Communautés chrétiennes pour « le monde d’après »
Dans le travail sur « le monde d’après la pandémie » qui est aujourd’hui une urgence pour toutes les institutions, la pensée d’Andrea Riccardi, historien spécialiste du christianisme et des religions, fondateur de la communauté Sant’Egidio connue pour son engagement dans des régions touchées par des conflits, présente un grand intérêt. Dans son ouvrage Périphéries. Crises et nouveautés dans l’Église publié en 2016 (1), il propose à l’Église catholique ce qu’il appelle « le retour des périphéries » que le pape François définissait ainsi dans un discours aux supérieurs généraux des communautés religieuses : « Je suis convaincu d’une chose : les grands changements de l’histoire se sont produits quand la réalité a été vue non depuis le centre, mais depuis la périphérie. C’est une question herméneutique : on ne comprend la réalité que si on la regarde depuis la périphérie, et non pas si notre regard est placé dans un centre à égale distance de tout. Pour comprendre vraiment la réalité, nous devons nous éloigner de la position centrale de calme et de tranquillité et nous diriger vers la zone périphérique » (2).
Pour Andrea Riccardi, les périphéries et les êtres en marge sont constitutifs du christianisme. C’est ce que montre l’histoire de ce peuple « périphérique » par rapport aux grands empires qu’est Israël, le thème du « petit reste » dans ce peuple sur lequel se fondent les espoirs des prophètes, l’apparition de Jésus, « galiléen périphérique » sur lequel s’interroge un futur disciple : « Quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth ? » (Jn 1, 45-46). Pour lui, la politique de « décentralisation » menée dans le catholicisme à la suite du Concile est restée dans le schéma ancien « d’une Église gouvernée par le centre, qui avait besoin de dimensions plus humaines et moins vastes. En réalité, le vrai problème n’est pas de réduire les grands diocèses en circonscriptions plus réduites, mais de faire renaître l’Église dans la périphérie : en somme, de donner naissance à des communautés et des expériences chrétiennes qui fleurissent dans ces lieux » (3). A ses yeux, il s’agit moins d’adapter que de « recommencer » : « Recommencer depuis la périphérie avec l’Évangile, c’est répondre aux exigences profondes du chemin chrétien dans l’histoire. Ce n’est pas tant une stratégie pour arriver par paliers au centre de la société, qu’un passage décisif pour parvenir au cœur du message chrétien » (4).
Ce « passage décisif », c’est l’engagement dans la fraternité universelle que vient de rappeler avec force le Pape François dans son encyclique Fratelli tutti : « Le coup dur et inattendu de cette pandémie hors de contrôle a forcé à penser aux êtres humains, à tous, plutôt qu’aux bénéfices de certains. Aujourd’hui, nous pouvons reconnaître que nous nous sommes nourris de rêves de splendeur et de grandeur, et que nous avons fini par manger distraction, fermeture et solitude. Nous sommes gavés de connexions, et nous avons perdu le sens de la fraternité. Prisonniers de la virtualité, nous avons perdu le goût du réel. La douleur, l’incertitude, la peur et la conscience des limites de chacun, que la pandémie a suscitées, appellent à repenser nos modes de vie, nos relations, l’organisation de nos sociétés et surtout le sens de notre existence » (5).
Nous sommes probablement à l’heure annoncée par ces paroles prophétiques de Martin Luther King prononcées quelques jours avant son assassinat : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots » (6).
Bernard Ginisty
(1) Andrea RICCARDI, Périphéries. Crises et nouveautés dans l’Église, éditions du Cerf, 2016.
(2) Pape FRANÇOIS, cité p. 145-146.
(3) Andrea RICCARDI, op.cit. pages 143-144.
(4) Id. p. 151.
(5) Pape FRANÇOIS, encyclique Fratelli tutti, 2020, § 33.
(6) Martin Luther KING (1920-1968), discours du 31 mars 1968.