratie implicative. Là encore les résultats concrets sont impressionnants : un quartier avec le label écologique, la diffusion de l’apprentissage pour tous les jeunes avec de nouvelles possibilités (Justice, Police, Mairie).

Le maire a impulsé une orientation politique qu’il résume par le sigle EEAA : Education-Ethique-Autonomie-Activité. Les habitants sont invités à participer activement à cette orientation, y compris les enfants et les jeunes (Conseil municipal des enfants, passeport citoyen Pour les jeunes…).

Un des mérites des actions coopératives entre élus et habitants réside dans l’évolution des habitants, ils acquièrent des compétences en modifiant leur environnement, ils ne vivent plus passivement leur statut de citoyen, ils se rendent compte de la difficulté, de la complexité à réaliser matériellement et humainement les changements auxquels ils aspirent.

Revenons à la situation de Marseille aux prises avec l’évènement de la démission de son Maire. Sera-t-il le prélude à un nouvel exercice du pouvoir : exercice plus collectif, plus innovant ? Où verrons-nous une crise politique s’ajouter à une crise économique, sociale, sanitaire pour en fin de compte, aggraver la situation sociale des Marseillais ?

En régime démocratique, les citoyens ne peuvent pas se passer des politiques, ces derniers donnent les orientations que va prendre le Bien Commun décidé par les électeurs. Pour l’heure le Printemps marseillais subit le trouble engendré par l’évènement de la démission, il lui appartient de le réduire à une péripétie, de sorte que les électeurs soient de nouveau prêts à lui emboîter le pas pour répondre aux enjeux de la situation actuelle de la seconde ville de France.

Christiane Giraud-Barra

  • 1) émission d’Elisabeth Quin sur Arte le vendredi 18/12/20), articles de La Provence du du 15.12.2020.
  • 2) La Provence du 4.12.2020 « LePNF veut faire juger Gaudin ».
  • 3) Dossier de la revue Projet n° 378 « En notre nom La représentation en question »,Oct-Nov 2020.
  • 4) À la différence des Conseils Citoyens, les CIQ sont des assemblées consultatives de bénévoles, elles ne sont pas dotées de budget de fonctionnement ni d’investissement.
  • 5) 94e rencontres des Semaines sociales de France « Une société à reconstruire » les 27.28.29 Novembre 2020, visibles en Replay sur le site : www.ssf-fr.org.

Publié dans Réflexions en chemin

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