Liberté d’expression et révélation chrétienne

Publié le par Garrigues et Sentiers

Ces quelques lignes sont une réflexion personnelle sur la liberté d’expression dans le contexte actuel avec une question : en quoi la révélation chrétienne vient éclairer la liberté d’expression et son usage ?

A-t-on le droit de représenter le Prophète et de le caricaturer ? La réponse est oui. Il n’y a pas de limite a priori à la liberté d’expression, pas plus d’ailleurs qu’à la liberté de conscience ou à la liberté religieuse, à cause même de la nature de la liberté. La liberté est en soi sans limite. La révélation chrétienne fonde la liberté en Dieu lui-même. Dieu nous veut libres comme lui, autant dire une liberté infinie. Et si le Christ nous a libérés c’est pour que nous soyons vraiment libres (Gal 5, 1). La liberté n’est pas un moyen, elle est une fin.

Mais quel est son fondement ? On peut s’inspirer du débat qui eut lieu au concile Vatican II à propos de la liberté religieuse. D’aucuns disaient que la liberté religieuse est un droit civique. Mais cette opinion parut insuffisante pour fonder la liberté religieuse. Elle est une exigence irréductible de la dignité de la personne humaine et c’est pour cela qu’elle doit être un droit civil. Aucune contrainte en religion ne doit être exercée, tant de la part « d’individus, de groupes sociaux et de quelque pouvoir humain » pour que chacun puisse agir selon les dictées de sa conscience.

Il semble que, d’une certaine manière, nous pouvons dire la même chose pour la liberté d’expression. Elle n’est pas seulement un droit civique, elle est fondée sur la dignité de la personne humaine à qui on ne peut enlever a priori la possibilité de s’exprimer librement. De même qu’à cause de son fondement dans la dignité de la personne, la liberté religieuse ne peut être contrainte, de même la liberté d’expression ne peut être limitée a priori. De même que la liberté religieuse ne s’évalue pas à partir de contenus de croyances, de même la liberté d’expression ne dépend pas de ce qui est exprimé.

La liberté ne va jamais sans soulever des débats, souvent avec le projet avoué ou non de la restreindre. Jésus a été un homme libre. Lui-même s’est vu reprocher sa trop grande liberté de parole et d’action, sa liberté affichée par rapport à Dieu, par rapport au Sabbat, ou par rapport à la nourriture. Il a été accusé de blasphème et ce fut un élément du procès qui le conduisit à la mort. Les « justes » qui l’accusèrent de blasphème furent ceux qui le conduisirent à la mort. Cherchez l’erreur ! Qui peut s’arroger le droit de décider ce qu’est un blasphème ?

Peut-on utiliser la caricature ? On peut donc caricaturer une religion, ou ses représentants. La caricature elle-même est une forme de langage qui a son intérêt propre. Elle permet de faire passer des messages. Le rire est un formidable moyen pour dénoncer des maux. Risus castigat mores (le rire corrige les mœurs) disaient les Anciens. En soi ce langage, pour dérangeant qu’il soit quand on est visé par la critique, n’a rien de répréhensible, restant sauves sa qualité graphique et la qualité de son message. Ce qui n’est pas toujours le cas. Il y a de bonnes caricatures et de nettement moins bonnes. On peut estimer que celle représentant le prophète éploré de devoir supporter des terroristes qui se prétendent musulmans n’est pas dénuée de sens et bien des musulmans peuvent adhérer au message même s’ils ne souscrivent pas à la forme.

La question alors se pose de savoir si on peut représenter le Prophète. Cette question peut se poser pour les musulmans. Elle ne se pose pas pour les autres qui ne sont pas tenus par un lien particulier avec le Prophète. Par ailleurs les musulmans qui connaissent l’histoire de leur religion savent que la tradition musulmane, en d’autres temps et en d’autres lieux, ne s’est pas privée de le représenter. Ils savent aussi que le Coran lui-même, loin de sacraliser le prophète, restreint sa place et son rôle eu égard à l’unique absolu du Dieu. Donc rien ne s’oppose à représenter le Prophète, voire à le caricaturer. Rappelons encore une fois que la liberté est toujours absolue dans son principe dès lors qu’elle est fondamentale.

Faut-il pour autant l’imposer ? Celui qui achète Charlie Hebdo assume le fait de voir des caricatures. En revanche personne n’a le droit d’imposer à qui que ce soit de les regarder en les projetant publiquement comme ce fut le cas sur la façade de l’hôtel de Région à Montpellier. La liberté de voir ou de ne pas voir doit être totale au même titre que la liberté d’expression. Et donc c’est une atteinte grave à la liberté que d’imposer à quelqu’un de regarder une caricature qu’il n’a pas envie de voir.

Mais il est un autre critère qui peut nous guider. Je l’emprunte à saint Paul dans la querelle dite des idolothytes. Rappelons le contexte. Les juifs devenus chrétiens étaient scandalisés, à un point qu’on ne peut imaginer, que d’autres chrétiens consomment des viandes qui comme toutes les viandes dans l’Empire, à l’exception de celles que consommaient les juifs, avaient été tuées en l’honneur des dieux avant d’être mises sur les étals du marché. Cela créait une crise dans la communauté de Corinthe. On demande l’avis de Paul et que dit-il ?

Son argumentation est claire. Elle peut se résumer en quelques mots. Il s’adresse aux chrétiens venus du paganisme. Vous êtes libres de manger de tout ce que vous voulez et donc aussi des viandes qui proviennent de sacrifices offerts à des idoles. On aurait pu imaginer qu’il mette des réserves à cause de risques de compromission avec les rites païens. Nullement ! Ne vous posez pas de question à propos d’idoles puisque de toutes façons pour vous elles n’existent pas ! Vous êtes des forts. Vous avez la connaissance et cette connaissance est double : les idoles n’existent pas et Jésus nous a libérés. Donc vous avez le droit. Mais « que votre droit de devienne pas une pierre d’achoppement pour les faibles » (1 Cor 8, 9). Tu risques de heurter la conscience de celui qui est d’une autre culture que toi et qui va te voir attablé dans une des salles du temple à festoyer avec tes amis. Et donc par motif d’amour du prochain tu dois éviter de le choquer. Tu peux manger ce que tu veux mais tu dois veiller à ne pas blesser ton frère, et à ne pas le fragiliser, etc.

Il me semble qu’en raisonnant ainsi Paul garantit la totalité de la liberté. Nous pouvons manger, boire, regarder, dessiner, caricaturer tout ce que nous voulons. Aucune restriction à la liberté qui par nature est infinie car elle est un attribut de Dieu. Dans la pratique nous devons juste veiller à tenir compte de notre propre faiblesse et surtout à ce que l’autre, l’autre croyant, le frère ne soit pas fragilisé dans sa foi. Pour la question de la liberté d’expression, il en va de même. Elle est totale et personne ne peut à priori la restreindre. Nous pouvons caricaturer qui nous voulons, y compris les religions, y compris la nôtre. Nous devons juste veiller dans la pratique à ce que notre attitude et l’orgueil que nous aurions à l’afficher ne vienne pas fragiliser des frères. Cela s’appelle le discernement. « Tout est possible mais tout n’est pas profitable » (1 Cor 6, 12).

Christian Salenson

Publié dans Réflexions en chemin

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J
Voici une expression qui m'apparaît très éclairante - si chacun se l'applique : <br /> ma liberté s'arrête là où commence celle des autres.<br /> Jl
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D
Texte plein de sagesse, demandant l'attention à l'autre. Cela s'appelle la charité? Mais une petite difficulté: "personne n’a le droit d’imposer à qui que ce soit de les regarder en les projetant publiquement" dit l'auteur. Bien d'accord, et alors quid de la publicité qui nous agresse constamment? Donc pas si simple!
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