À propos de l’article de Marc Durand « Je n’irai pas manifester le 6 octobre »

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L’important texte de Marc Durand, Je n’irai pas manifester le 6 octobre, suscite – heureusement – bien des questions qui dépassent l’actualité des « manifs » et la pertinence ou non de sa participation à icelles. C’est ce qui me permet d’en évoquer quelques-unes, bien que cette réponse soit très tardive et en partie « hors-sujet » puisqu’elle n’est pas un simple contrepoint de son article.

 

1° Je ne suis pas sûr que l’homophobie soit le levier le plus important de l’opposition de la hiérarchie catholique à la loi sur la bioéthique. Je crois qu’il s’agit plutôt d’une défense, à tort ou à raison, de la « famille », telle qu’elle la conçoit. Que cette conception doive évoluer, c’est une évidence (par exemple, en en excluant tout machisme). Mais là, on détruit quelque chose qui n’est certes pas idéal, qui ne fonctionnait pas toujours très bien, mais qui fonctionnait dans le réel pour faire… Mais pour quoi faire précisément ? La filiation reste une question cruciale, la preuve : des gens nés sous X sont prêts, souvent, à faire des pieds et des mains pour savoir d’où ils viennent. Or le concept de filiation devient flou et, me semble-t-il, arbitraire.

 

2° Je ne sais si la « hiérarchie » est habilitée à intervenir dans ce débat, mais pourquoi le serait-elle moins que le Grand orient ou les Ligues laïques, qui ne se sont pas privées d’affirmer leurs points de vue ?

 

3° Dans la revendication liée aux droits des femmes – y compris seules, y compris lesbiennes – d'« avoir » un enfant, on ne met guère en débat les droits de l’enfant. L’argument disant qu’on le prive ainsi systématiquement, et je pense délibérément, de père n'est pas sans importance.

 

4° Je ne défendrai sûrement pas les « manifs », pas plus celle des cathos que les autres, car je n’aime pas la notion de « rapport de forces » si chère à nos amis syndicalistes. On peut avoir la force et avoir tort. Vous direz que je ne crois pas à la démocratie ? Je pense qu’elle est actuellement souvent dévoyée, ne serait-ce parce que les participants sont souvent mal informés sur les sujets en cause. Or il n’y a de démocratie réelle qu’avec des citoyens bien et honnêtement informés.

 

5° Il est dommage que la notion de « morale », mot devenu quasiment obscène dans notre société, soit laissée entre les mains de la droite et même, trop souvent, de l’extrême droite. Je reste bêtement fidèle à ce qu’a pu être la « morale républicaine ». Je suis assez vieux pour avoir connu, à l’école, cette leçon quotidienne de « bons principes », aujourd’hui considérés comme plus ou moins ringards : honnêteté, respect de l’autre, entraide, civisme, invitation à l’effort, à la maîtrise de soi, etc. 

 

6° Il faut être naïf ou malhonnête pour croire que les « progrès » de notre société vont s’arrêter là. Et je suis prêt à parier que la GPA sortira, tel le loup du bois, dans un an ou dix ans (peu importe), mais on ne pourra y échapper au nom de la sacro-sainte égalité qui ferait des homosexuels hommes de pauvres pères refoulés sans espoir de paternité. À quand de nouveaux lebensborn prenant soin des mères porteuses ?

 

7° Évidemment, il faudrait parler d’autres chapitres de la loi, non abordés par Marc Durand, telles les questions de fin de vie. La « défense de la vie  » à tout prix, chère à l’Église, pose trop d’interrogations pour être admissible sans examen. Mais son non-respect – plus ou moins justifié par l’évolution de la société et de ses besoins – entraînera bien des difficultés. Par exemple, pourquoi soigner de façon coûteuse des gens sans aucun avenir médical : grabataires, fous, handicapés moteur-cérébral etc. ? Ne dites pas que c’est un faux problème, l’expérience nazie montre qu’il est possible qu’un gouvernement d’un pays normalement civilisé adopte des « solutions finales  ». Oh ! pas dans l’immédiat, mais avec le temps, les carences alimentaires et hydriques, la surpopulation, qui suivront les aléas climatiques… la tentation (ou la nécessité) viendra.

 

Marcel Bernos

Publié dans Réflexions en chemin

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Bonjour,<br /> <br /> Je profite de la relance du sujet par Marcel Bernos pour essayer de répondre à Marc Durand.<br /> <br /> J'ai considéré, sans doute rapidement, que la réponse à l'appel des évêques à manifester était de l'ordre de la forme, mais en posant la question autrement, il s'agit peut-être d'une question de fond : la révélation chrétienne a-t-elle quelque chose à dire sur l'avenir des hommes lorsque des sujets existentiels sont soulevés ? <br /> <br /> Je laisse de coté la question de l’obéissance ou non à ce qui est ressenti comme une injonction de la part de la hiérarchie catholique. Elle me semble résolue depuis longtemps, au moins depuis que les catholiques français ne suivent plus la doxa catholique en matière de morale sexuelle (voir la réception de l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI ). Plus profondément, la liberté de conscience - proclamée depuis par Vatican II - s'applique aussi vis-à-vis de l’institution ecclésiale, nombre de théologiens et de mystiques en ont fait l'expérience au cours des siècles et encore récemment (voir l’affaire des Jésuites de Fourvière au siècle dernier).<br /> <br /> Je suis d'accord avec Marc Durand quand il écrit : « ...personne n'est habilité à leur donner la solution ». Effectivement, il n'y a pas de « politique évangélique » comme un livre au titre malheureux le faisait croire il y a quelques années. Mais, je retourne la question : n'y a-t-il pas des politiques anti-évangéliques ? Prenons l'exemple d'un sujet tout aussi brûlant que les lois de bioéthique : les migrants. Aucune solution toute faite dans les écrits bibliques pour savoir si la politique de Monsieur Macron en 2019 est préférable ou non à celle de Madame Merkel en 2015. Par contre, je pense qu'il n'y a pas de doute sur la politique récente de Monsieur Salvini : elle est clairement anti-évangélique, non pas parce qu'elle refuse l'augmentation du nombre d'immigrés sur le sol italien, mais parce qu'elle révèle un profond mépris (voire une hostilité affichée) pour l'étranger en général.<br /> <br /> Ce jugement est-il fait au nom de la foi, comme le suggère Marc Durand pour la réaction des évêques ? Je ne le crois pas. Effectivement, la foi « ne ne donne pas une réponse concrète aux problèmes éthiques ou moraux », mais si la foi est appel à la liberté (plus qu'un « suivre Jésus »), elle ne permet pas tout, cette liberté s'exerce dans le respect d'une fidélité, d'une tradition (au bon sens du mot), d'une vision de l'homme et du monde. Je reviens à ma question initiale : cette vision du monde a-t-elle quelque chose à dire sur le devenir de l'humanité, sur son a-venir ? Pour moi, la réponse est oui, mais ce n'est pas la foi qui est en cause, c'est autre chose qui est de l'ordre d'une anthropologie (au sens de vision de l'homme) et qui, comme tel, peut être partagée par d'autres, même s'ils ne se disent pas croyants, pour peu qu'ils se penchent sur les écrits et la tradition judéo-chrétienne. <br /> <br /> Ce projet de loi s'attaque-t-il à l'humanité de l'homme au nom de la foi en l'Amour, comme l'écrit Marc Durand ? La question est ailleurs. Sommes-nous encore dans la vision de l'homme que nous révèle la tradition judéo-chrétienne ? Avec comme premier « principe » dès le premier chapitre de la Genèse : l'homme n'est pas Dieu. Certes les lois de bioéthique ne sont pas le seul domaine où cette mise en garde biblique peut s'appliquer aujourd'hui, mais font-elles partie de ce mouvement général de divinisation de l'homme ? La réponse n'est pas dans la foi, mais dans une certaine conception culturelle que je qualifie de judéo-chrétienne. <br /> <br /> Autre affirmation forte de cette vision de l'homme : nous ne sommes libres que dans la mesure où ...nous dépendons des autres et du monde, paradoxe biblique ! En particulier, nous dépendons de ceux qui nous ont précédés, nous sommes fondamentalement des héritiers, des fils et des filles : le NT a porté cette affirmation à un sommet. La recherche de l'autonomie est devenue telle que l'on croit aujourd'hui pouvoir se faire « tout seul ». Or nous venons au monde dans un monde que nous n'avons pas fait. La Bible parle de création, cette notion est - non seulement pour respecter la chronologie - en tête des Écritures saintes. Cette approche n'a-t-elle pas des conséquences « quand on touche à l'humain, à la société des hommes »  ? <br /> <br /> A la question initiale, je répondrai par l'affirmative. Si les problèmes du quotidien ne trouvent pas de réponses dans les Écritures, les questions qui engagent l'avenir de l'humanité ne peuvent pas être isolées de notre vision du monde qui s'enracine dans la tradition biblique. Nous couper de nos racines, c'est prendre le risque d'une spiritualité qui s'adapte au monde (est-ce encore une spiritualité ?) au lieu de l'interroger sur son avenir véritablement humain où l'homme ne se prend pas pour un nouveau dieu.
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