À propos de Querida Amazonia, une réflexion sur le cléricalisme
Au cœur du très beau texte du pape François sur l'Amazonie, plein d'ouvertures, de respect, d'attentions aux plus démunis et de volonté d'inculturation... le triomphe du cléricalisme !
Le célibat des prêtres n'est pas entamé, l'ordination d'hommes mariés n'est pas concevable, les clercs restent au pouvoir et l'ordination des femmes serait inconvenante, cela les « cléricaliserait » et « provoquerait un subtil appauvrissement de leur apport indispensable » (§ 100) ! Et c'est le « prêtre suprême » qui le décrète. Les apparences sont sauves, François a évité le schisme, la haute diplomatie est couronnée de succès. L'aile conservatrice de l'Église peut se vanter d'avoir remporté le match...
À moins que... à moins que... le document de travail élaboré avec les évêques lors du Synode de l'Amazonie ne permette des chemins de traverse, des inventions loin des censeurs rigoristes de la curie et des discours doctrinaires... Mais cela, c'est une autre histoire qui, peut-être, va s'écrire dans le secret des forêts équatoriales...
Il n'en reste pas moins que le prêtre reste le pivot, indiscutė et indiscutable, de tout le renouvellement et de la reconquête proposés, même si les laïcs sont omniprésents et très sollicités.
Aucune ouverture n'est faite pour reconnaître et dénoncer le sacerdoce ministériel comme la racine absolue du cléricalisme contre lequel François a déclaré en août 2018 une guerre sans merci. Et pourtant, ici, pour François, il s'agit de « déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué ». La réponse se trouve dans le sacrement de l’Ordre sacré qui le configure au Christ prêtre. Et la première conclusion est que ce caractère exclusif reçu dans l’Ordre le rend capable, seulement lui, de présider l’Eucharistie. (§ 125) C’est sa fonction spécifique principale et qui ne peut être déléguée (§ 87). Tout est dit et... redit catégoriquement !
Tant que les prêtres ne dénonceront pas ce pouvoir sacré qui leur est attribué à l'exclusion des autres baptisés, le problème de l'institution ecclésiale au XXIe siècle, en Amazonie comme dans le reste du monde, restera entier : la vraie question n'est pas « mariés ou non », mais d'inventer, pour notre temps, cette vie de l'Église.
Certains hommes « retiennent jalousement ce rang qui les égale à Dieu », contrairement à Jésus « qui n'a pas retenu jalousement le rang qui l'égalait à Dieu » (Paul, Epître aux Philippiens, 2, 6) ! Sans doute remettent-ils souvent en cause leur façon de vivre ou d'exercer leur ministère, mais ils n'osent pas remettre en question leur statut même de détenteur d'un pouvoir sacré, dans ce qu'ils pensent être leur « supplément d'être », le sacrement de l'Ordre.
Je reçois ce texte un peu comme nous avions reçu Humanae vitae sur le contrôle des naissances : Paul VI n'avait pas osé ouvrir les portes à une façon contemporaine de regarder cette question, et cela a été le début d'une désaffection très grande pour la parole de l'Église, et le déclencheur de multiples départs fracassants ou... sur la pointe des pieds, mais radicaux !
Querida Amazonia me semble manifester le même manque d'audace pour regarder la situation en face et accepter une remise en cause radicale de l'Église et de son sacerdoce ministériel. Cette prise de position de François ne risque-t-elle pas d'entraîner un rejet désespéré, et définitif, de cette Église et de son pouvoir clérical ?
Qu'est-ce que cette Église, gérée par des clercs, qui ne croit qu'à sa façon de voir et n'accepte pas de se laisser remettre en question par les interpellations de ses fidèles eux-mêmes, comme par les questionnements du monde dans lequel elle vit ?
La curie, le courant traditionnel, les théologiens sont-ils tellement menaçants et puissants au point d'empêcher une réelle remise en cause profonde de la structure ?
Faut-il quitter l'Église pour pouvoir la réformer ? Jusques à quand devra-t-on se contenter de discours lénifiants et louangeurs sur l'action indispensable des laïcs, hommes et femmes, qui sembleraient les seuls sauveurs possibles de cette Église cléricale... à condition d'être dans les clous ! ?...
Combien de temps faudra-t-il pour reconnaître qu'il y a ni clercs ni laïcs (1), mais seulement des baptisés, tous à égalité, hommes et femmes témoins et porteurs de la Bonne Nouvelle de Vie pour tous les humains ?
Jean-Luc Lecat
(1) Cf un chapitre très fort intitulé « Ni clerc, ni laïc » de José Arrgiegui, dans Éclats d'humanité, Ed. Temps Présent, 2019, p. 13-16.