Il y a trois cents ans, le bacille de la peste entrait à Marseille
Le 25 mai 1720, le navire Le Grand Saint Antoine accostait à Marseille. Il provenait du Levant (la Syrie actuelle) où sévissait la peste. Sa cargaison en était infectée, au point que l’équipage fut atteint : des marins moururent à bord. Mais le vaisseau ne fut pas soumis aux strictes mesures de confinement que prévoyaient les consignes sanitaires. Cela parce que ses armateurs, qui étaient aussi des échevins, redoutaient que sa précieuse cargaison d’étoffes d’Orient ne soit endommagée ou perdue si elle devait être exposée au soleil et au vent pendant quarante jours sur un île de la rade.
On se borna à l’entreposer dans les Infirmeries proches de la ville où l’équipage fut également consigné. Mais les visites y étaient permises et ceux qui les faisaient, souvent pour se livrer à une menue contrebande, n’adoptaient guère la « distanciation sociale ». C’était laisser libre cours aux puces qui étaient le vecteur du fléau. La contagion rendue inévitable frappa d’abord les quartiers les plus miséreux où les malades et les morts furent très vite nombreux. Les notables ont pourtant nié jusqu’au début du mois de juillet qu’ils s’agissait de pestiférés, et n’ont réellement pris des mesures contre l’épidémie qu’à la fin du mois.
C’était bien trop tard : le mal avait déjà embrasé la ville et s’était répandu alentour. Il a sévi pendant deux longs mois : au pic de l’épidémie, du 20 août au 15 septembre, il mourait mille personnes par jour à Marseille. La mortalité a rapidement décru ensuite, mais une seconde, puis une troisième « vague », bien moins violentes, sont survenues en 1721 et 1722. Au total, il y eut entre 30 et 35.000 décès à Marseille, qui comptait alors entre 80 et 90.000 habitants, et de 90.000 et 120.000 morts en Provence, alors peuplée de 400.000 âmes environ.
Bilan effroyable : plus d’un Marseillais sur trois et près d’un Provençal sur quatre avait été fauchés par le fléau. Pourtant l’immigration venue des alentours et de la Haute-Provence a repeuplé la ville en moins d’une génération. Et la fermeture des ports étrangers aux produits venus de Marseille, qui a pourtant duré près de quatre ans, n’a pas durablement enrayé la dynamique économique et commerciale de ce que les historiens ont appelé le « glorieux XVIIIe siècle marseillais ».
Ainsi, trois cents ans avant que la planète ne connaisse la pandémie du Covid 19 et que notre pays, où le nombre de morts par million d’habitants est parmi les plus élevés au monde, n’en soit très durement frappé, le bacille de la peste avait hanté nos garrigues et nos sentiers… Triste coïncidence, qui rend plus sombre encore la commémoration de la peste de 1720 que nous ne pouvions pas ne pas faire dans ce blog qui revendique son ancrage provençal.
Et comme nous nous revendiquons également être un blog chrétien, nous avons sollicité Régis Bertrand, professeur émérite à l’Université de Provence et spécialiste de l’histoire religieuse, afin qu’il nous fournisse un éclairage sur ce que furent la pastorale de l’Église de Marseille et son action en faveur des nécessiteux, des malades et des mourants lors de la peste de 1720-1722.
Il nous a fait l’amitié de nous confier un copieux article qui constitue en quelque sorte les « bonnes feuilles » de l’ouvrage qu’il achève de rédiger sur Mgr. de Belsunce.
Nous le publions en deux volets :
1. Sauver des âmes en temps d’épidémie
Vous y trouverez une bibliographie sélective qui offre un éclairage plus général sur la peste à Marseille. Mais si vous souhaitez "aller plus loin", comme on dit, vous pourrez également, amis internautes, avoir recours à Internet où les contributions sur le sujet ne manquent pas.
Nous en signalons deux à votre intention :
- L’article « Peste de Marseille (1720) » de Wikipedia qui est particulièrement développé et fort bien documenté, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette encyclopédie coopérative : https://fr.wikipedia.org/wiki/Peste_de_Marseille_(1720)
- La vidéo de l’émission historique de la série L’Ombre d’un doute, « La peste de 1720 : a-t-on sacrifié Marseille ? », dans laquelle interviennent notamment Régis Bertrand et Michel Signoli, qui a été le responsable de la fouille de charniers de la peste de 1720 : https://www.youtube.com/watch?v=5ggaSA1eTEM
G & S