L'enjeu du jeûne eucharistique que nous vivons

Publié le par Garrigues et Sentiers

J'ai regardé dimanche dernier la messe du Jour du Seigneur sur France 2 et cela m'a laissé à la fois interrogatif et consterné.

 

Consterné d'abord parce qu'il y avait sur le plateau quatre prêtres dominicains, dont trois chantaient et l'un présidait l'eucharistie. Et on a vu apparaître trois laïcs pour les lectures, mais qui étaient invisibles le reste du temps. Pire, au moment de la communion, seuls les prêtres ont communié, ce qui a été dit clairement à l'antenne. Alors je m'interroge : pourquoi seuls les prêtres ont-ils communié ? Si la raison est sanitaire, pourquoi seul le prêtre qui présidait n'a-t-il pas communié ? Car du point de vue du risque sanitaire, quatre ou sept, quelle différence ? D'autant que le prêtre qui présidait s'était lavé les mains au gel hydroalcoolique avant l'offertoire ! Peut-être m'objectera-t-on que les prêtres prennent eux-mêmes l'hostie sur la patène alors qu'il convient de la donner aux laïcs ... Mais je me dis que si ce qu'on appelle communion est un lieu d'exclusion où l'on introduit de la différence et de la hiérarchie, on n'a franchement rien compris et cela interroge ce que l'institution a fait de la fraction du pain des premières communautés. Un certain Paul fustigeait déjà les Corinthiens pour l'absence de communion entre eux quand ils se réunissaient pour le « repas du Seigneur » (1 Co 1, 17-22). Mettre en scène un comportement qui rappelle l'Église d'avant le Concile, en quoi cela peut-il faire sens ?

 

Interrogatif aussi car nous vivons une période particulière qui nous sèvre de notre pratique religieuse conventionnelle. Mais l'office de ce jour nous donne à lire la lettre de Jacques (1, 27) : « Devant Dieu notre Père, la manière pure et irréprochable de pratiquer la religion, c'est de venir en aide aux orphelins et aux veuves dans leur malheur, et de se garder propre au milieu du monde. » Les occasions ne manquent pas en ces temps de crise où les pauvres sont malmenés plus encore (cf. le numéro de La Vie de cette semaine). Alors l'enjeu de cette période de jeûne eucharistique, d'impossibilité de se rassembler pour célébrer, est-il de mettre en scène des ersatz de célébration, ou de saisir cette occasion unique pour interroger notre rapport à ce qui nous manque (dans quelle mesure et pourquoi ?) et de creuser notre relation au Père et entre frères sans les béquilles d'une religiosité qui ne fait pas toujours résonner l'évangile dans nos vies. Cela peut sembler iconoclaste de dire les choses ainsi, mais aucun de nous n'échappe à la tentation d'idolâtrie, à l'illusion d'enfermer Dieu dans des rites, des codes, de domestiquer l'Esprit, de prétendre confisquer entre les mains de quelques-uns la régulation du lien à ce « plus grand que nous » qui est « au-delà de tout » comme l'exprime un hymne de Grégoire de Naziance.

 

Ce carême liturgique est une occasion inattendue d'interroger notre faim de liturgie, notre rapport au « sacré », notre soif de relation, de démasquer nos dérives idolâtres. Si l'on répète à l'envi que rien ne sera plus comme avant après cette expérience dans notre manière de consommer, de travailler, de nous déplacer (on aimerait le croire !), pourquoi donc tout devrait-il reprendre comme si rien ne s'était passé dans notre rapport au culte ? Le dépouillement auquel nous sommes contraints n'est-il pas une chance pour réapprendre à faire Êglise à partir d'une parole qui nous met en route, d'une confiance nue, d'une fraternité éprouvée ? Sinon, nous serons peut-être passés à côté de l'essentiel en cultivant les apparences d'une religiosité amputée de sa raison d'être : un peuple rassemblé !

 

Bruno Lachnitt 

aumônier catholique de la prison de Lyon

Publié dans Réflexions en chemin

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A
Cet article pose de vraies questions auxquelles il faudrait s’attacher, non pour polémiquer, mais pour se rendre capable d’y apporter une réponse viable. Je comprends qu’un prêtre qui a les mains dans le cambouis des prisons puisse réagir contre l’aspect formel (irait-on jusqu’à dire « petit-bourgeois » ?) des messes télévisées. Je me suis interrogé depuis longtemps sur leur utilité. Eh bien, je crois qu’il faut avoir la simplicité de reconnaître qu’elles correspondent, dans l’état actuel de la pastorale, au besoin d’une partie de la population qui n’est pas forcément théologienne ou mystique.<br /> <br /> Je vois bien la réponse à faire à ceux qui diront, pour justifier ces « cérémonies » : « il faut pren-dre les gens au point où ils en sont ». Elle est facile : « Oui, mais à condition de ne pas les y lais-ser ». Encore faudrait-il trouver quelque chose d’assimilable pour des chrétiens de base, ayant suivi … ou pas un catéchisme un peu élémentaire, mais ne pas les mépriser. Il serait certes sou-haitable de vivifier la vie spirituelle de ceux qui s’en préoccupent vraiment, et en ont les moyens : temps, culture, niveau de foi (qui ne se décide pas). Il reste que, objectivement, la France est un pays où il y a beaucoup de vieux (je connais, j’ai 86 ans), de malades, beaucoup de nos conci-toyens vivant dans des régions pas ou peu desservies par le maillage « paroissial ». Des témoi-gnages qu’on en a, la messe de France 2, honnie par l’auteur, les aide à vivre leur foi, surtout en ce moment. <br /> <br /> NB. 1 : le nombre d’auditeurs habituels était en moyenne de 550.000, il est passé avec le confi-nement à 1,7 million, ce qui peut traduire un besoin réel. Alors supprimer cette messe télévisuelle ? En changer la présentation ? Par quoi ? Va-t-on proposer, à la place, une lectio divina pour tous le dimanche matin, ou un exposé sur la doctrine sociale de l’Église (pas si nulle que ça) ? Pourquoi pas ? Mais on ne passe pas facilement d’une liturgie éventuellement passéiste (encore que… à 4, ils ne s’en tirent pas si mal, et ils chantent bien et beau) à une manifestation vraiment «com-munautaire et solidaire » hors la présence des intéressés.<br /> <br /> NB. 2 : La difficulté de la non-communion des collaborateurs laïcs se pose effectivement, mais hormis la question de principe — qui n’est pas à négliger et devrait être traitée — elle reste un « détail » de boutique pour le 1,7 million de téléspectateurs à qui la retransmission est destinée.<br /> <br /> Albert Olivier
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L
J'aime l'esprit qui anime cet article de bout en bout. Tout en pensant comme Christiane Guès que le "geste de l'Eucharistie reste encore trop entaché de magie. (Que) l'Eucharistie c'est : « là où 2 ou 3 sont réunis en mon Nom, je suis au milieu d'eux ». <br /> Oui, "tout ce qui monte converge", et ce n'est pas un hasard si cette "montée" tend toujours plus ou moins à "démasquer nos dérives idolâtres" - ce qui est au demeurant une formulation très charitablement indulgente à l'endroit de qui n'a pas encore identifié celles-ci.<br /> Si le plus important réside dans l'Amour partagé, ce partage appelle à être (mieux) accompli dans la lumière, telle que celle-ci est dispensée à chacun ; et quand on mesure que c'est avec parcimonie, il reste la faculté de rechercher les bonnes interrogations.<br /> Ce qui nous ramène à l’idolâtrie : qu'il s'agisse - d'abord - de l'Eucharistie, ou de tout autre figure imposée de la foi, cette idolâtrie ne surgit-elle pas chaque fois qu'une créature humaine énonce que Dieu est ceci ou cela, que Dieu dit ou veut, et même peut-être chaque fois que le nom de Dieu est prononcé comme s'il s'agissait d'une chose de ce monde et du mot désignant cette chose ? Incarnation (que Jean décrit dans des allégories tirées du judaïsme), Résurrection (où l'allégorie saute aux yeux à chaque pas du texte), ou encore Trinité (Jean ne parle pas du Père mais de celui qui agit "comme" un père), invariablement le mot, la lettre - celle qui tue -, le concept forgé par l'esprit humain se brisent sur l'idée que l'Esprit n'est pas traduisible, n'est pas réductible en langage humain - ce qui est possiblement l"un des sens du mythe de Babel. <br /> Construire un concept - la présence réelle ou une autre représentation de la rupture du pain et du partage du vin - et fabriquer une idole de bois, de bronze ou d'or : le travail humain qui chemine dans les deux cas n'est-il pas exactement de même nature - autrement dit exactement identique ? <br /> Si la pensée du croire est une prière - moins celle que l'Esprit nous soit envoyé que celle de vivre en bonne intelligence avec les seules lueurs accessibles à ce monde -, notre quête n'est-elle pas validée que dans la mesure où elle est iconoclaste ?
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G
Cet article ne me touche absolument pas. Je ne sais pas ce que c'est le jeune eucharistique, ce geste de l'Eucharistie reste encore trop entaché de magie. Pour moi l'Eucharistie c'est « là où 2 ou 3 sont réunis en mon Nom, je suis au milieu d'eux », c'est là, la meilleure « mémoire » que l'on puisse faire. Et nous avons fait notre possible pour réaliser cela malgré le confinement. Nous avons eu beaucoup de partages sur l'Eucharistie, sur la Résurrection dans notre comité de Garrigues et Sentiers et avec les membres de la paroisse que je fréquente, et nous allons certainement continuer<br /> Bien amicalement<br /> Christiane
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V
Vous considérez le jeune eucharistique comme entaché de magie, mais l’Eucharistie elle-même ne l’est-elle pas? Je me demande si vous ne videz pas l’Eucharistie de tout contenu surnaturel pour la réduire à la prise d’un repas fraternel entre humains au nom de Jésus. Le Catéchisme de l’Église catholique mentionne bien comme vous, parmi les “multiples manières” de la présence du Christ à son Église, l’exemple “là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom” (Mt 18,20), mais ce n’est pas là l’Eucharistie proprement dite puisqu’il donne comme autres exemples de cette présence: “dans ses sacrements dont il est l’auteur, dans le sacrifice de la messe et en la personne du ministre. Mais ‘au plus haut point (il est présent) sous les espèces eucharistiques’” (§1373).<br /> Et là, dans la détermination de ces “espèces” d’un genre particulier, nous sombrons à mon avis en pleine magie: “Dans le très saint sacrement de l’Eucharistie sont ‘contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang conjointement avec l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier’ […] C’est par la conversion du pain et du vin au Corps et au Sang du Christ que le Christ devient présent en ce sacrement. [...] par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son Sang [...] Le Christ est tout entier présent dans chacune des espèces et tout entier dans chacune de leurs parties, de sorte que la fraction du pain ne divise pas le Christ” (§1374, 1375, 1376 et 1377).<br /> <br /> “Pour moi, écrivez-vous, l’Eucharistie c’est...”, comme si cela ne posait pas de problème, comme si chaque catholique pouvait à sa guise définir lui-même le dogme, comme si l’Église n’était pas une institution fondée sur une autorité souveraine (le magistère) qui définit elle-même un dépôt de doctrine intangible dont elle exige la confession: “comme l'enseigne le premier Concile du Vatican, dans les dogmes sacrés ‘on doit toujours garder le sens que notre Mère la Sainte Église a déclaré une fois pour toutes et que jamais il n'est permis de s'en écarter sous le prétexte spécieux d'intelligence plus profonde’” (Mysterium fidei, 11).<br /> <br /> Armand Vulliet
M
Moi je goûte beaucoup cette messe sur France 2 qui permet de chanter avec les dominicains, en plus chanter Gouzes est un vrai bonheur, et les homélies remarquables sont très réconfortantes en ce temps de confinement. Que les laïcs de ce studio communient ou pas, ça ne m'apporte ni ne m'enlève rien. En fait, s'ils communiaient, cela me ferait ressentir davantage le fait que moi je ne peux pas. Je trouve que ces dominicains et leurs compagnons laïcs se débrouillent très bien dans les circonstances actuelles. Il est facile de critiquer. Moi je suis heureuse de cette messe qui me fait passer un vrai dimanche.
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P
Ce serait un « signe » intéressant si les prêtres pouvaient s’imposer à eux-mêmes le jeûne eucharistique, ne serait-ce que par solidarité avec le «  peuple de Dieu » : j’ai vu une seule fois cette eucharistie à la télé et ça m’a aussi scandalisé. Cette situation est l’occasion rêvée pour avancer d’un petit pas vers cette ecclésiologie de communion.
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