Une Quarantaine prophétique
Ce témoignage écrit par un bénédictin de la fraternité Koinonia de la Visitation installée à Rhêmes-Notre-Dame, dans le Val d'Aoste, vaut d’abord pour l’Italie, mais a aussi valeur d’enseignement pour la France comme le souligne le Frère David, père abbé de l'abbaye d'En Calcat qui l’a diffusé.
Nous le publions à la fois pour sa valeur propre et en solidarité avec nos amis italiens dont le pays est actuellement celui qui est le plus touché par l’épidémie du Coronavirus.
G & S
Le concile Vatican II nous invite à nous laisser interroger par les « signes des temps ». Tout ce qui arrive, en particulier ce qui touche de façon aussi forte nos relations entre personnes, est un ‘’signe’’ à accueillir et à interpréter...
La pandémie du coronavirus permet de prendre conscience du long chemin parcouru ces dernières décennies, à savoir une vraie réconciliation de l’Église avec la société post-chrétienne et une alliance entre foi et science qui auraient fait exulter des gens comme Galilée, Copernic, Giordano Bruno... ! La sortie du « régime de chrétienté » décrétée, pour ainsi dire, par le pape François dans son discours à la Curie Romaine du 21 décembre 2019 est une réalité qui nous permet comme chrétiens d’adhérer aux lois de l’État dans lequel nous vivons, en recherchant les modes adaptés et non conflictuels de nous faire compagnons de route avec tous. Cet alignement serein ne signifie absolument pas que notre comportement humain a perdu sa couleur et sa chaleur évangéliques. C’est bien plutôt tout le contraire.
Dans la situation difficile du moment, l’Église, à travers ses pasteurs, au lieu de « dicter » les règles du jeu, a accepté de suivre les règles imposées pour pouvoir relever, jusqu’au bout et avec tous, le défi de surmonter ensemble la pandémie.
Sans l’avoir programmé, nous sommes en train de vivre, et pas seulement comme chrétiens, un Carême bien différent : l’appauvrissement liturgique et sacramentel qu’entraîne cette pandémie peut et doit, en réalité, devenir un temps d’humanité partagée. En un mot, le Carême s’est transformé en quarantaine et nous espérons que cette quarantaine va nous aider à vivre mieux le carême par la compassion évangélique. C’est précisément la compassion qui doit briller d’une lumière particulière, comme celle des étoiles une nuit de pleine lune. L’invitation faite aux fidèles de prier à la maison et de s’unir, à travers les moyens de communication, aux célébrations transmises par les médias, est une reconnaissance qu’il est possible de vivre de façon diverse sa propre vie de prière, dans un cadre plus personnel et plus intime... plus intérieur et « secret » (Mt 6,6). Si, d’un côté, la contrainte de la nécessité représente une privation, de l’autre elle permet un élargissement et un approfondissement de la conscience baptismale qui confère à tout être rené dans le Christ son caractère de « prêtre », de « roi » et de « prophète ».
Cette situation particulière de pandémie permet aux croyants d’expérimenter une liberté prophétique en vivant leur propre sacerdoce baptismal. Selon sa sensibilité propre, on peut garder son lien personnel avec le Seigneur et avec la communauté des croyants, en s’unissant spirituellement aux célébrations vécues toutes portes closes par les ministres ordonnés, ou bien en se donnant à la prière personnelle et à la méditation de la Parole de Dieu dans la solitude ou dans son milieu de vie, c’est-à-dire habituellement sa famille ou sa communauté.
Ainsi la communauté des disciples, si elle adhère sereinement à ce qui est prescrit et imposé par la société, dans un esprit de libre collaboration, ne renonce pas pour autant à vivre mieux le message de l’Évangile et à en être les témoins dans le monde. Comme disciples du Seigneur Jésus, nous croyons en la Résurrection et, forts de cette foi, nous attendons la vie éternelle, sans jamais la confondre avec la prétention et l’illusion d’être immortels. En ce moment où beaucoup se rendent subitement compte qu’ils sont mortels, nous avons, en tant que disciples, à être les témoins d’un message et à le transmettre, avec la discrétion propre à notre « charge » prophétique et avec la force de notre baptême. Dans une situation qui nous rend conscients d’être tous potentiellement malades, l’annonce de l’espérance chrétienne devient encore plus urgente et peut-être même plus audible par nos frères et sœurs en humanité...
Ainsi la conscience de notre limite de créatures doit-elle être honorée, accueillie, aimée.
Frère Michaele Davide Semerano, o. s. b.
de la fraternité de Rhêmes-Notre-Dame, (Val d'Aoste)