Les récits évangéliques, acteurs et témoins du passage d'une Alliance à l'autre
Je comprends tout à fait l'angle de vue sous lequel se place l'article de Danielle Nizieux En Jésus, une énorme "fêlure" pour approcher la transcendance et je la remercie d'avoir pris la peine, d'avoir eu l'envie de répondre et de réagir à mon texte Regards sur un Messie chrétien : réévaluer la frontière judéo-chrétienne ?
Pour distinguer nos deux perspectives d'intellection respectives, pour moi aussi chrétiennement légitimes, je prendrai l'exemple de l'ânon sur lequel le rabbi Jésus tient à entrer pour Pâques à Jérusalem
Ou l'Évangile relate un fait, ce qui n'empêche en rien, tout au contraire, de se demander d'où vient cette intention de Jésus. Je doute personnellement, déjà, qu'un âne, qui plus est un ânon, supporte le poids d'un homme qui était certainement de belle prestance. Et ce, pendant la durée qu'a dû prendre le défilé du messie devant une foule enthousiaste.
Ou l'équipe d'écriture qui rédige l'évangile en cause (des décennies plus tard) décalque cette scène d'un récit bien plus ancien, et emprunte cet ânon et ce transport en se calant sur un épisode très antérieur de la Bible, sur le discours d'un prophète... Et alors tout l'intérêt est de trouver non seulement le récit ou l'épisode original (qu'au reste j'ignore [*]), mais surtout les significations possibles de cette reconstitution/reconstruction opérée entre le texte passé et l'imaginaire porté dans la nouvelle rédaction livresque pour y faire sens.
Disons, très schématiquement, que cette seconde approche est celle vers laquelle j'incline, que je pratique spontanément. De conviction personnelle, de raisonnement et d'"instinct".
À cette aune, l'épiphanie d'une incarnation – la visite annonciatrice de l'ange, la naissance dans l'étable de Bethléem –, les hauts faits – la retraite au Désert, la Transfiguration – et les miracles, les paraboles et les mises en scène de l'enseignement messianiques, jusqu'aux apogées spirituelles de la Résurrection et de l'Ascension, s'offrent pour moi à lire comme des transcriptions symboliques, des scénographies allégoriques, qui en appellent aux images, à l'écrit et aux paroles de la Bible hébraïque pour traduire et faire passer un champ nouveau de la spiritualité dans un temps nouveau de l'Alliance. Un passage inconcevable s'il n'est pas donné à comprendre dans sa continuité absolue avec ce qui est pour nous le temps premier. Le seul, à la réflexion, qui soit fondateur.
Pour être sans doute plus clair, je renvoie à Corpus Christi. Et plus précisément à cette intervention d'un jésuite français de l’École de Jérusalem qui scandait, dans les mots et dans leur rythmique, la translation assourdissante en son aboutissement entre les deux brigands qui entourent le Christ en croix et le tableau de la mort de Moïse : les deux larrons prennent respectivement place de chaque côté de la croix de Jésus, « l'un à sa droite l'autre à sa gauche », comme les deux personnages qui soutiennent Moïse venu regarder depuis une hauteur le pays de Canaan où il n'entrera pas, se tiennent de chaque côté de celui qui a frappé le rocher au lieu de lui parler, « l'un à sa droite l'autre à sa gauche ».
Étant bien entendu que chacun accorde librement, en conscience, la convenance de sa foi à l'approche et à la lecture de l'Évangile qui y correspondent. Tenant la vérité pour insaisissable avant que tout soit accompli, je serais dans l'incohérence si je pensais autrement.
Didier Lévy
[*] NDLR : La scène tient effectivement du Midrash, de la citation implicite de l’Écriture, et plus précisément de Zacharie 9, 9-12.
On se rapportera à l'article de René Guyon paru le 15 avril 2011 dans la rubrique « D’une Alliance à l'autre » http://www.garriguesetsentiers.org/article-l-entree-de-jesus-a-jerusalem-71773159.html