« De la mythologie chrétienne à la foi modeste » (François Cassingena-Trévedy)

Publié le par Garrigues et Sentiers

Tout au long de la période de « confinement » que nous venons de vivre, le moine bénédictin François Cassingena-Trévedy a publié sur son blog des « billets » particulièrement pertinents. Le dernier qui conclut la série s’intitule « De la mythologie chrétienne à la foi modeste » (1). Parvenu à la soixantaine, il s’exprime au nom de sa génération qui, écrit-il, réunit « les enfants d’un double désenchantement ».

Le premier concerne l’évolution du monde : « Comme les années soixante étaient douces encore dans leur ingénuité, dans leur aisance raisonnable, dans leur enthousiasme presque médiéval ». Mais depuis est apparue la désillusion d’un progrès global et irréversible de l’humanité à travers la catastrophe écologique et l’explosion du terrorisme international. Le second « nous vient de l’ÉgliseNous étions nés sous le signe d’un concile sans anathèmes (…) Nous avons vu les vieux démons de l’institution reprendre insensiblement leurs droits. Nous avons vu l’infléchissement passablement conservateur des mouvements charismatiques, l’assoupissement progressif de l’aventure œcuménique, la substitution de la culture du merveilleux (apparitions et guérisons à tout-va) à l’approfondissement des Écritures, la remontée des vieux sédiments maurassiens (…) la démystification de fondateurs proposés à une admiration sans discernement, (…) l’ouverture de cloaques masqués par de longues et incompréhensibles compromissions » (2).

Loin de se complaire dans ce « désenchantement », François Cassingena-Trévedy affirme : « Au milieu de l’écroulement contemporain je vois, comme homme et comme apprenti croyant, trois instances qui tiennent. La première est la Création à laquelle la suspension momentanée de nos frénésies offre une trêve et dont l’imperturbable printemps soutient notre frêle espérance. La seconde disponible à tout homme est la Sainte Écriture envisagée non comme une recette magique ni comme la confirmation de scénarios apocalyptiques mais comme l’incomparable forum d’une humanité en marche et en débat avec son Dieu caché. (…) Le troisième est l’Amitié que l’épreuve traversée construit et fait resplendir déjà comme l’unique fondement indispensable du monde à venir » (3).

Cela le conduit à proposer ce chemin au croyant d’aujourd’hui : « Il nous incombe à nous, les vivants, de préserver aujourd’hui la foi – la foi nocturne et nue – non des hérésies, mais d’une triple réduction : de sa réduction à un discours mythologique, si rassurant soit-il ; de sa réduction à un discours moralisateur, si édifiant soit-il ; de sa réduction à un discours humanitaire, si généreux soit-il. Les trois péchés-mignons, en somme, du discours ecclésiastique. À la phraséologie intempérante de « l’amour », ressassée partout ad nauseam sur les lèvres ecclésiastiques et servant de cache-misère à une lamentable jachère intellectuelle, nous préférerons des arêtes plus vives, des inquiétudes plus fécondes et des aridités plus ardentes » (4).

Reprenant des passages du Veni Créator, l’antique invocation chrétienne au Saint-Esprit, François Casssinega termine son propos par cette prière : « Oh, comme j’aimerais pour moi-même, pour nous tous, une Pentecôte qui ne fût ni d’excitation charismatique (qu’on me pardonne…), ni de triomphalisme ringard (qu’on me pardonne encore…) ! Une Pentecôte intime, recueille, modeste, à l’aune d’une foi modeste. Aussi est-ce dans le recueillement d’un clair-obscur avoué et partagé que, perpétuel novice de la foi, j’articule cette prière : « Emitte lucis tuae radium »Envoie un rayon dans ma boutique obscure pour que, de l’étoffe même de mes nuits, je confectionne de la clarté, pour qu’en prenant sur mes nuits je fasse à l’usage de mes frères un peu du jour à venir » (5).

Bernard Ginisty

Le Frère François Cassingena-Trévedy, de nationalité française, est né à Rome le 28 novembre 1959. Il a poursuivi des études de Lettres classiques à Paris et a intégré l’École Normale Supérieure (rue d’Ulm) en 1978. Il est entré dans la vie monastique en 1980 et a été ordonné prêtre en 1988. À l’abbaye Saint-Martin de Ligugé (Congrégation de Solesmes), il exerce la charge de maître de chœur (grégorien) et assume la responsabilité de l’atelier d’émaillerie (créations diverses, en particulier pour l’usage liturgique). Il enseigne à l’Institut supérieur de liturgie (Institut Catholique de Paris). Il collabore aux éditions des Sources Chrétiennes pour la traduction des hymnes syriaques d’Éphrem de Nisibe (306-373). Il a publié, principalement aux éditions Ad Solem, de nombreux ouvrages. 

(1) Mis en ligne le 30 mai, ce texte est consultable sous la référence : https://www.facebook.com/francois.cassingenatrevedy?eid=ARCSoSX4eX5KUQSfhrUjO-9XbutTZKuYUF4ELtmEjsmZP-L_REBnGZt-4tGl3j9CJGZbB8wiuvRkumyd

(2) Ibid.

(3) François Cassingena-Trévedy Le confinement nous a saisi 2 avril 2020.

(4) François Cassingena-Trévedy : De la mythologie à la foi modeste 30 mai 2020.

(5) Ibid.

Publié dans Réflexions en chemin

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P
Quelle belle lucidité ! Même si c'est un peu dur, je me permets de souligner la phraséologie de "l'amour" répétée ad nauseam qui cache une absence, tout simplement, de théologie incarnée : c'est devenu insupportable (Et comme dit François Cassingena-Trévedy, qu'on me pardonne)
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