Ne pas bannir la critique des religions, mais la faire en raison

Publié le par Garrigues et Sentiers

Quelques remarques sur l’article de Marc Durand, Un mauvais procès fait à certains ?, dans l’ordre de son texte.

 

1° Pour l’instant, les « activistes » hostiles au blasphème et dangereux pour les blasphémateurs ne sont ni des Chrétiens ni des Juifs, ni des Bouddhistes. On pourra déduire ce que l’on voudra sur la « cible » des remarques faites, elles ne visent que des terroristes qui se revendiquent de l’Islam. Ce n’est pas à nous, pauvres roumis, de légitimer ou non leur appartenance. Mais si des individus ou groupes armés chrétiens, juifs ou bouddhistes manifestaient une violence identique, ces mêmes remarques s’appliqueraient à eux aussi. Bien sûr !

 

2° Si Marc Durand estime que le bon sens domine dans les paroles, écrits et attitudes de nos contemporains, son point de vue très optimiste est parfaitement respectable. Mais on peut penser aussi qu’à beaucoup de responsables politiques, à trop de gérants de l’économie, à ceux qui « déconstruisent » les normes sociétales pour un « progrès » indéfini, à quelques initiateurs culturels même, on pourrait appliquer cette annotation destinée à un élève moins que médiocre : « Fait (peut-être) ce qu’il peut, mais peut peu » !

 

3° J’appelle hypocrites des attitudes ou paroles dissimulant des intentions véritables, manifestant des sentiments ou des opinions qu'on n'a pas. Quand on nous dit : « Nous ne nous en prenons qu’à ce fantasme qu’est Dieu et non à ses croyants », il est bien évident que l’on sait – ou alors, quand on ne sait pas, il ne faut ni parler ni écrire, ni dessiner sur le sujet – que des fidèles paisibles, et pas seulement les intégristes (substantif qui comprendrait aussi bien les Chrétiens, les Juifs ou les Bouddhistes de même farine) seront blessés, se sentiront « stigmatisés », voire « haïs ». Contre les terroristes, il faut sans doute autre chose que des blagues ou des dessins pour les « con-vaincre ». Bien malin celui qui distinguerait, sans risque d’erreur, à quel moment une « aversion » (c’est le terme utilisé dans le commentaire de Marc Durand) manifestée et des attaques « non-ad hominem », peuvent être ressenties comme des manifestations de haine.

 

4° Si Marc Durand relit ce qui est écrit, il verra que je ne bannis pas le combat contre des idées considérées comme néfastes. Il peut se révéler nécessaire, mais il semble préférable de le faire en raison, avec des arguments susceptibles de porter, et non à travers une dérision méprisante. Car c’est bien de dérision, parfois insultante, qu’il s’agit, et non d’humour, terme trop noble en l’occurrence. Un exemple, qui ne met pas en cause des musulmans : comment interpréter telle caricature représentant la Trinité comme une bande de sodomites ? Cela met-il en cause les crimes des Croisades ou les méfaits de l’Inquisition ? C’est non seulement obscène mais, effectivement et j’insiste : inutile.

 

5° Le paragraphe 5 mériterait un autre débat, approfondi, c’est pour cela qu’il a été ici réduit à une simple note. Il faudrait distinguer comment mener le combat contre des idées « nauséabondes » (terme à la mode) proférées aujourd’hui, avec cette difficulté, là encore, de savoir à partir de quand elles sont inacceptables. Si l’on suit le mouvement en cours, on aboutira à une censure de fait d’une bonne partie des œuvres anciennes et récentes, qu’elles soient du domaine littéraire ou cinématographique. Corneille a défendu le pouvoir absolu de Louis XIV, va-t-on interdire ses pièces « antidémocratiques » ? Quelques Révolutionnaires ont eu la guillotine facile et parfois un peu haineuse (avant d’y succomber eux-mêmes), va-t-on les bannir de l’histoire de la fondation républicaine ? On n’osera plus évoquer Napoléon ! On ne peut plus compter les films présentant les Allemands, pardon les « nazis », de façon assez défavorable pendant la période 1939-1945, cela ne risque-t-il pas de mettre en danger l’amitié franco-allemande, si précieuse pour la paix européenne ? Etc.

 

Il est des fois où il serait plus qu’utile, indispensable, de lire des écrits scandaleux. Je me souviens, à la fin de la Seconde guerre mondiale (j’avais 12 ans), le regret, exprimé par des hommes de gauche et de droite, de ne pas avoir lu à temps Mein Kampf, qui était d’ailleurs légalement interdit (à la suite d’un procès intenté par l’auteur (sic) parce que l’édition française de 1934 n’avait pas eu son aval. Les Français n’avaient pas pu connaître (ou n’avaient pas voulu savoir) à temps les réelles intentions d’Adolf Hitler, en particulier vis à vis de la France. La réédition de 1938, amputée de la moitié du texte, avait gommé les propos trop agressifs, et puis il était bien tard : Munich était là.

 

Marc Delîle

Publié dans Réflexions en chemin

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V
Je me demande vraiment s’il fallait avoir lu Mein Kampf pour connaître l’opinion d’Hitler sur les Juifs (comme si ses actes ne suffisaient pas!), mais je suis entièrement d’accord avec votre affirmation: «Il est des fois où il serait plus qu’utile, indispensable, de lire des écrits scandaleux.» Le tout, c’est que ces écrits soient disponibles: c’est pourquoi l’abolition de la censure est nécessaire. J’ai dit que je possédais tous les écrits antisémites de Céline en un seul volume chez l’éditeur canadien (plus précisément : québécois) Éditions Huit : L.F. Céline, Écrits polémiques, 2012, 982 p. J’ai oublié de préciser que cette superbe édition peut être accompagnée de Les Pamphlets de Céline : lectures et enjeux aux mêmes éditions, 2016, 320 p., sous la direction de Johanne Bénard, David Décarie et Régis Tettamanzi, et complétée par Régis Tettamanzi, Esthétique de l’outrance, Éditions du Lérot, 1999, en deux volumes, 512+527 p. Ces publications sont l’honneur de l’édition. La réédition de Mein Kampf prévue aux éditions Fayard pour 2016, que je m’étais promis d’acheter, attend toujours, alors qu’il existe une édition savante en trois volumes en Allemagne et qu’au Québec (comme les pamphlets de Céline) le livre est paraît-il en vente libre. Sans surprise, le livre fait un tabac dans certains populations musulmanes (en particulier en Palestine).<br /> <br /> Armand Vulliet
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V
Reprendre le refrain que «des fidèles paisibles, et pas seulement les intégristes, […] se sentiront “stigmatisés”, voire “haïs”» ne sert, qu’on le veuille ou pas, qu’à justifier les intégristes et, surtout, à se justifier soi-même, à se mettre à l’abri pour ne pas risquer d’avoir à se remettre en cause. Mgr Gaillot condamnait bien sûr l’attaque du cinéma Saint-Michel, mais ne manquait pas de rappeler que des croyants sincères pouvaient se sentir légitimement blessés dans leurs sentiments religieux.<br /> <br /> En bref, encore et toujours, on nous ressort l’argument du respect. Outre que cette notion se doit d’être définie précisément (voir le texte de Conche déjà cité), elle ne sert dans ces cas-là qu’à interdire d’expression le contradicteur et à clore le débat. Il ne me viendrait jamais à l’esprit de «rappeler» à propos d’un acte terroriste commis par des athées que les incroyants en général pouvaient se sentir légitimement attaqués dans leurs sentiments les plus profonds par les croyances religieuses: pour quoi faire, sinon pour justifier les infamies de ces athées-là et, en fait, pour justifier l’athéisme tout court? Je l’ai déjà dit: le problème de fond, c’est que le croyant de base est responsable, envers et contre tout - en tout cas participe (s’il n’existait pas une communauté croyante, la question ne se poserait pas) - de ce qu’en toute bonne foi il condamnera comme «abus» commis au nom d’une foi mal comprise, ou, pour tout évacuer, comme pas de foi du tout. L’athéisme en tant que tel n’est pas porteur de terreur. Elle est par contre consubstantielle au monothéisme. Et je trouve particulièrement obscène de mettre en parallèle des blessures infligées à des sentiments et des massacres purs et simples. Il n’aura pas suffi au grand chantre de la fraternité humaine Ahmed el-Tayeb, avec qui le pape a signé une déclaration commune ruisselante d’amour, de voir l’équipe de Charlie Hebdo décimée, il lui faut définitivement détruire ce journal. En présidant le Conseil de sages musulmans d’Abou-Dabi qui vient de décider de créer une commission de droit international pour intenter une poursuite contre Charlie Hebdo, il montre son vrai visage : la soumission, le mutisme... ou la mort (infligée par d’autres, bien sûr, mais on vous l’avait bien dit : si certains persistent à se moquer, d’autres risquent de le prendre très mal...). Comme pour Jorge de Burgos dans Le Nom de la rose, le rire est diabolique par définition.
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V
Erreur de ma part. Il ne s’agissait pas de Mgr Gaillot, mais du cardinal Decourtray, qui déclara à propos de l’affaire des Versets sataniques (Libération du 23/02/1989): «Une fois encore, des croyants sont offensés dans leur foi. Hier les chrétiens, dans un film défigurant le visage du Christ. Aujourd’hui les musulmans, dans un livre sur le Prophète.» Lustiger, archevêque de Paris, fut encore plus clair (Le Monde du 25/11/1988): «Si on ne respecte pas le sacré, on déchaîne le diable.» L’honneur fut sauvé par un arabe, le chauffeur de taxi Kassa Houari, qui défila dans une des rares manifestions à Paris contre Khomeini en brandissant une pancarte portant: «Au secours! Voltaire Délivre-nous de Khomeiny-Lefevre» et dont je ne saurais trop recommander le livre Confession d’un immigré. Un Algérien à Paris (Lieu commun, 1988), qui se termine par le compte rendu de l’émission Droit de réponse où il figurait avec Mohammed Arkoun et le vice-recteur de la mosquée de Paris (p. 249-250): «Le débat sur l’islam était enfin entamé. J’étais vraiment surpris de voir le vice-recteur de la mosquée de Paris, le cheik Guessoum, farfouiller dans ses notes pour retrouver tel verset du Coran que le moindre dévot musulman connaît sur le bout des doigts. J’étais également sidéré de voir un homme comme le professeur Mohamed Arkoun, un Kabyle comme moi, diplômé de la Sorbonne et chercheur en sciences islamiques, se mettre dans tous ses états parce qu’une question précise sur la main à couper au voleur en islam l’embarrassait. Il aurait fallu sans doute ne lui poser que des questions qu’il aurait préalablement potassées…/Au moment où je m’y attendais le moins, Polac s’adressa à moi en demandant à l’ensemble des participants s’il était possible d’appartenir au monde musulman tout en étant athée./Chacun voulait intervenir et répondre. Pour ma part, je dis à tous que, quelle que fût mon incapacité à bâtir des analyses et des théories je ressentais l’islam comme un poids écrasant, étouffant. Je souhaitais, pour ma part, que l’islam me reconnaisse en tant que citoyen laïque et qu’on cesse d’enfermer tout le monde entre les quatre murs de la prison musulmane./Inutile de préciser que j’eus droit aux foudres du représentant de la mosquée de Paris. Il me traita de “marginal” et décela en ma personne le cas typique des jeunes “paumés” issus de l’immigration, qui est nécessairement arabe, et étrangers à leur culture, qui se réduit inévitablement à la religion.»<br /> <br /> Arman Vulliet
A
Dans une discussion avec Yvon Quiniou à propos de ses livres Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique (La Ville brûle, 2014) et Pour une approche critique de l’islam (H&O, 2016), j’écrivais à propos d’une de ses réponses: «Vous niez, et c’est parfaitement votre droit, que les musulmans soient “tous, de fait, dans leur pratique donc, des islamistes ou des partisans de l’islamisme, avec sa barbarie actuelle et potentiellement contenue en lui”. J’ai aussi le droit de penser, comme Wafa Sultan, que “l’appellation de modérés n’est pas correcte; je ne crois pas qu’il y ait de musulman modéré. Je crois qu’il y a des modérés en termes de culture, des musulmans culturels modérés, mais pas en ce qui concerne la religion, car vous devez croire à tous les préceptes comme étant sacrés. Vous ne pouvez pas les changer, vous devez les accepter comme ils sont. Sinon vous n’êtes tout simplement pas musulman. […] Un musulman radical est celui qui retourne aux racines de l’islam. Un musulman modéré est celui qui s’en éloigne peu ou prou.”(1) et, comme Mohammed Sifaoui, que “Certains musulmans ignorent ce que dit l’islam et sont bons car leur humanité leur dicte de faire des choses bonnes. C’est le cas souvent en France, mais les autres, ceux qui connaissent le Coran, ne semblent modérés parce [sic] qu’ils sont pour l’instant en minorité et ne peuvent donc pas appliquer le Coran. Ceux que l’on appelle ‘les musulmans bons’ seront poussés à tuer comme les autres lorsqu’ils liront le Coran, ou ils quitteront l’islam comme je l’ai fait.”(2)» Le meurtre de Samuel Paty n’a pas été eu lieu uniquement à cause des «islamistes» mais aussi, et c’est le plus grave, des parents d’élèves, c’est-à-dire des musulmans de base.<br /> J’écrivais aussi: «Vous invitez les “musulmans, de France d’abord” à “revoir profondément leurs bases doctrinales et donc, leur théologie” (Pour une approche…, p.36.) “On doit donc inviter et même inciter les théologiens de l’islam, puisque c’est lui qui est en cause ici, à une refondation de sa doctrine de base, si cela est possible, et soutenir ceux qui, explicitement, ont le courage de réclamer cette refondation.” (Ibid, p.57.) Mais c’est impossible selon vos propres affirmations. Adonis […] dont je considère le livre Violence et Islam comme le meilleur jamais écrit sur la question, ne s’embarrasse pas, lui, de contradictions et de refondation: “Le monothéisme est une distorsion de la culture. Il est à arracher et non à réformer.” (Violence et Islam, Seuil, 2015, p.103.) »<br /> Si je parle d’abord de l’islam, c’est que votre article le vise avant tout comme l’a bien vu Marc Durand. Mais les monothéismes, quels qu’ils soient, portent tous la possibilité, mieux : l’inéluctabilité, du meurtre comme leur ombre. Tout n’est qu’affaire de temps et de circonstances. Les croyants «gentils» ne peuvent que se lamenter après coup, en pure perte. Car les bons sentiments ne changent pas le réel. Qui est persuadé de détenir l’unique vérité salvatrice ne s’en embarrassera pas. (Quant à l’argument qu’il faut discuter en raison, il porte à faux. Il ne sert jamais à rien d’argumenter avec un croyant en apportant toutes les preuves possibles et imaginables de l’inexistence de Dieu. L’exemple parfait en est pour moi «Christianisme et mal absolu» de Marcel Conche. Je l’avais fait lire à une amie catholique. Elle ne trouvait rien à répondre et restait chrétienne comme ci-devant. Elle a perdu la foi bien plus tard, pour d’autres raisons, et cet article lui apparaît maintenant lumineux. «On nous a rappelés au “respect des convictions d’autrui”. Mais les convictions, comme telles, n’ont peut-être pas à être “respectées”, car le respect ne s’adresse qu’aux personnes. “Je respecte votre conviction” signifie : “je vous respecte, vous, dans (ou malgré) votre conviction”. Toutefois il y aurait peut-être quelque abstraction à séparer une personne de sa conviction lorsqu’elle-même ne s’en sépare pas et ne s’en juge pas séparable. Ce serait méconnaître la profondeur, l’absoluïté, le caractère de non-retour de l’engagement. La foi pourrait bien être d’un autre ordre que n’importe quelle autre conviction humaine, comme ayant le caractère essentiel de non-retour. Les convictions humaines sont ordinairement susceptibles de retour, en tant qu’elles répercutent les changements qui se font fans le monde. Mais la foi véritable est essentiellement indifférente à n’importe quel changement dans les choses humaines. Celui qui perd la foi, jusqu’au moment où il l’a perdue, s’était engagé dans la foi sans esprit de retour. Les questions mêmes et les doutes présupposaient la foi.» [Marcel Conche, « La souffrance des enfants comme mal absolu », in Orientation philosophique, Encre Marine, 2001, p.55.])<br /> <br /> Sur la question de la censure et de la liberté d’expression, je suis entièrement d’accord avec Raoul Vaneigem : Rien n’est sacré, tout peut se dire (La Découverte, 2003). Je possède tous les écrits antisémites de Céline, tout à fait disponibles contrairement à la vulgate médiatique (on les trouve en seul volume chez l’éditeur canadien Éditions Huit : L.F. Céline, Écrits polémiques, 2012, 982p.). Chomsky ne donne qu’un exemple où il s’opposerait à la liberté d’expression: celui de braqueurs dans un supermarché où, à la menace d’un bandit de tuer tout le monde, un des autres dirait : «Tire!».<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> (1) Cité dans Hamid Zanaz, L’Islamisme, vrai visage de l’islam, Les Éditions de Paris, 2012, p.41 et 43.<br /> (2) Cité dans Hamid Zanaz, L’Islamisme, vrai visage de l’islam, Les Éditions de Paris, 2012, p.41.
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