Encore le voile !
Le 9 mars 2019, j’abordais déjà, dans Garrigues & Sentiers, ce problème de nouveau à la une : le voile. On n’a pas progressé d’un cheveu depuis lors. La polémique se poursuit avec dans les deux camps beaucoup de mauvaise « foi » (c’est normal, il parait que c’est un problème religieux !). Cela oblige à en reparler, quitte à se répéter.
Peut-on faire appel une fois, de temps en temps, dans ce pays, au bon sens, dont Descartes prétendait qu’il était la chose au monde la mieux partagée (« et c’est pour cela que chacun en a si peu », commentait un ami) ? On risque d’être accusé des pires mauvaises intentions, aussi bien à l’égard de et par nos compatriotes musulmans que de nos gouvernements successifs. Ceux-ci, incapables d’assumer la paix, se contentent d’osciller entre des paroles autoritaires, qui se prétendent définitives et restent sans effets, ou bien cèdent du terrain aux manipulateurs religieux. Peut-on faire appel à la bonne volonté (ou à la volonté tout court) de toutes les parties pour résoudre ce problème traînant, apparemment insoluble pour des esprits raisonnables et irritant pour des personnes pondérées ?
Le voile, c’est un vêtement. On nous dit que pour une musulmane en porter un est une obligation religieuse. C’est donc une cause respectable et à respecter, même si tous les théologiens de cette religion ne semblent pas d’accord sur le degré d’obligation ni sur la « mode » à adopter. Ça devrait pouvoir se régler – comme tout problème – par la réflexion et la concertation. Pourquoi ne pas faire travailler dans cette perspective une sorte de « concile », une assemblée d’imams et d’oulémas, qui nous dirait comment interpréter le texte sacré, et pourquoi les femmes doivent être « (re)couvertes » et jusqu’où, et, notons-le, pourquoi les femmes seraient-elles seules chargées de régler la question de la pudeur pour tous ?
Imaginons cette question théorique réglée, s’il s’agit de couvrir les cheveux, un foulard semblerait pouvoir suffire, il n’y aurait aucune difficulté par rapport à nos mœurs. Après tout, nos grand-mères en portaient souvent. De là à ensevelir une personne humaine sous un costume de cauchemar : sombre ou noir de la tête au pied, visage entièrement couvert (quitte à farder les yeux !), mains gantées etc. ! S’il correspond à la culture de certaines régions du globe, ce modèle regarde celles-ci. Mais les musulmanes qui ont choisi de vivre et circuler dans notre pays, sous nos lois, dans notre environnement culturel, ne sont pas soumises aux règles de l’Afghanistan ou de l’Arabie saoudite mais à la Constitution française de la « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (4 octobre 1958). Étaient-elles, d’ailleurs, de moins bonnes musulmanes avant de devoir « choisir » cet uniforme, parce que c’en est un ?
Une solution médiane empêcherait un phénomène de suspicion, donc potentiellement de rejet, tout en ménageant la foi de nos concitoyennes, et en évitant qu’on puisse y voir une attitude machiste de mépris des femmes de la part de leurs « hommes ».
Donc, négocions sans attendre davantage avec les autorités de cette religion pour parvenir à un compromis honnête et acceptable par tous. Compromis non compromission avec le radicalisme, c’est-à-dire : à condition de rester ferme et même intransigeant sur les principes républicains de laïcité, du respect de l’égalité entre les sexes… Car ne nous laissons pas abuser par des mots. Soulignons, par exemple, l’ambiguïté du mot « islamophobie ». Pour être exact, il faudrait parler, dans la plupart des cas, d’« islamisto-phobie », car la plupart des citoyens de ce pays savent peu de choses de l’Islam en tant que religion et sont souvent indifférents, alors qu’ils appréhendent l’islamisme politique qui inquiète par son prosélytisme, son intolérance et ses méthodes de propagande.
De même, il y a moins d’« arabophobie » quand on a affaire à des hommes et des femmes qui ont adopté ou se sont adaptés aux usages français : costumes, langue, comportements. Ensuite, il faudrait savoir là encore de quoi on parle. Il y a moins d’écarts entre un médecin ou un professeur « arabe » et un médecin ou un professeur « français de souche », qu’entre ces personnes et des « manœuvres » de l’une ou l’autre catégorie de Français. Eh oui, les divisions de classe peuvent prévaloir sur les caractéristiques ethniques.
De fait, ce que certains, peu enclins à favoriser l’entente entre les différentes composantes de notre nation, appellent « racisme », n’est parfois qu’un agacement et une inquiétude face à des pratiques sociales qui nous choquent. Le niqab, la burqa ou même certains types d’hidjab, pour revenir au voile, nous empêchent de savoir qui est derrière et donc amputent une éventuelle relation humaine en toute « reconnaissance » et en toute confiance. Ils fournissent un « préjugé » défavorable, voire paraissent une provocation comme le serait une mini-jupe en Arabie saoudite ou, sous nos climats, un jeune en uniforme « punk ». (ferrailles diverses, chevelure en crête rouge ou verte…).
On entend beaucoup de sottise en ce domaine. L’interdiction du voile (on a compris qu’il ne s’agit ici que du voile plus ou moins « total ») serait une « stigmatisation » des femmes voilées ? Mais, si les mots gardent un sens, la stigmatisation est un flétrissement infamant imposé à quelqu’un pour le signaler à la vindicte publique : tel le marquage au fer rouge des forçats (en France jusqu’en 1832) ou des protestants aux galères au XVIIe siècle, ou l’étoile jaune imposée aux Juifs par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale. Incontestablement, le voile ainsi conçu « signale » que la personne qui est dessous n’est pas « comme tout le monde ». Est-ce, finalement, le but recherché ? Peut-être ? Mais ne nous étonnons pas, en ce cas, d’un réflexe de rejet. Alors qu’un foulard discret ne se remarquerait sans doute même pas.
Jean-Baptiste Désert