Propos pour un « déconfinement » attendu
La crise majeure due au Coronavirus a conduit la plupart des gouvernements de la planète à « confiner » des milliards d’êtres humains pour enrayer la pandémie. De plus en plus d’observateurs s’interrogent sur « l’après », sur la sortie du confinement. Pour la plupart, il est hors de question de retrouver les modes de vie et de consommation que vient de « déconstruire » le virus. Tout un chacun affirme la nécessité d’une profonde réforme de notre citoyenneté économique et politique.
Le discours sur la réforme a une vieille histoire. Il a porté une des grandes fractures de l’Occident initiée par Luther. Aux beaux jours de la dogmatique stalinienne, la réforme était vilipendée. Les réformistes étaient accusés d’être de vilains petits aménageurs du grand capital voulant éviter la révolution pure et dure. Aujourd’hui, le mot réforme est dans toutes les bouches. Qu’il utilise le ton de l’épopée révolutionnaire, de l’indignation éthique ou de la critique technocratique, tout Français se veut réformateur. On peut s’étonner que ce prurit de réformes aille de pair avec le désenchantement politique que nous connaissons. Une des explications réside probablement dans le fait que chacun demande à l’autre de se réformer au lieu de se remettre lui-même en cause. Or il n’y a pas de réforme possible si chacun ne débusque pas en lui et dans les institutions auxquelles il adhère, les complicités entretenues plus ou moins consciemment avec le système dénoncé. Il ne s’agit pas d’exhortation morale, mais d’une élémentaire analyse systémique du fonctionnement des sociétés sans laquelle le discours politique devient une perpétuelle oscillation entre la langue de bois technocratique et l’incantation révolutionnaire.
La réforme n’est pas un statut, une rente ou une institution établie. Le réformateur doit savoir que la vie des hommes dans la cité consiste à résister en permanence à des idoles, c’est-à-dire à ce qui le dispenserait de sa responsabilité : un sens de l’histoire soi-disant inéluctable, le culte de l’argent devenu la seule valeur commune, ou le dernier bruit médiatique à la mode. Il ne passe pas son temps à être le militant de la réforme des autres. Il a le goût du débat et de l’invention politique. Aussi éloignée de la répétition des pensées uniques que des manichéismes confortables à la recherche de boucs émissaires, la réforme suppose une nouvelle façon de penser la société et les modes de vie. Loin de s’accomplir dans une appartenance à une institution, même se définissant réformatrice, elle fait appel aux sources de création présentes en chaque homme.
Il s’agit donc de sortir du « confinement » dans des pensées uniques et des comportements grégaires et irresponsables. Dans une correspondance épistolaire passionnante entre Élisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut, unis par une amitié philosophique mais politiquement opposés, celle-ci écrit : « Au fond, tu sais bien – et tu en souffres comme moi – que nous baignons dans un affreux mélange de puritanisme américain et de pornographie publicitaire qui tient lieu de libération » (1).
Tout « réformateur » devrait se rappeler ces propos du poète René Char : « Quand on a mission d’éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi » (2).
Bernard Ginisty
(1) Élisabeth de FONTENAY, Alain FINKIELKRAUT, En terrain miné, correspondance échangée entre septembre 2016 et juin 201, collection Folio, éditions Gallimard, 2019, p. 138.
(2) René CHAR, Les Matinaux, in Œuvres Complètes, bibliothèque de La Pléiade, éditions Gallimard, 1983, p. 329.