A l'écoute de la Parole de Dieu : Un temps béni, celui de l’Avent.
A l’occasion de la présentation habituelle des textes liturgiques de ce dimanche, nous vous invitons à réfléchir sur ce que peut être le temps de l’Avent.
Premier dimanche de l’Avent
Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7 ; Ps 79 (80) ; 1 Co 1, 3-9 ;
Mc 13, 33-37.
L’Avent, temps de préparation à la fête de Noël. Mais Noël, première fête qui ouvre l’année liturgique, est la fête du « Nouvel An » liturgique, que l’on peut associer au « Nouvel An » civil du premier janvier. L’Avent devient ainsi le temps de préparation à la nouvelle année. En cette période troublée, il peut être bon d’insister sur cette préparation. Bien des textes publiés ces derniers temps insistent sur l’espérance. Cette espérance doit inspirer la préparation de l’année qui vient, mais pour cela il faudra considérer les raisons de notre désespérance, pour les dépasser.
Notre situation actuelle est déconcertante, que nous n’avons jamais vécue auparavant. Même le temps de l’Occupation dont se souviennent les plus anciens d’entre nous était bien différent, bien que les dangers et les événements étaient autrement plus dramatiques. Est en cause, maintenant, le fondement originaire de notre vie, la vraie, celle que nous voulons avoir vécue quand viendra l’heure de la quitter. « Vivre » n’est pas une action comme une autre, c’est être ce que nous sommes. On n’aime pas la vie pour telle ou telle raison, on aime la vie pour elle-même parce qu’elle est nous. Nous sommes sur terre pour vivre et si l’on est croyant on sait que le premier désir de Dieu est que nous jouissions de la vraie vie.
Un état dépressif s’installe dans la société. Bien sûr le port du masque ou l’exigence de remplir un formulaire à chaque sortie nous importunent. Mais cela suffirait-il à nous déprimer ? Nombre de personnes vivent l’angoisse liée aux difficultés économiques, parfois insurmontables, qu’elles rencontrent. Cela est déprimant, mais on constate autant de dépression chez les fonctionnaires ou les retraités, qui n’ont pas de problèmes d’emploi ou d’argent dus à la pandémie, chez d’autres professions qui ne sont pas touchées économiquement, et chez les jeunes. Il faut donc chercher ailleurs la source de cette dépression qui est le signe d’une perte de l’élan vital. L’inconnu de notre avenir – quand « tout cela » va-t-il finir ? et la peur de la maladie sont des motifs de dépression, mais qu’est-ce que ce « tout cela » qui nous mine quand nous n’en voyons pas la fin ?
Originairement, sur quoi se construit notre vie ? Quelles en sont les fondations ? De quoi vivons-nous, qui est ainsi atteint par la pandémie ? Nous pensons que nos cinq sens sont constitutifs de notre vie, ils nous ouvrent sur une transcendance, elle y est au cœur, nous vivons de ce qu’ils nous livrent. Ils sont atteints. Bien sûr nous évoquons ici la « vraie vie », bien au-delà de la biologie (mais ne l’ignorant pas).
Nous vivons de la beauté du monde, don gratuit qui nous transcende et sans lequel nous sommes rétrécis. L’ouïe nous ouvre sur la création, non seulement par la musique qui fait partie de la beauté du monde, mais aussi par la relation avec toute nature vivante, et même dite morte (le bruit d’un ruisseau…) et évidemment par la relation avec l’autre, le prochain. Sans les yeux et l’ouïe, notre vie se trouverait profondément déficiente. L’odorat aussi est un moyen important de relation avec la nature, de plus il est associé au goût (sans odorat, pas de goût). Ce dernier est essentiel. L’alimentation est un processus nécessaire à notre maintien en vie (biologique), mais la nourriture se trouve bien au-delà. Elle est moyen de jouissance, dont nous vivons, tout comme nous jouissons de la beauté et de la nature par les yeux et les oreilles. Que l’on songe au bébé qui tête goulûment le sein de sa mère, il ne fait pas que s’alimenter, il éprouve une jouissance. Ce ne sont pas les Français qui nous contrediront sur ce sujet, leur cuisine, même la plus simple, dépasse de loin le besoin de s’alimenter. Enfin c’est par le toucher que nous rentrons constamment en relation avec le monde qui nous entoure, y compris avec les autres, nous sommes tactiles.
Or que se passe-t-il avec cette pandémie ? La plupart des habitants des villes sont coupés de la Nature par l’interdit de vraie promenade. L’impossibilité de sortir a créé ce manque, nous sommes assignés aux rues de notre quartier, plus nombreux sont ceux qui vivent dans des barres de HLM que ceux qui jouissent d’un jardin. La jouissance de la beauté nous échappe, la vue des autres aussi, le masque couvrant le visage. L’ouïe est atteinte par ce manque de nature, elle se réduit aux bruits de circulation, à écouter à travers des instruments techniques (téléphone, radio, etc.). De la même façon notre odorat est atteint par manque de nature, et même par le port du masque quand nous sortons. Le goût ? Ce serait le sens qui nous resterait, tellement important. Mais encore là tout n’est pas simple : combien de millions de personnes vont frapper à la porte des Restos du Cœur et autres aides alimentaires. Cela les alimente, mais il ne s’agit pas de « nourriture », cela remplit les panses, ne nourrit pas1. Et même pour nous tous, la fermeture des restaurants, l’impossibilité de repas entre amis, les difficultés parfois pour aller faire des courses, n’incitent pas à préparer de la « nourriture » mais à se contenter de s’alimenter. Quant au toucher, tout est interdit. Nos mains passent sans cesse au gel alcoolique, évitent de toucher les rambardes, les objets dans les magasins, la nourriture qu’on achète, et surtout nos voisins à qui on donne un coup de coude comme signe d’amitié ! Reste un élément constitutif de nos vies : la relation aux autres. Pas d’humanité sans cette relation, c’est le regard de l’autre qui me porte, dont je tire ma vie. Or le masque rend les visages semblables et ternes, les yeux ne suffisent pas à exprimer les sentiments. Plus, la peur de la pandémie fait des autres des dangers pour notre intégrité avant d’être des frères. Non seulement leur visage est caché, mais nous les fuyons, nous les tenons à distance (sociale, comme on nous le serine). Nos relations sont profondément altérées.
Originairement, notre vie est faite de ces relations à travers nos cinq sens, relation à une transcendance qui nous façonne, et relation à l’autre tout aussi fondamentale. C’est cela qui est atteint. Tout le reste disparaît. Il n’y aurait plus de vie sur terre. Plus de culture, plus d’économie, plus de société, plus de politique...plus de jouissance. La société doit regarder son nombril, terrorisée par la Covid, le reste n’aurait plus d’importance. Ne parlons pas de fraternité, chacun devant craindre son voisin…
Revenons à l’Avent. C’est peut-être le temps béni pour réagir, sortir de cette torpeur. Temps pour réfléchir à cette situation afin de comprendre ce qui nous manque et ce qui constitue l’essentiel. Comment ne plus vivre, dans le « monde d’après » qui devra bien advenir, comme des êtres comblés indifférents à ce qui les comble, mais devenir des êtres reconnaissants et attentifs à protéger, développer ce qui est à la base de leur vie.
Nous commençons une nouvelle année liturgique, la célébration d’un cycle qui nous rappelle le salut apporté, le désir de Dieu de nous apporter le Salut (ce qui est bien au-delà du fait de nous sauver comme on sauve un noyé, auquel on réduit si souvent le « Salut » de Dieu). Partageons-nous ce désir de Dieu ? Regardons la vie devant nous, elle est belle et nous en jouissons si nous savons dire non à tout ce qui la couvre pour l’étouffer. La vie n’ignore pas la souffrance, mais nous appelle sans cesse à sortir de nous-mêmes, de nos malheurs et même de nos bonheurs pour toujours avancer en nous investissant pleinement dans ce que nous faisons, ce que nous sommes. Jésus-Christ est « la voie, la vérité et la vie ». Ce temps liturgique qui s’ouvre peut nous indiquer la voie que propose Jésus, mieux il nous donne Jésus qui est la voie. Ce temps nous incite à découvrir la vérité de notre vie . « Dé-couvrir » : enlever ce qui la recouvre et l’occulte, la dévie, l’étouffe.
Dans ce travail de « dé-couvrement », nous ne sommes pas seuls, nous le faisons ensemble. Et n’oublions pas que des millions de nos frères souffrent (et meurent aussi) des conséquences de cette pandémie, nous sommes responsables, tous ensemble, de ce qu’ils peuvent devenir.
Dans les textes proposés, Isaïe, le psaume, St Paul nous assurent que Dieu est avec nous dans cette recherche de la voie qui nous sauve, que sa promesse est sûre. Quant à l’évangile de Marc, il nous enjoint de prendre garde, « restez éveillés car vous ne savez pas quand ce sera le moment... ». Ne nous endormons pas dans notre cocon, il est temps de nous réveiller !
Et si nous voulons être aidés dans cette méditation, dans ce sursaut auquel nous sommes invités par le Dieu qui sauve, lisons (ou relisons) la dernière encyclique du pape, « Fratelli tutti », qui porte un regard lucide sur notre monde et propose avec clarté la construction d’un autre monde. Elle s’adresse à l’humanité entière et devrait aider chacun, et pas seulement les chrétiens à se poser les questions essentielles, voire à les mettre en pratique !
Marc Durand
1 – Faisant de l’aide alimentaire aux personnes démunies, j’avais été choqué parfois lorsqu’on me refusait tel ou tel aliment. S’ils avaient faim, comment pouvaient-ils « faire les difficiles » ? A l’expérience, j’ai compris qu’ils ne demandaient pas seulement de l’alimentation, mais de la nourriture, et dans ces moments ils préféraient se priver car le désir de « nourriture » primait, il en allait de leur vie, la vraie.