Pour la « déclergification », n’attendons pas encore cinquante ans !
L’article de Jacques Meurice Avoir raison cinquante ans trop tôt : la tentative de « déclergification » initiée en France après mai 1968 a suscité un commentaire de Marc Durand qui nous a paru suffisamment important pour que nous le publions sous forme d’aricle afin d’en faciliter la lecture.
G & S
Cet article fort intéressant décrit une réalité bien présente encore actuellement. Je voudrais y ajouter quelques considérations qui paraîtront peut-être hors de propos, parce que bien connues, aux protagonistes de ces questions, mais je n’ai pas lu les livres cités et à l’époque, si j’avais été alerté par les débats soulevés, je ne les avais suivis que de manière superficielle. Mon propos ne concerne donc que l’article, ignorant tout le foisonnement sur lequel il s’appuie.
Les prêtres en question réclamaient donc de pouvoir vivre leur vie d’hommes pleinement : travail, engagement syndical ou autre, vie sexuelle, et enfin ils mettaient en cause l’exercice du pouvoir dans l’Église. Que ne peut-on signer à leur suite ! Si les prêtres ne peuvent pas vivre leur vie d’hommes, que sont-ils ? Quant à l‘autorité dans l’Église, il n’est plus besoin d’insister.
Mais il me semble manquer l’essentiel : rien n’est dit sur le sacerdoce. Que pensaient ces prêtres de leur... que dire ? fonction ? statut ? essence ? de prêtre ? À l’époque la réponse hiérarchique était (en gros) qu’étant prêtres ils étaient sacrés, devenus différents du reste de l’humanité, et que cette sacralisation leur interdisait les « voies ordinaires » de l’humanité qu’ils réclamaient. Cela ne peut heureusement plus tenir. Mais la question demeure, sous-jacente à toute la vie de l’Église. Qu’est-ce qu’un prêtre ? Et qu’est-ce que le sacré ?
Il semble que toutes les religions développent un domaine sacré – mais la foi n’est pas une religion, qui devrait en être servante. Et le sacré se trouve aussi bien ailleurs, que ce soit le drapeau républicain, le Panthéon... ou la cérémonie organisée pour la prise du pouvoir par le Président actuel. On sait bien que lorsqu’on chasse le sacré, très vite il revient par derrière. Il n’empêche qu’il faut être au clair avec cette notion, et ce n’est pas le cas dans l’Église catholique.
Dans le catholicisme, le sacerdoce n’est pas seulement une fonction. Les prêtres catholiques touchent au sacré, ils ne sont pas uniquement des desservants, ils sont consacrés. Ils sont destinés à « faire » le sacrement central, l’Eucharistie. Pour les autres sacrements, les choses sont moins claires, même pour la Pénitence en cas d’urgence. Il semble qu’au Moyen Âge on admettait qu’un frère d’armes pouvait donner ce pardon. Le « sacerdoce des fidèles » suffisait. Mais pour le sacré du pain consacré, cela est réservé aux hommes consacrés qui sont « prêtres in aeternum ». Pour ce qui est de la « clergiture », c’est là que le bât blesse. On peut réformer l’autorité dans l’Église, demander que les laïcs soient effectivement partie prenante aux décisions, que les femmes, évidemment, soient pleinement associées, à toutes les places et à tous les niveaux, cela ne règle pas la question du sacerdoce et du sacré, on n’atteint pas le cœur de la question.
Alors ne renonçons pas aux combats pour décléricaliser l’Église, pour laisser les femmes prendre toute leur place, mais ne nous y perdons pas, ce n’est pas là que se trouve le blocage. La religion a construit au-dessus de la foi des murs qu’il nous faut abattre, le premier pas serait de permettre un débat ouvert avec les théologiens et tous les chrétiens (même la hiérarchie !) et à en tirer les conséquences. Ou nous vivons dans l’espérance et nous avançons (sans naïveté !), ou il nous faut partir rejoindre tous nos frères qui sont déjà ailleurs.
Et n’attendons pas cinquante ans, il n’y aura plus personne sauf une secte sans intérêt.
Marc Durand