Toussaint
Fête de tous les saints, c’est-à-dire de tous les hommes, de toutes les femmes qui nous ont précédés sur terre et qui vivent « dans le sein d’Abraham ».
Mais qu’est-ce à dire ? Le ciel ? qu’est-ce ? Sont-ils vivants ? Que cela signifie-t-il ? Résurrection dans l’au-delà ? Ce sont des mots, mais la réalité ? Ils attendent la résurrection des corps ? Mais hors du temps que peut signifier « attendre » ? Et que signifie la résurrection des corps ?
Autant de questions suivies de nombre de réponses, de là à ce qu’elles soient convaincantes... Par définition nous ne savons rien de l’au-delà, nous n’avons aucune idée du « hors du temps », alors nous créons des images, mais ce sont des images…
Et pourtant nous allons fêter la Toussaint. Mais pourquoi donc se préoccuper de ces saints du passé ? En quoi nous concernent-ils ?
Peut-être serait-il possible de mieux comprendre en utilisant l’image du Corps du Christ. Le Corps du Christ, c’est l’Église vivante, faite de tous les « saints » et de nous, dans la mesure où nous le voulons. « Il [Dieu] a tout mis sous ses pieds et il l’a donné, au sommet de tout, comme Tête de l’Église, qui est son Corps...celui qui remplit absolument tout » (Eph 1, 22-23). Église qui vit de la vie de Dieu. Ce n’est pas l’institution et l’Église ne se réduit pas non plus à une assemblée humaine. Mais si le Corps du Christ est cette Église, alors que représente le pain de l’Eucharistie ?
Reprenons ce qui se passe dans nos eucharisties, cela nous éclairera peut-être un peu.
D’abord célébration de la Parole. On prend le temps de constituer une communauté réunie, en commençant par le rite de la purification, puis de la louange qui est une façon de nous mettre à notre place en face de Dieu : ce n’est pas nous qui agissons mais le Père qui agit en nous. Nous nous donnons alors la Parole les uns aux autres en puisant dans les deux Testaments (on peut regretter que dans le rite actuel la communauté reste silencieuse et ne fasse que recevoir au lieu d’échanger). Enfin par la prière universelle nous nous joignons à l’humanité entière qui est appelée comme nous à la vie avec le Père. Le Christ « remplit absolument tout », c’est toute l’humanité, présente et passée qui est concernée.
La célébration a besoin de signes pour exprimer ce qui se passe, il est essentiel qu’il y ait un signe de ce que nous sommes, vivants dans le monde. L’eau et le vin, « fruit du travail des hommes », sont le sacrement (signe sensible d’une réalité invisible) de notre travail, de notre action, de toute notre vie.
La prière eucharistique (le « canon ») présente nos vies pour que nous devenions le Corps du Christ. La consécration de l’eau et du vin fait du sacrement de nos vies celui du Corps du Christ qu’est l’Église. C’est toujours du pain et du vin, mais devenus beaucoup plus : un signe visible du Corps du Christ. Et ce ne sont pas seulement le pain et le vin, mais le pain et le vin partagés, nous y reviendrons.« Or vous êtes le Corps du Christ, et membres, chacun pour sa part » (1 Cor 12, 27).
Le prêtre représente le Christ, seul habilité à transformer le peuple en son Corps, c’est-à-dire à le faire entrer dans la vie de Dieu (on peut se demander pourquoi on a besoin d’un « homme consacré » pour exécuter ce rite qui concerne tous les participants). Mais cela ne suffit pas, le prêtre n’est pas seul, toute la communauté doit y être associée.
Le Corps ainsi constitué peut alors s’adresser au Père, par son Fils et inspiré par l’Esprit : c’est le Notre Père suivi de la prière pour la paix nécessaire à la vie du Corps, l’assemblée entre dans l’économie de l’amour trinitaire, « ...construction du Corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, à l’État d’homme parfait, à la taille même qui convient à la plénitude du Christ » (Eph 4, 12-13). (voir les chapitres 13 à17 de l’évangile de Jean qui sont le cœur du message de Jésus). Le terme « plénitude » indique bien que tous les hommes sont concernés.
Nous disions « cela ne suffit pas ». Il manque un élément qui signifie que le Corps du Christ n’est pas un magma d’individus mais un Corps : le pain et le vin doivent être partagés. Ce partage donne à chacun sa place dans l’Église, qui lui permet de vivre dans cette économie trinitaire. Partager le pain va de pair avec le lavement des pieds : pas de Corps du Christ sans le service du prochain. L’évangile de Jean ne parle d’ailleurs pas de la « consécration » mais seulement du lavement des pieds. Le sacrement du Corps du Christ, c’est le pain et le vin, représentants de toutes nos vies, partagés entre nous. La consécration est un point de basculement, mais, seule, elle n’a aucun sens.
Enfin, la communauté ainsi constituée peut alors être envoyée dans le monde, elle ne vit pas pour elle-même, tous les hommes sont concernés, comme le dit Paul : « Dieu qui est tout en tous » (1 Cor 15, 28)
Ce long détour devrait éclairer ce que nous célébrons à la Toussaint : la fête du Corps du Christ, la fête de l’Église constituée de tous nos pères avec nous, qui partageons le pain (comprendre le service) entre nous. Fête dans laquelle, nous qui sommes dans le temps, nous répétons ce rite de l’Eucharistie pour nous incorporer au Corps. Chaque dimanche est ainsi la fête de la Toussaint.
Le lendemain, fête des morts, la même fête se prolonge. Il est bon, pour nous terriens, d’être concrets et de célébrer tout spécialement les saints que nous avons connus, ceux qui nous ont directement introduits à la vie de Foi, et d’y associer aussi ceux que nous avons connus et ne vivaient pas de cette foi mais n’en sont pas moins maintenant vivants avec le Père. C’est avec eux que nous réalisons le Corps du Christ.
Marc Durand