Noël 2020, « Le monde ne sera plus comme avant »

Publié le par Garrigues et Sentiers

 

Le roi Salomon s’est écrié: « J’ai construit la maison pour le Nom de Yahvé...Mais Dieu habiterait vraiment avec les hommes sur la terre ? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent le contenir » (1R 8, 20, 27). Dans la fidélité à sa promesse faite à David (qui suit celles envers Abraham, puis envers Moïse), Dieu vient au milieu de son peuple, mais il est si grand que c’est seulement par son Nom qu’il habite le temple. « Je consacre cette maison que tu as bâtie, en y plaçant mon Nom à jamais; mes yeux et mon cœur y seront toujours » (1 R 9, 3). Ce Nom par lequel Dieu se fait connaître de son peuple n’est-il pas le Verbe qui nous le révèlera ?

Mille ans plus tard, Jésus dit à la Samaritaine : « L’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père […] Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est dans l’esprit et la vérité qu’ils doivent adorer » (Jn 4, 21, 24). Que s’est-il passé qui puisse expliquer ce retournement de situation ?

 

Un événement fondateur du nouveau monde : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14), l’homme Jésus étant au cœur de cet événement inouï, tellement inouï qu’on risque de n’y plus faire attention : Dieu ne se contente pas de se pencher sur son peuple comme le signifie de façon magnifique Salomon tout au long du chapitre 8 du livre des Rois. Dieu se fait nous pour nous associer à sa vie trinitaire, vie de relation d’amour. Nous avons besoin d’images, nous avons besoin de décomposer la réalité pour la comprendre, pour en pénétrer la profondeur. Alors pour nous Dieu se révèle comme Père, Verbe et Esprit, relation de Dieu avec Dieu dans cette unité trinitaire. Et par le Verbe il nous incorpore à cette vie, par sa Parole qui nous donne l’Esprit, Esprit qui nous permet de rentrer dans cette adoration « dans l’esprit et la vérité » annoncée par Jésus.
 

Une fois reçue l’annonce de l’Incarnation du Verbe, nous pouvons décliner ce que cela peut signifier pour nous. Dieu sauve, Dieu libère : le Benedictus de Zacharie (Lc 1, 67-79) loue cette fidélité de Dieu à sa promesse dans l’histoire commencée avec Abraham, le Magnificat de Marie (Lc 1, 46-55) rend grâce pour ce salut qui nous arrive, pour cette révolution (« Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles ») qui inaugure un temps nouveau.

 

On change de registre, rien ne sera comme avant.

 

Dieu est resté fidèle à son peuple depuis le pays d’Égypte jusqu’au don du Fils. La venue du Fils n’est pas un événement soudain et isolé, mais l’acmé, le sommet, de la relation de Dieu avec son peuple. Toute l’histoire d’Israël tendait à ce bouleversement : Dieu se fait homme pour nous diviniser.
Jésus fils de David, mais roi pauvre, faible. On le reconnaît à sa pauvreté. Le Salut pour les hommes : devenir le peuple de Dieu. Le bâton du tyran est brisé, grande lumière. « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules » (Is 9, 5) : le pouvoir sur les épaules de l’enfant n’est pas celui des rois puissants mais celui de la pauvreté, de la faiblesse. Dieu sauve dans la pauvreté. L’enfant pauvre et faible ne pourra rien (et d’ailleurs ira à l’échec final de la Croix), mais l’Esprit fera tout. Notre rôle, notre place, est de le recevoir et de préparer le chemin pour cela: « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droit le chemin du Seigneur » (Jn 1, 23) a proclamé le Baptiste. Nous ne sommes pas notre propre Justice, c’est Dieu qui nous justifie; si nous prétendons faire son œuvre, nous usurpons sa place. Notre mission est de lui faire sa place.

 

Que change pour nous cette présence de Dieu incarné parmi nous ? Tout homme que nous rencontrons est habité par Dieu. La création est sacralisée, toute notre action pour permettre au monde de vivre devient une action sacrée. On a raison de dénoncer la façon de déclarer sacrés des objets ou des personnes, c’est-à-dire de les séparer du reste pour les associer à la divinité. L’Incarnation du Verbe, elle, rend sacrée toute la création, sacrée ne signifie alors pas séparée mais aspirée dans la vie divine1.

« Le monde ne sera plus comme avant », proclame-t-on sans cesse depuis un an. Nous pouvons en douter, les hommes sont-ils prêts pour cela ? Mais si nous croyons à l’Incarnation, si nous le croyons par nos actes, alors oui le monde est transformé, un nouveau monde advient.


Les textes des différentes messes de Noël (vigile, nuit, aube, jour) nous rappellent la merveille de cette action de Dieu : ils racontent cette histoire du salut en commençant par un texte d’Isaïe (Is 62, 1-5) qui proclame l’amour de Dieu pour son peuple (« toi, tu seras appelée ‘ma préférence’ ») pour finir avec celui de Jean : « et le Verbe s’est fait chair », en rappelant la place particulière de Marie qui «cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » (Lc 2, 19).

 

Marc Durand

 

1 – Le pape vient de publier l’encyclique « fratelli tutti » qui reprend nombre de ses interventions précédentes. Elle s’intéresse à l’organisation du monde, aux relations des hommes entre eux et avec la Nature. C’est bien le caractère sacré du monde, sacralisé par l’Incarnation du Verbe, qui est le fondement de ce texte adressé à tous les hommes.

 


 

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V
Je signale, sur un site catholique, le lien https://www.diakonos.be/settimo-cielo/tous-freres-mais-sans-dieu-un-philosophe-critique-la-derniere-encyclique-de-françois/ Le titre est trompeur. Philippe Satoli ne critique pas l’encyclique, mais soutient que «Ce qui caractérise toujours plus le christianisme c’est de plus en plus la question de la “caritas” au détriment de celle de la Transcendance. “Fratelli tutti” en est un parfait exemple». Je doute que vous soyez d'accord. Je pense que, pour vous, il n'y a pas contradiction. Au contraire. La révélation chrétienne, c'est précisément cela: la Transcendance se manifeste dans son essence comme «caritas». (Là où Satoli sera en désaccord, c'est que ce christianisme-là est pour lui un autre christianisme que celui qui existait jusque-là, où Jésus de fait n'est plus considéré que comme un homme et où il disparaît comme Dieu.)<br /> <br /> Armand Vulliet
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V
Je ne sais pourquoi j’ai écrit Philippe Satoli au lieu de Salvatore Napoli. Son commentaire de l’encyclique figure dans: Papa Francesco, Fratelli tutti, Scholé, 2020.<br /> <br /> Armand Vulliet