La pauvreté en France
Le Secours Catholique vient de publier l’état de la pauvreté en France, analysée à travers ses propres réseaux. Travail fort utile, on peut apprécier que, localement à Aix, le Secours Catholique ait organisé une soirée d’information.
Nous ne reviendrons pas sur les chiffres, ni sur les solutions pour éradiquer vraiment la pauvreté, solutions politiques et économiques qui donnent lieu à débats qui, malheureusement, ne semblent pas au programme de nos gouvernements successifs ni de nos capitaines d’industrie ou des économistes qui ont pignon sur rue.
Nous voudrions évoquer une phrase tombée « d’en haut » qui nous a été livrée au cours de cette soirée, qui dit en gros (de mémoire) « il est temps de passer d’une politique de guichet à une politique d’accompagnement ».
« Politique de guichet ? » qu’est-ce à dire ? Cela semble sous-entendre que les « pauvres » viennent réclamer au guichet leur dû, ou leurs dons et qu’il s’agit d’assistanat. Qu’ils s’installent ainsi dans leur état, attendant tout des institutions locales ou étatiques. Par dessous on sent ce qui est seriné depuis fort longtemps : les pauvres sont des resquilleurs, voire des escrocs pour certains, et il faut veiller au grain. Oui il y a des resquilleurs, et des escrocs. Personnellement nous en connaissons. Il faut lutter, là comme ailleurs, contre les abus, mais pas au détriment des autres! Doit-on décider d’une politique en partant de cet a priori : les personnes concernées sont susceptibles d’être escrocs ou resquilleurs, et donc il faut lutter d’abord contre ces dérives1 ? De quel droit ? Qui est légitime pour cela, déclarer qu’une population doit d’abord être vue sous ce prisme ? Cette attitude est la source d’une très grande injustice envers ces personnes. Ce mépris, cette suspicion généralisée sont insupportables, les conséquences sont catastrophiques. On complique tout pour tout éloigner, on surveille et verrouille d’abord, le résultat est l’abandon de nombre de personnes qui ne pourront donc pas s’en sortir. Un exemple criant : un tiers des « ayant-droit » ne demandent pas le RSA qui n’est quand même pas une fabrique de nouveaux rentiers ! On va jusqu’à supprimer le droit aux demandeurs d’asile de recevoir leur allocation autrement que sur une carte bancaire leur interdisant de retirer de l’argent liquide (payer ses carottes au marché avec une carte bancaire?) car ils feraient du trafic et enverraient de l’argent à l’étranger. Ils reçoivent environ quinze euros par jour quand ils doivent eux-mêmes payer leur logement, ou 8 euros pour la minorité qui est logée. Imaginons les trafics monstrueux qu’ils doivent faire ? Et qui décide de cela ? Les collègues de Messieurs Cahuzac, Balkany, Chirac, Pasqua, Sarkozy...tous ces puissants qui sont ou ont été en délicatesse avec la Justice mais savent se défendre, faire durer. Soupçonner, accuser les pauvres est une façon de fournir des boucs émissaires à nos concitoyens : « c’est à cause d’eux que vous avez des difficultés ». Etonnons-nous qu’après cela la population qui s’en sort encore refuse toute solidarité…et donc justifie cette politique « parce que le peuple la veut ».
« Politique d’accompagnement » ? ou l’art d’annoncer le contraire de ce que l’on fait. Depuis des années tous les acteurs sociaux dénoncent le fait que l’accompagnement des personnes n’est plus possible, chaque année un peu plus en déshérence. Pôle Emploi : les temps des rendez-vous sont minutés, pas une minute à perdre avec les demandeurs. D’ailleurs le travailleur social qui reçoit passe l’essentiel du rendez-vous à taper sur son ordinateur pour sortir un beau texte remis à l’impétrant avant de le raccompagner à la porte2. Comment une personne sans emploi, en déshérence bien souvent, va pouvoir exprimer ses difficultés, demander des conseils ? Mais ce n’est pas le lieu ! La Caisse des Allocations Familiales : tout se passe par internet, avec des demandes inutiles récurrentes, des suspensions des versements à la moindre erreur et des mois pour reprendre les choses. La sécurité sociale ? Idem. Quand comprendra-t-on qu’un « pauvre » a besoin d’être entendu d’abord, compris ensuite. S’il était dans les classes dominantes, il saurait s’exprimer et s’imposer, mais justement il a dégringolé chez les exclus, chez ceux qui n’y comprennent plus rien. Le Secours Catholique remarquait que 90 % (chiffre en nette progression) des personnes qui poussent leur porte demandent en priorité non de l’argent, un café ou des couvertures (dont ils ont besoin) mais d’être reçus et écoutés, voire compris. L’État ne peut pas faire ce travail de façon pleinement satisfaisante car la logique institutionnelle, avec ses rigidités, ne peut pas répondre totalement. Les associations, en ce sens, sont essentielles car elles ont la souplesse (et la volonté) qui permet cette écoute en profondeur. Mais elles ne peuvent pas (et ce n’est pas leur rôle) suppléer l’État qui doit entendre les demandes, qui doit accompagner, aider, soutenir pour permettre aux personnes concernées de sortir la tête de l’eau et repartir d’un bon pied. Depuis des décades l’État détruit tout ce qui pourrait le permettre...et reproche aux pauvres de vouloir profiter d’une « politique de guichet ».
Il serait temps de mettre nos pendules à l’heure. Au service de qui sont nos institutions ? Sommes-nous prioritairement des comptables ou avons nous l’énergie et le temps nécessaire pour entendre notre voisin ? L’État et les autorités locales sont gravement défaillants, volontairement. Les associations doivent lutter contre ce fait, politiquement d’une part, en développant d’autant plus leurs capacités d’écoute et de compréhension par ailleurs. Il en va de la possibilité de vivre dans notre société.
Marc Durand
9 novembre 2019
1 – La conséquence est une société d’interdits (sauf pour les dominants). Exemple de Singapour, ville la plus sûre du monde où faire tomber un papier par terre peut vous mener en prison...et ville la plus inégalitaire du monde, laissant côtoyer (en toute sécurité) l’immense richesse et la misère la plus noire.
2 – La grande majorité des travailleurs sociaux font du mieux qu’ils peuvent leur travail, il serait injuste de les mettre en cause. Ils sont contraints à des attitudes qu’ils réprouvent eux-mêmes.