L’Évangile libère des enfermements spirituels

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La multiplication des informations concernant « les abus sexuels » commis par des clercs au sein de l’Église catholique ne devrait pas cacher la source de ces comportements : l’abus spirituel que le pape François nomme « cléricalisme ». Marie-Laure Janssens, qui en a été victime, commence ainsi son témoignage : « J’ai passé onze ans dans la communauté des sœurs contemplatives de Saint-Jean. En 2010, j’ai quitté la vie religieuse, un an après l’intervention du Vatican qui a tenté de mettre fin aux dérives de ma congrégation Je n’ai pas été violée. J’ai pourtant été victime d’un crime qui ni le droit pénal ni le droit de l’Église catholique ne reconnaissent : l’abus spirituel. Une variante religieuse de l’emprise affective et psychologique. Un détournement de ce que l’humain a de plus intime : son rapport à la transcendance » (1).

Dans l’Évangile de Luc, on trouve un passage où Jésus répond à trois propositions de devenir son disciple (Lc 9 57-62). « Quelqu’un dit à Jésus en chemin : Je te suivrai partout où tu iras. Jésus lui dit : les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le fils de l’homme, lui, n’a pas où poser sa tête ». On ne saurait être plus clair : suivre le Christ n’est pas rechercher un « terrier » ou un « nid » institutionnel. C’est rester « passant ». « Il dit à un autre : Suis-moi. Celui-ci répondit : permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. Mais Jésus lui dit : Laisse les morts enterrer leurs morts ». C’est une invitation à une nouvelle naissance au lieu de se perdre dans le ressassement de nos histoires individuelles. « Un autre encore lui dit : Je vais te suivre, Seigneur, mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. Jésus lui dit : Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ». Il s’agit ici de rester libre pour accueillir l’aujourd’hui en évitant de le polluer par des « regards en arrière ».

Sois passant, sois naissant, sois libre : telle est la voie évangélique qui peut nous éviter les enfermements psychologiques et spirituels. Bien loin de nous inviter à trouver notre salut dans une installation institutionnelle, l’Évangile nous demande de devenir acteur d’un « hôpital de campagne » expression par laquelle le Pape François définit l’Église. C’est le pauvre qui juge le monde, c’est l’étranger qui réveille le sédentaire. Non pas pour les condamner, mais pour les inviter à naître et leur révéler que le monde et l’histoire sont plus vastes que le périmètre de leur confort. Voilà pourquoi, ce sont les plus faibles, les plus exclus, qui ouvrent la voie vers l’avenir. Non pas au nom de je ne sais quel humanitarisme larmoyant, mais parce que ceux qui possèdent le moins nous invitent à nous tenir dans les commencements de l’humain. Un des thèmes majeurs de l’Évangile se traduit par l’expression, reprise de l’Ancien Testament, « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». L’Évangile n’est pas une émouvante esthétique qui justifierait nos enfermements et nos sécurités. Il nous convie à des temps de renaissance, non dans des lendemains enchantés, mais dans l’aujourd’hui.

Bernard Ginisty

(1) Marie-Laure JANSSENS, Le silence de la Vierge. Abus spirituels, dérives sectaires : une ancienne religieuse témoigne, éditions Bayard, 2017, p. 15.

Publié dans Réflexions en chemin

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L
Merci pour ce texte qui, une fois encore, est fait pour nous accompagner en méditation. "Laisse les morts enterrer leurs morts" ; ce qui est impossible vu la force du deuil. Mais ce qui vaut pour toutes les pesanteurs qui nous enracinent dans les désespoirs du monde ?
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