La Résurrection – Un essai de compréhension 1. Introduction
Pour en faciliter l'appréhension, cette étude comporte quatre volets qui seront mis en ligne successivement.
Elle a été initiée par la question : « Qu’est-ce que des théologiens reconnus ont dit de la Résurrection ? » et s’appuie sur les ouvrages dont on trouvera la liste dans la bibliographie.
Introduction
Il existe ce qu’on appelle la foi de l’Église. Mais pour dire « je crois », ne faut-il pas en faire une foi personnelle et ne pas se contenter de répéter des affirmations qui perdent leur sens pour nous ?
D. Bonhoeffer écrivait dans une ébauche d’une étude sur la foi chrétienne (rapportée dans Résistance et soumission) : « Barth et l’Église confessante nous amènent à nous retrancher derrière la ‘foi de l’Église‘, au lieu de nous laisser interroger honnêtement et constater ce que nous croyons nous-mêmes. C’est pourquoi l’atmosphère qu’on respire dans l’Église confessante n’est pas encore pure […] Nous ne pouvons pas simplement nous identifier à l’Église, comme les catholiques. (Peut-être faut-il chercher là l’origine de l’opinion vulgaire sur la fausseté des catholique ?) ».
Nous allons dans ce texte tenter d’exprimer une première ébauche de ce que nous comprenons de la Résurrection du Christ.
La première question qui se pose, naturellement, est celle de la véracité des faits. Un homme qui ressuscite ? Événement particulier, unique, non reproductible, sans comparaison possible avec quoi que ce soit, donc paraissant anhistorique et impossible à croire. Mais par ailleurs si nous ne croyons pas à la Résurrection, vaine est notre foi, dit saint Paul. Donc événement incontournable tout en étant in-croyable.
À y regarder de plus près, cette première question, naturelle avons-nous dit, n’est justement pas la première question à se poser, à poser aux témoins de ces événements. La question serait plutôt celle de la signification de l’affirmation de la Résurrection. Le véritable sujet des récits évangéliques n’est pas la chose à relater, mais la vie communautaire qui y trouve son expression. La réalité de la Résurrection ne se laisse pas saisir comme une réalité historiquement accessible. Elle touche l’homme dans « l’être-en-question » de sa propre existence et de sa relation aux autres, elle le met devant sa décision.
L’annonce doit parler de la Résurrection de telle façon que celle-ci n’apparaisse pas comme un événement historique ou mythique, mais comme une réalité qui concerne notre propre existence. La Résurrection est un événement survenu à Jésus crucifié. Elle est une réponse à sa fidélité jusqu’à la mort, même quand il lui a semblé être abandonné, à son refus du désespoir humain qu’il a ressenti mais en disant aussi : « Père, je remets mon esprit entre tes mains ». Une réponse qui concerne l’humanité parce que c’est alors toute l’humanité qui est sauvée : « par l’obéissance d’un seul, tous les autres seront constitués justes » (Rm 5, 19). Ainsi cet événement engendre un événement survenu à l’existence des disciples. À partir de ce moment débute pour eux l’Histoire de leur propre résurrection. La mort est vaincue en ce sens qu’elle n’a pas le dernier mot, elle n’est pas négation de notre être mais ouverture sur Dieu, tout en étant un détachement douloureux mais nécessaire.
Les textes parlent de Dieu et de son action envers Jésus (le ressusciter avec la mission d’attirer le monde à Lui), du monde et de l’avenir. Le mandat et l’autorisation de cet envoi universel, que le Ressuscité retourne vers ses disciples, sont partie intégrante de l’événement que cet envoi annonce. L’événement ne peut être compris qu’en liaison avec son avenir eschatologique universel. Eschatologique dans le sens que c’est l’à-venir de Dieu-avec-nous qui éclaire notre histoire, universel car Jésus a rompu le particularisme juif en ouvrant l’envoi au monde entier. La Résurrection est un événement en référence à son avenir qui ne se conçoit que sur le mode de la promesse.
La parole de la révélation est une parole de promesse, depuis celle faite à Abraham. La Résurrection est annoncée dans la catégorie du Dieu de la promesse, de l’attente. Les apôtres, déstabilisés, voire désespérés, au sens fort, par ce qu’ils ont vu de l’abandon de Dieu sur la Croix, se sont souvenus de sa fidélité de toujours à sa promesse. Alors ils ont été capables de reconnaître que Jésus ne pouvait pas et n’avait donc pas été abandonné, qu’il se trouvait dans « le sein du Père ».
La Résurrection est l’ouverture d’un nouveau temps, d’une nouvelle histoire, d’un nouveau monde. Ce que veulent signifier les apôtres, c’est que désormais le Christ, Jésus, passé par la mort sur la Croix, œuvre dans le monde pour faire de tous les hommes son Corps dont il est la tête, appelé à vivre en Dieu. L’évangile de Jean est assez clair :
« Demeurez en moi et moi je demeurerai en vous » (Jn 15, 4)
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés : demeurez en mon amour » (Jn 15, 9)
« Maintenant je vais vers Celui qui m’a envoyé » (Jn 16, 7)
« Je vous reverrai et votre cœur se réjouira ; et votre joie, nul ne pourra vous la ravir » (Jn 16, 22)
« Je suis sorti du Père et suis venu dans le monde ; maintenant je quitte le monde et retourne au Père » (Jn 16, 28)
« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils y soient aussi avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée » (Jn 17, 24).
La proclamation de la Résurrection se veut être la confirmation de ce qu’écrira Jean bien plus tard, dans son évangile.
La Résurrection est une annonce de l’entrée dans le temps eschatologique (1), temps qui est orienté par l’avenir de la relation entre Dieu et les hommes avec la médiation du Christ. Il en a la mission qui est justement partie prenante de sa Résurrection. Le temps eschatologique est celui de la victoire sur la mort, sur toute mort. La Croix est toujours présente pour nous, mais le Christ a vaincu la mort et nous entraîne à sa suite. La Résurrection est un acte de Dieu qui intronise le « Jour du Seigneur » et confirme Jésus dans sa mission de Christ, l’« oint du Seigneur » chargé de rassembler l’humanité.
La Résurrection n’est pas un évènement historique, au sens classique de l’histoire positive qui dévoile les faits du passé en dégageant des significations. Il s’agit d’un événement hors-normes, sans aucune analogie avec ce qui fait l’histoire des hommes, donc insaisissable. Cela ne signifie pas l’absence d’événement, c’est même un événement créateur de l’Histoire, c’est-à-dire de la nouvelle Histoire dont le sens est donné sous l’horizon de l’eschatologie. Compris ainsi, il est historique et porteur de sens.
Quant à la question de sa réalité, il ne faut pas confondre réalité et matérialité. Le Christ ressuscité n’a pas un corps terrestre et ce n’est pas ce qu’ont voulu signifier les témoins. Même Luc, qui insiste sur le fait de le toucher, de manger avec lui, signifie par là qu’il ne s’agit pas d’un fantôme (ce qui était une façon des Grecs de comprendre), mais du Jésus qu’ils ont connu, mais un Jésus transformé (on le voit bien par exemple dans l’épisode d’Emmaüs ou dans ses apparitions « toutes portes fermées »). La Résurrection du corps signifie qu’il s’agit de la même personne qui vit maintenant en Dieu, avec toute son histoire et sa réalité passée, elle ne signifie rien sur la matérialité de ce corps.
Le Christ ressuscité fait éclater les carcans qui enfermaient les hommes. La Loi est dépassée car il appelle les hommes à devenir des fils comme lui est le Fils « premier-né d’entre les morts ». De plus la limitation à Israël explose, c’est à l’univers entier qu’il envoie ses disciples, ce qui aura d’ailleurs du mal à passer parmi ceux qui étaient issus du monde juif, il y faudra la force de Paul, pourtant Juif lui-même. Enfin ce temps ouvert par son avenir n’est pas un temps infini, les références apocalyptiques (2), qui ne sont plus destinées à faire peur, veulent exprimer l’urgence de l’engagement.
On n’entre pas dans un temps évolutionniste, qui se déroulerait indéfiniment. Nos morts individuelles bien sûr nous limitent, nous déchirent, mais ne sont plus un anéantissement, puisque la mort a été vaincue. Mais le temps du monde aussi est limité, il tend vers le moment où nous serons tous en Dieu. Un temps évolutionniste, se déroulant à l’infini, rendrait superflus nos engagements car « il y aurait bien le temps » avec nos successeurs. Dans le temps limité par l’apocalypse, la relation des fins dernières, notre engagement, urgent, est fondamental : les actes qui ne seront pas posés ne seront jamais posés, d’où leur importance. C’est cet aiguillon apocalyptique qui donne du poids à ce que nous vivons.
La Résurrection n’est donc pas l’annonce d’un miracle inouï de réanimation d’un corps mort. Elle est bien au-delà de cela. La Résurrection est la proclamation de la fidélité de Dieu à ses promesses, de l’ouverture des temps nouveaux qui donnent sens à l’histoire ancienne et à notre vie actuelle. Début des temps nouveaux dans lesquels le Christ a pour mission de nous rassembler, et où il nous associe à cette mission. La Résurrection est annonce de la victoire sur l’anéantissement, la négation de la négation de Dieu, avec la fin de la Loi et l’ouverture au monde entier. La communauté apostolique a vécu cet éblouissement qui l’a transformée et va la projeter sur les routes pour en témoigner au prix de la vie de ses membres.
Pour éclairer cela, laissons pour finir la parole à François Cheng :
« Un jour, l'un d'entre nous s'est levé, il est allé vers l'absolu de la vie, il a pris sur lui toutes les douleurs du monde en donnant sa vie, en sorte que même les plus humiliés et les plus suppliciés peuvent, dans leur nuit complète, s'identifier à lui, et trouver réconfort en lui. S'il a fait cela, ce n'était pas pour se complaire dans la souffrance : il s'est laissé clouer sur la croix pour montrer au monde que l'amour absolu est possible, un amour « fort comme la mort », et même plus fort qu'elle, capable de dire de ses propres bourreaux : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. »
Ces paroles adressées à Dieu s'adressent à nous aussi, nous appelant à participer au pardon divin, à unir le devenir humain au devenir divin, et l'unicité de chaque être à l'unicité de l'Être même. Celui qui parle ainsi fait déboucher le tunnel de la vie sur l'Ouvert. Avec lui, la mort n'est plus seulement la preuve de l'absolu de la vie mais celle de l'absolu de l'amour. Avec lui, la mort change de nature et de dimension : elle devient l'ouverture par où passe l'infini souffle de la transfiguration. »
Extrait des Cinq méditations sur la mort : autrement dit sur la vie, Albin Michel, 2013, p. 122.
Marc Durand
(1) Eschatologie : Discours sur l’avenir de l’histoire des hommes avec Dieu qui informe le temps présent. Ce n’est pas la fin du monde, mais ce qui advient et donne sens à nos vies.
(2) Apocalypse : Discours (« révélation ») sur la fin du monde dans un langage particulier qui est souvent angoissant. L’Apocalypse est la fin des temps.
Bibliographie
Johann Baptist Metz, La foi dans l’histoire et dans la société : essai de théologie fondamentale pratique, Paris, éd. du Cerf, 1999.
Id., Memoria passionis, Paris, éd. du Cerf, 2009.
Joseph Moingt, Croire au Dieu qui vient, éd. Paris, Gallimard, 2014.
Id., Esprit, Eglise et Monde, Paris, éd. Gallimard 2016.
Id., L’esprit du christianisme, Paris, éd. Temps présent, 2018.
Jürgen Moltmann, Théologie de l’espérance, Paris, éd. du Cerf, 1983.
Id., Le Dieu crucifié, Paris, éd. du Cerf, 1999.
Karl Rahner, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, éd. Le Centurion, 1983.
François Varillon, La Pâques de Jésus. Une semaine de méditation d’Évangile, Paris, éd. Bayard, 1999.