Vivre par-delà la mort, ou le miracle de la résurrection au quotidien

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Le dernier volet de l’article de Marc Durand La Résurrection – un essai de compréhension 4. Historicité et réalité a suscité de l’un de nos fidèles Internautes, Jean-Marie Kohler, un commentaire que nous publions sous forme d’article à la fois pour en faciliter la lecture, mais surtout en raison de son importance.

G&S

Sous la distraction ordinaire, la vie et la mort forment la trame journalière et l’ultime enjeu de toute existence. La vie et la mort des autres, notre propre vie et notre propre mort. Sur une terre à la fois radieuse et jonchée d’ossements, les mêmes attentes, les mêmes jubilations et les mêmes souffrances se succèdent depuis les premiers matins de l’humanité. Joyeuse, la vie fraye son chemin au milieu des tristesses et des morts que charrient les espérances déçues, les trahisons commises ou subies, le vieillissement et la fin inéluctable de toutes choses. Le monde renaît chaque jour et tout paraît s’y engloutir pareillement, bonheurs et détresses.

L'homme peut croire à la résurrection

Aurores et ténèbres, terre féconde et poussière de nos tombes, qu’est-ce qui vous unit ? La vie et la mort sont-elles des compagnes amies de l’homme ou des rivales qui se disputent son sort ? D’instinct repoussée, la mort peut-elle livrer passage vers la plénitude à laquelle tout être aspire, ou l’aube pascale n'a-t-elle été qu'une illusion ? Du fond du vécu surgit une incroyable et ferme conviction : l’amour qui est au cœur de la vie franchit et rachète toutes les morts. Pâques luit sur nos calvaires et l’homme peut croire à la résurrection. Une foi qui arrache l’être humain à sa finitude solitaire, le réconcilie avec l’univers, et tranche l’angoisse originelle issue de ses contradictions. L'homme et l’humanité entière ont, corps et âme, vocation à engendrer dès à présent leur éternité.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Si les questions relatives à la résurrection ne visent qu’à expliquer ce qui est concrètement arrivé au corps de Jésus après sa mort, ou ce qui attend le nôtre et son environnement matériel au terme de notre existence terrestre, elles s’avèrent vaines. Tout ce qui peut être dit à ce sujet découle de croyances qu'aucune science profane ou théologique ne saurait assurer, et personne ne peut prédire ce qui adviendra de nos dépouilles. Les efforts millénaires déployés par les hommes pour imaginer leur survie leur permettent seulement d'entrevoir, à travers la relativité de leurs cultures particulières, l'immensité au sein de laquelle ils vivent et son mystère. Aller plus loin demande de se fier à la Parole issue de là. Obscure et précieuse clarté des religions.

Résurrection des corps

Pour s’interroger sur la résurrection, et notamment sur celle dite des corps, c'est peut-être l'amour humain qui fournit au premier abord les vues les plus éclairantes. Le corps y tient une place première, mais cette expérience relève d'infiniment plus et implique infiniment plus. Le corps aimé est tout entier habité par la personne aimée : il rend présent ce qu'elle est au plus intime de son être, là où s’abrite ce qui la dépasse et la construit. L'amour est à la fois l’union de ceux qui s’aiment, la vision de ce qu'ils sont au-delà d’eux-mêmes, chacun et ensemble, et l’étonnante capacité d’enfanter. Accueil réciproque et insatiable attente, éblouissante connaissance et suprême renoncement, don venu d'ailleurs et survie gracieuse. N’est-ce pas sur cet horizon que se profile la résurrection, comme une transfiguration personnelle et commune par l’amour ?

L'amour fait triompher la vie

Ce qui m’importe d’abord dans la situation présente, ce n'est pas l’idée d’un autre monde, différend et meilleur, qui me sera peut-être accordé à la sortie du monde actuel. Mais c'est ce monde actuel dans toutes ses dimensions, c’est la réalité quotidienne avec son au-delà immédiat qui me donne déjà de vivre dans l'infini et l'éternel, qui place mon existence et le devenir de la création sous le signe de l’immortalité. Dans cette perspective, la résurrection n’est pas une utopie lointaine pour d’hypothétiques lendemains, mais l’accès à une part de ciel dès aujourd’hui. Chaque fois que la tendresse et le soin l'emportent sur le rejet ou l’indifférence, le don sur l'accaparement, la vérité sur le mensonge, c’est la vie qui triomphe du mépris, de la division et de la mort, qui anticipe la résurrection. Dépassant le corps comme objet en sursis ou futur cadavre, l’homme s’accomplit dans ce mystère avec l’ensemble de ses désirs et de son vécu. Mise au monde d’un homme nouveau et d’une humanité nouvelle, avènement du paradis attendu.

De fait, l’amour qui réjouit, qui pardonne et partage, qui lutte pour la justice et la paix, réalise sans cesse l’impossible miracle de la résurrection. Le seul vrai et grand miracle en ce monde, matrice de tous les autres, manifestation d’une transcendance que les croyants appellent Dieu – mais que d’autres peuvent percevoir et appeler autrement. Dans la lumière d’une Pâque éternelle, ce miracle est la traversée du mal et de la mort : victoire sur la destruction qui alimente le cycle infernal de la destruction, victoire sur le refus d’aimer qui s’identifie à la damnation, profusion de vie qui se distribue sans condition et sans réserve. Un miracle qui est en même temps rédemption et jugement, et dès maintenant Jugement dernier. Loin de toute confusion et de tout laxisme, il sépare de façon radicale et définitive la bonté de la méchanceté, la parole véridique de la tromperie.

Un destin solidaire

Bien que personnelle, cette résurrection n’est pas une affaire individuelle : nul ne se ressuscite lui-même ou ne ressuscitera seul au dernier jour. Œuvre permanente de la Parole créatrice qui prodigue la vie, recréation de l’homme et du monde, elle ne peut advenir que dans la relation et renouvelle toutes les relations, sur la terre et jusque dans les cieux. De génération en génération, elle régénère l’humanité et la sauve de l’inhumanité toujours menaçante. La vie et l’amour se perpétuent par elle, et toute résurrection est le fruit d’une multitude de résurrections passées et le gage de multiples résurrections à venir. Les chrétiens parlent à ce propos, en une langue qui n’est plus guère comprise, d’une communion des saints et d’un corps du Christ qui englobent la totalité de l’humanité et de la création.

Croire en l'homme

Mais pour se libérer de l’emprise de la mort et accompagner autrui vers sa résurrection, il faut croire en l'homme. Croire que chaque être humain, fût-il le plus indigne, est plus que lui-même, que son ultime vérité le dépasse, et qu’il peut être sauvé de son mal et de son malheur quels qu’ils soient. Espérer et s’engager en conséquence quoi qu’il en coûte, même quand tout paraît perdu : ne condamner personne, faire confiance à la vie et la défendre sans concession, essayer de porter sur l’autre un regard empreint du regard de Dieu. Se tenir du côté de l'amour qui, produisant inlassablement le miracle de la résurrection, tisse l'éternité. Telle est l’unique voie qui mène vers Dieu. Mais servir jour après jour une telle foi est plus ardu que d’adhérer à des doctrines abstraites relatives à la divinité, ou de commémorer des prodiges passés pour faire miroiter un avenir céleste.

Ressusciter chaque jour

Si, sans sacrifier à l’exaltation de la douleur, l’iconographie chrétienne a très tôt représenté Jésus-Christ ressuscité avec les blessures de sa passion, c’est parce qu’elles témoignent de sa vie d’homme et du chemin qu’il a suivi jusqu’au supplice, indissociablement dans sa chair et dans son âme, par fidélité à l’amour. De même, notre histoire personnelle dit et dira pour toujours notre vérité éternelle. L’amour étant impérissable, la survie après la mort s’offre comme une promesse, mais ses modalités n’ont pas à nous préoccuper. C'est tout au long de l’existence qu’il est donné à chacun de ressusciter pour vivre à présent et à jamais la part divine qui est en lui, et pour aider autrui à ressusciter de même. Il y a deux mille ans, en invitant les premiers chrétiens à s’unir au Christ mort et ressuscité, l’apôtre Paul n’appelait-il pas déjà à vivre par-delà la mort ?

Jean-Marie Kohler

Publié dans Réflexions en chemin

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M
Cet article, très riche, nous met les pieds sur terre : qu’est-ce que ressusciter, pour nous, ici et maintenant ? <br /> Je crois que l’interrogation à laquelle j’ai essayé de répondre dans ces quatre articles est fondamentale. On ne peut pas faire l’économie d’un essai de comprendre ce dont ont témoigné les premiers chrétiens, ce que cela veut dire pour nos vies, pour notre histoire. <br /> Je pense qu’en ce qui concerne la connaissance de notre foi, on rencontre trois temps : un premier fait d’un appel premier (sinon les textes, fort intéressants, le sont au même titre que les mythes grecs ou autres), une réponse à l’appel de Jésus (un premier pas au moins) suivi (second temps) d’une « étude » théologique car on doit éviter les fausses pistes, essayer de comprendre au mieux ce que nous disent les évangiles et autres textes. Cela peut être fait à bien des niveaux, mais on ne peut s’en passer, l’appel est en même temps un envoi, nous devons pouvoir rendre compte de notre foi. De plus cette étude, faite dans la foi qui a été initiée dans le premier temps, permet de découvrir bien des aspects, d’enrichir notre connaissance de Jésus-Christ et du Père (dans l’Esprit), ce qui évidemment retentit alors sur notre vie de foi. Le troisième temps est le retour à l’appel initial qui s’est éclairci, approfondi et nous mène à la pratique de notre vie de foi, dans toutes ses dimensions. Bien sûr ces trois temps s’interpénètrent, nous faisons des aller-retours. Je ne saurais trop recommander le petit livre de Karl Barth, « Evangelical theology » (Evangelical theology, an introduction, paperbook, picture book, january1, 1992), qui donne des conditions pour faire une théologie qui ne soit pas réduite à une étude intellectuelle du mythe chrétien.<br /> Le texte de Jean-Marie Kholer me semble s’inscrire parfaitement dans ce troisième temps, essentiel. Mes textes, tout en insistant sur les applications à la vie de chrétien, s’inscrivent dans le deuxième temps. Merci donc à JM Kohler pour cet article qui approfondit ce que peut être ressusciter pour nous.<br /> <br /> En ce qui concerne son texte, je note deux notions, distinctes à mon sens, de la mort. D’abord un simple point final à notre vie, un instantané sur lequel nous ne savons rien, une nécessité car une vie sans limite serait totalement insipide, rien n’aurait d’importance puisque toujours reprenable. Cette mort, limite naturelle de nos vies, est ce qui nous oblige à vivre pleinement, dans la vérité. Sans la mort, pas de vie. Elle en est le simple point d’achèvement. La mort dont parle JM Kohler est plutôt l’ensemble de nos échecs, de nos souffrances, frustrations, trahisons, etc. dont nous ressuscitons comme il le décrit. Finalement il ne parle pas de la victoire sur la mort, mais de la victoire de la vie que notre mort physique, notre limite, rend si nécessaire. Résurrection dès maintenant dans nos luttes pour vivre, vivre vraiment dans la vérité (« je suis la voie, la vérité et la vie »), indépendante de ce qui nous attend après notre fin, ce qu’évidemment personne ne sait, c’est attendu dans l’assurance de la fidélité de Dieu à sa promesse.<br /> <br /> Marc Durand
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