Invitation aux Églises à sortir de leur « confinement spirituel » (Tomás Halik)
La période de « confinement sanitaire » que nous venons de vivre a été aussi celle des églises fermées. Tomás Halik, prêtre et professeur de sociologie à Prague analyse ainsi cette situation : « En tant que prêtre et théologien, je réfléchis à ces églises vides ou fermées comme un signe et un défi de Dieu. (…) Dans les moments de désastre, les « agents dormants d’un Dieu méchant et vengeur » répandent la peur. Ils en font un capital religieux pour eux-mêmes. Pendant des siècles, leur vision de Dieu a apporté de l’eau au moulin de l’athéisme. Je ne vois pas Dieu comme un metteur en scène de mauvaise humeur assis confortablement dans les coulisses des événements. Je le vois plutôt comme une source de force, opérant chez ceux qui font montre de solidarité et d’amour désintéressé dans de telles situations. Oui, y compris ceux qui n’ont pas de « motivation religieuse » pour leur action. Dieu est amour humble et discret » (1).
C’est pourquoi Tomás Halik invite les chrétiens à sortir de leur « confinement spirituel ». En effet, la pensée de Dieu ne peut être que chaque jour nouvelle. C’est dans la fidélité à l’étonnement d’exister que l’esprit et le cœur interrogent chaque jour cet abîme sans fin qui les précède. Et cet étonnement, que d’aucuns qualifient d’absurde, le croyant le vit comme la trace d’une grâce. Dès lors, l’attention à l’autre, et d’abord à l’étranger à laquelle ne cesse d’inviter la Bible, traduit dans la vie concrète cette conscience d’une continuelle naissance.
Le philosophe chrétien Maurice Blondel écrivait : « Au moment où l’on semble toucher Dieu par un trait de pensée, il échappe, si on ne le garde, si on ne le cherche par l’action. Son immobilité ne peut être visée comme un tout fixe que par un perpétuel mouvement. (...) Sitôt qu’on ne s’en étonne plus comme d’une inexprimable nouveauté et qu’on le regarde du dehors comme une matière de connaissance ou une simple occasion d’étude spéculative sans jeunesse de cœur ni inquiétude d’amour, c’en est fait, l’on n’a plus dans les mains que fantôme et idole » (2).
Tant de religions et de spiritualités se sont fourvoyées dans ce que Blondel appelle « fantômes et idoles ». La rupture fondamentale entre les êtres ne passe pas par leurs croyances ou leurs religions, mais par leur attitude dans la vie qui en fait soit des sédentaires arrivés et sécurisés soit des nomades capables d’accueillir le neuf chaque matin. Et c’est la conscience d’être toujours en route qui ouvre à la fraternité humaine des pérégrinants.
Dans un récent entretien Tomás Halik déclare : « Le plus grand péché de l’histoire de la théologie et de la prédication de l’Église est de croire qu’il est facile de parler de Dieu. Cette insouciance de la piété bon marché a ouvert la voie à un nombre inépuisable de notions naïves, mais aussi perverses et empoisonnées de Dieu. Le théologien Karl Rahner a rappelé que, fort heureusement, Dieu tel que 60 à 80 % des gens l’imaginent n’existe pas ! Ne cherchons pas Dieu dans les tempêtes, les tremblements de terre et la pandémie » (3).
Au début de son pontificat, le pape François avait défini l’Église comme un « hôpital de campagne ». Pour Tomás Halik cette expression signifie que « l’Église ne peut se contenter de son ministère pastoral classique en paroisse. Elle doit, en particulier dans une société pluraliste sécularisée, étendre et approfondir radicalement ce que les aumôniers font déjà dans les hôpitaux, les prisons, l’armée, l’éducation… C’est-à-dire être là pour tous, et pas uniquement pour les croyants. Offrir à tous un accompagnement spirituel sans prosélytisme, arrogance cléricale ou paternaliste, dans un dialogue et un partenariat réel, sans se placer uniquement dans une position enseignante mais en se laissant enseigner aussi par les autres. Pour moi c’est le modèle de l’Église à venir. Si elle veut rester Église et non se replier sur elle-même comme une secte, elle doit subir un changement radical de sa perception d’elle-même et de son ministère dans ce monde ».
Bernard Ginisty
(1) Tomás HALIK, Les églises fermées, un signe de Dieu ? publié dans notre blog avec pour source l’hebdomadaire La Vie du 24 avril 2020 et le site du Centre pastoral Saint-Merry de Paris.
Né à Prague en 1948, Tomas Halik se convertit au catholicisme en 1966. Il étudie la philosophie et la sociologie à l’Université de Prague. En 1972, il est exclu par les communistes de son activité scientifique et déclaré « ennemi du régime». De 1972 à 1984, il est psychologue dans l’industrie. En 1978, il est ordonné prêtre en RDA. En 1989, il est conseiller du président Vaclav Havel. En 1990, il est nommé pour trois ans Secrétaire Général de la Conférence des évêques tchèques. En 1992, Jean-Paul II le choisit comme membre du Conseil pontifical pour le dialogue avec les non-croyants. Depuis 1997, il est professeur de philosophie et sociologie à l’Université Charles de Prague. En 2014, il reçoit le Prix Templeton « pour avoir défendu le dialogue entre croyants et athées» et combattu pour la liberté religieuse pendant l’occupation soviétique.
(2) Maurice BLONDEL (1861-1949), l’Action de 1893, Presses Universitaires de France, 1950, p. 352.
(3) Tomás HALIK, L’Église doit être là pour tous, pas uniquement pour les croyants. Conversation recueillie par Céline Hoyeau pour La Croix L’Hebdo du 31 mai 2020, p. 9 à 16.