Après nos désenchantements

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Les querelles sans fin des egos des grands leaders politiques au niveau international comme les blocages persistants dans notre capacité collective à traiter la question des retraites traduisent les difficultés croissantes des sociétés modernes à penser leur avenir. Tout cela constitue des sujets inépuisables pour les éditorialistes. Mais au-delà des propos amusés d’observateurs qui se veulent non concernés ou des discours militants qui tentent de neutraliser l’adversaire, c’est l’absence de projet politique mobilisateur qui apparaît au cœur de notre vie politique.

 

Nous arrivons au terme d’un processus de désenchantement inauguré par les massacres des deux grandes guerres mondiales du XXe siècle qui sonnèrent le glas de l’optimisme du progrès continu cher au XIXe siècle, suivi par l’écroulement de l’espérance inaugurée par la révolution russe de 1917 et dont le philosophe Emmanuel Levinas notait qu’elle signifiait « la fin définitive de l’espoir d’instituer la charité en guise de régime, la fin de l’espoir socialiste. La fin du socialisme, dans l’horreur du stalinisme, est la plus grande crise spirituelle de l’Europe moderne. Le marxisme représentait une générosité, quelle que soit la façon dont on comprend la doctrine matérialiste qui est sa base » (1)L’ultra-libéralisme généralisé qui a suivi la chute du mur de Berlin s’enfonce dans des crises sociétales, économiques et financières qui fait écrire à un acteur aussi averti qu’Emmanuel Faber, président de la multinationale Danone : « L’absence d’être : voilà ce dont meurt notre économie. (…) L’administration du lieu dont nous sommes les habitants et les dépositaires : voilà ce qu’est l’économie, l’art de vivre ensemble. Je regarde autour de moi. Je regarde en moi. Je ne vois pas beaucoup d’art, pas beaucoup de vivre, pas beaucoup d’ensemble » (2).

 

Cette crise a inspiré un des derniers ouvrages écrits par Maurice Bellet intitulé L’avenir du communisme. Il précise ainsi son propos : « L’avenir du communisme n’est pas la simple prolongation de ce qu’il en reste. C’est la reprise de l’espérance qui s’incarnait en lui et qui, dans la crise où nous sommes, est plus nécessaire que jamais » (3). Pour cela, il nous invite à aller au plus profond de ce qui habite la crise : « Ce qui caractérise le système présent c’est la conversion du besoin en envie. L’infini du désir humain se perd dans l’illusion de l’envie. Mais cette conversion-là peut-être à son tour convertie. Elle est la forme déviée, dérivante de la surrection du sujet capable d‘infini (…) L’envie folle est le masque d’une puissance de vivre, aimer, créer qui transforme ce qui prétendait l’enfermer » (4).

 

Cette puissance habite chaque être humain et doit sans cesse être réveillée. Pour Maurice Bellet, « Peut-être y a-t-il en nous la puissance de sortir de cette étrange prison sans murs que nous avons construite, où la toute puissance de l’envie coïncide avec le vide de l’absence ? Les murs n’ont pas de porte de sortie car… il n’y a pas de murs. Ce qui nous tient au-dedans de l’empire fou, c’est ce qui est au-dedans de nous-mêmes. (…) La mutation n’est pas un évènement, c’est un avènement qui ne cesse pas » (5).

 

Au lieu de prospérer dans ces fameuses synthèses qui caractériseraient l’âge adulte, nous voilà ramenés, comme des débutants, aux questions primordiales.

 

Bernard Ginisty

 

  1. François POIRIE, Entretiens avec Emmanuel Levinas, editions de la Manufacture, 1992, p. 123.
  2. Emmanuel FABER, Chemins de traverse. Vivre l’économie autrement, éditions Albin Michel, 2011, p. 54.
  3. Maurice BELLET (1923-2018), L’avenir du communisme, éditions Bayard, 2013, p. 17.
  4. Ibid., p. 112-113.
  5. Ibid. p. 95.

Publié dans Réflexions en chemin

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Fabuleuses citations ! Exemplairement mises en perspective par l'article de Bernard Ginisty.
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