EEK. श्याम கறுப்பு - « Noir c’est noir », comme disait Johnny en 1966
En sur-titrant les quelques considérations linguistiques suivantes en maya, sanskrit et tamoul, j’espère échapper à la censure de la nouvelle « bien pensance » anti-colonialiste. Il ne faut pas prendre les mots au mot.
Ainsi donc, au cours d’un match de foot, un « quatrième arbitre » crée un incident « raciste » en ayant utilisé le mot « negru » (« noir » en roumain nationalité du délinquant) pour montrer une personne sur le terrain. La question n’est pas de savoir s’il a simplement voulu parler d’une personne de peau noire ou s’il a voulu la désigner comme « négro », terme dévalorisant, il a pu être de bonne ou de mauvaise foi. Peu importe pour notre sujet. Parmi les arguments des accusateurs : « Si la personne avait été blanche, il n’aurait pas dit ‘le blanc, là-bas’ ». En Europe sans doute, mais si un joueur blanc avait participé à une rencontre dans une ville d’Afrique « noire », seul « blanc » parmi des joueurs sub-sahariens, est-ce que, par facilité, on ne l’aurait pas désigné ainsi, puisque ça aurait été sa caractéristique en ce lieu ?
Le mot « nègre » est banni parce qu’il rappelle l’esclavage qui a été une abomination et un véritable crime contre l’humanité. Son rejet peut paraître compréhensible en notre temps, où son caractère péjoratif insupporte, mais qu'on se donne le ridicule de l’inculture en voulant remonter le temps c’est une autre chose, qui ne laisse pas d’être troublante. Renommer les Dix petits nègres d’Agatha Christie, champion des romans policiers avec 100 millions d’exemplaires vendus depuis 1939, en Ils étaient dix, et remplacer dans le corps du texte les 74 occurrences par « soldats » pose problème. Combien de livres devraient être retirés de nos bibliothèques ? Voltaire présenté comme la lumière des Lumières employait ce mot sans nos nuances. Combien de toponymes devront être modifiés ? Va-t-on réimprimer les cartes géographiques qui en portent mention ? Et tout cela, jusqu’où ?
Si on corrige le mot « nègre » dans tous les ouvrages, et afin de ne pas faire de discrimination, on devra censurer des écrivains africains aussi importants que Senghor, Césaire, Cheik Hamidou Kane et bien d’autres. On sait pourtant que, dans l’entre-deux-guerres, un groupe d’écrivains « noirs » francophones s’est emparé du mot pour en faire une sorte d’emblème pour un courant littéraire et politique anti-colonialiste. La « Négritude », mot forgé en 1935 par Aimé Césaire, repris par Léopold Sédar Senghor, exprime l’« Ensemble de valeurs culturelles et spirituelles revendiquées par des Noirs comme leur étant propres ; prise de conscience de l'appartenance à cette culture spécifique » (Dictionnaire Larousse).
Il est normal et sain de traquer les mots qui, dans l’usage d’aujourd’hui, ont un relent de mépris pour quelque groupe humain que ce soit : personnes de nationalités, de couleurs, de métiers, de sexe différents, ou présentant des caractéristiques physiques particulières etc. Mais soyons prudents. Il y a, en même temps, une espèce de fausse pudeur qui rend nos discours alambiqués. Par exemple, « aveugle » a longtemps désigné quelqu’un qui avait perdu la vue, fût-ce moralement (Cf. « La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient » de Diderot (1749) au double sens appuyé). Le terme d’aveugle était-il infamant qu’on l’ait remplacé par le mièvre « non-voyant », décliné ensuite pour les sourds et autres personnes handicapées. D’ailleurs, on dit de celles-ci non pas qu’elles sont « handicapées », mais en « situation de handicap », comme on le ferait pour atténuer une réalité qui serait choquante.
Autre précaution dans la révision des mots. On dénonce à juste titre les façons péjoratives dont les colonisateurs désignaient parfois les autochtones du Maghreb : « ratons », « bicots » etc., c’était effectivement insupportable. Mais l’étiquette de « roumi » donnée par ces mêmes autochtones aux européens venus ou vivant dans ces pays était, de fait, tout aussi injurieuse, de même, moins fréquente peut-être, celle de « kafir » (infidèle), qui dans la bouche d’un « vrai croyant » est plus qu’infamant, littéralement une (con)damnation éternelle…
Alors pour mettre fin à tous ces (faux) débats, ne pourrait-on arrêter de se jeter ces rappels à la face, s’asseoir et débattre sereinement de ce qu’il convient de dire à l’avenir, mais sans remonter dans le temps. Le passé a eu sa vision des choses et des gens, dont il vaudrait mieux essayer de comprendre l’origine et le sens donné alors, que de contester a posteriori ce qui était dit, vainement puisque c’est… passé.
Jean-Baptiste Désert