Dieu et la croyance : autant d'invitations au voyage
Jamais on n’a autant parlé de communication aussi bien dans le monde des affaires que dans celui de la politique et de la religion. Cette question était au cœur de la réflexion du théologien et du philosophe Maurice Bellet. Évoquant ce propos tenu par un évêque français : « Notre parole ne parle plus », ce qui pour lui est « la pire des disgrâces », il analyse le « conflit profond » qui habite le christianisme.
C’est celui qui oppose, sous les noms d’intégrisme et modernisme, au sens précis que ce mot eut au début du XXe siècle, deux attitudes. L’une consiste à maintenir coûte que coûte un tout dont on ne peut rien soustraire ni rien modifier. Rien ne saurait ébranler ces certitudes, ce qui, dans un monde aussi mouvant que le nôtre, assure une certaine sécurité. Si l’intégrisme a le souci unique du dedans, le modernisme est axé sur le dehors. La croyance religieuse devra s’adapter à l’homme réel de l’âge moderne pour se rendre acceptable.
Pour Maurice Bellet, ces deux attitudes ont des traits communs, à savoir deux prétentions : celle d’un savoir établi qui juge de tout, celle d’une position supérieure qui prétend tout relativiser : « L’intégrisme est dans l’angoisse de perdre la Vérité ; son ennemi (le modernisme) est dans l’angoisse de perdre la Réalité, le monde contemporain (…) La violente surdité des intégristes est bien connue. Mais il y a une intolérance des contestataires et des esprits « libérés » qui n’est pas médiocre non plus ». Finalement, ces deux attitudes qui s’opposent se retrouvent dans le fait qu’elles engendrent ce qu’il appelle « une parole qui n’écoute pas, qui sait les réponses avant les questions. Son modèle naïf est le catéchisme. Mais on peut argumenter dans l’érudition et l’abstraction en gardant la même structure » (1).
Le grand philosophe et théologien que fut Hans Urs von Balthasar déplorait la tendance, chez certains esprits, de réduire les problèmes fondamentaux de l’existence, « comme s’il leur était proposé un sujet de concours de mathématiques. Devant certaines « solutions », on serait tenté de dire : Dommage ! C’était un beau problème ! » (2).
Une certaine éducation nous a habitué à chercher rapidement les « bonnes réponses » avant d’avoir médité suffisamment les interrogations. Notre vie ne saurait se réduire à des travaux pratiques dictés par des clercs ou des experts. Elle est tissée d’interrogations, de rencontres, de peurs, de joies, d’ennuis, de découvertes. Sa richesse n’est pas constituée par une addition de bonnes réponses que nous capitaliserions pour traverser l’existence, mais de notre capacité à rester attentif aux questions qui nous habitent.
Dès lors, il n’y a pas ceux « qui savent », et ceux « qui ne savent pas », il n’y a que des itinéraires. La vraie frontière ne passe par entre ceux qui croient ou ne croient pas à telle ou telle proposition, mais entre ceux qui sont toujours en recherche, et ceux qui pensent qu’ils sont arrivés et n’ont plus besoin d’interroger leurs certitudes.
Le philosophe chrétien Maurice Blondel écrivait : « Au moment où l’on semble toucher Dieu par un trait de pensée, il échappe, si on ne le garde, si on ne le cherche par l’action. Son immobilité ne peut être visée comme un tout fixe que par un perpétuel mouvement. Partout où l’on reste, il n’est pas ; partout où l’on marche, il est. C’est une nécessité de passer toujours outre, parce que toujours il est au-delà. Sitôt qu’on ne s’en étonne plus comme d’une inexprimable nouveauté et qu’on le regarde du dehors comme une matière de connaissance ou une simple occasion d’étude spéculative sans jeunesse de cœur ni inquiétude d’amour, c’en est fait, l’on n’a plus dans les mains que fantôme et idole. Tout ce qu’on a vu et senti de lui n’est qu’un moyen d’aller plus avant ; c’est une route, l’on ne s’y arrête donc pas, sinon ce n’est plus une route. Penser à Dieu est une action » (3).
Bernard Ginisty
(1) Maurice BELLET (1923-2018), Croyants (ou non), passons ailleurs pour tout sauver !, éditions Bayard, 2011, p. 25-34.
(2) Hans URS VON BALTHASAR (1905-1988), Grains de blé, éditions Arfuyen, 2003, p. 67.
(3) Maurice BLONDEL (1861-1949, L’Action, 1893, Presses Universitaires de France, 1950, p. 352.