Habemus Matrem ?
Après une longue période de rumeur la démission de la Maire de Marseille, Michèle Rubirola, a été annoncée ce mardi 15 Décembre 2020 par elle-même. Cela a de nombreuses conséquences mais signe peut-être un changement d’époque prophétisé par des fictions comme le film de Nanni Moretti Habemus Papam (1). Dans ce film nous avions le spectacle d’une personne qui refusait son élection à une des fonctions les plus prestigieuses qui soient : pape de l’Eglise Catholique. Cette fiction nous permet-elle d’explorer la réalité ?
Le Cardinal Melville refuse de s’asseoir sur le trône de Saint Pierre. Le film donne à voir un fait qu’il éclaire par des données personnelles, il ne s’intéresse pas à l’aspect politique du phénomène, bien que le Vatican soit un état. Nous ferons l’inverse : loin de nous appesantir sur des traits psychologiques (qui ont leur part), nous nous interrogerons sur les conséquences politiques qui pourraient résulter d’une telle hypothèse.
En quoi la démission de la Maire de Marseille crée-t-elle un problème politique, dans le contexte d’une démocratie municipale ?
En première analyse, elle pose le problème du pacte de confiance entre les électeurs et les élus qu’ils choisissent, car la justification donnée n’est en rien une justification, les langues se sont déliées : Michèle Rubirola a mené campagne pour le mouvement politique du Printemps Marseillais (2), mais elle n’a jamais voulu être maire de Marseille : le plus tôt possible – « trois mois » –, elle abandonnerait cette fonction pour son « binôme » Benoît Payan, socialiste et élu municipal d’opposition. Elle, elle ne désire pas le pouvoir, soit ! Mais en toute ignorance de ce fait, les électeurs se trouvent placés devant les résultats de combinazioni qui n’ont jamais été officialisées.
Dans le secteur des 13e/14e arrondissements de Marseille, nous avons déjà vécu ce phénomène avec la disparition imprévisible au lendemain de la victoire électorale du leader de la liste LR : Le Général Galtier aussitôt nommé, aussitôt appelé (disparu) vers d'autres fonctions. Les électeurs n’avaient pas été mis au courant de ce cas de figure, et, bien au contraire le Général de Gendarmerie avait fait campagne sur l’insécurité en rapport avec son titre. Ces arrondissements sont les lieux d’une insécurité qui fournit toujours un des thèmes électoraux essentiels des campagnes.
C’est Marion Bareille, seconde sur la liste, qui s’est retrouvée Maire de secteur (secteur dont la population de 160.000 habitants est égale à celle de la ville d’Aix-En-Provence) ; or il s’agit d’un cadre bancaire toujours en poste actuellement. Rappelons que cette décision est légale mais cela n’empêche pas que les électeurs se sentent dupés, le jouet de décisions internes aux partis auxquelles ils n’ont pas pris part.
Tout le monde s’accorde à dire, écrire, commenter, la défiance qui s’est installée entre les partis politiques et la population, défiance qui fonde en partie la baisse inexorable de la participation aux élections. Dans certains bureaux de vote du secteur des 13e/14e arrondissements, le taux de participation a été de 20 % !
Dans ces conditions, quel retentissement aura sur les électeurs la démission de leur Maire dont la personnalité s’est révélée un facteur décisif de la victoire électorale du Printemps Marseillais ? Elle a créé l’unité et l’équilibre des divers courants politiques du Printemps Marseillais, certains parmi ces courant étant farouchement opposés à une liste menée par le socialiste Benoît Payan.
Si les électeurs s’intéressent avant tout au programme des partis en présence, à l’adéquation entre ce programme et leurs revendications, ils cherchent aussi à nouer une relation confiante avec les élus qui les représentent, facteur d’autant plus important dans une société ou l’individualisme s’accroît et de ce fait rejaillit sur la personnalisation du pouvoir. Les électeurs ont voté pour Michèle Rubirola ; auraient-ils voté pour Benoît Payan ? Tout laisse à penser que non ! (3).
Ce qui apparaît comme une ruse politicienne aura-t-il une influence sur la prochaine participation aux élections ? Accusera-t-elle une nouvelle baisse au point de remettre en cause les résultats et la légitimité des élus ? Pour atténuer ce « boomerang » notre Maire ne devrait-elle pas avant de partir s’en expliquer dans une conférence de presse, de telle façon que son « Non » au pouvoir ne soit pas perçu comme une violence (4), mais plutôt comme « l’exigence d’une réflexion sur l’action politique et les enjeux du moment », et qu’elle ne rejoigne pas le pontife du cinéma qui, du haut de la place Saint-Pierre de Rome, délivre ce message à la foule : « Je ne suis pas le chef dont vous avez besoin »… Dont acte ?
Christiane Giraud-Barra
- Habemus Papam, film de Nanni Moretti, 2011.
- Article du journal Le Monde du 14 octobre, « Les débuts déroutants de Michelle Rubirola ».
- « Le fait du jour » du journal La Provence, mercredi 16 décembre 2020.
- « La violence du Non, le geste de Delors », dans Claude Lefort, Le temps présent. Écrits 1945- 2005, éd. Belin, Paris, Paris 2007 (article paru dans le journal Libération consultable en ligne : https://www.liberation.fr/tribune/1995/01/02/la-violence-du-non-de-jacques-delors_121477