« Chaque croyant est une source, pas une mare » (Albert Rouet)
Après avoir exercé les responsabilités d’évêque auxiliaire de Paris et d’archevêque de Poitiers de 1993 à 2011, Albert Rouet nous livre un témoignage particulièrement lucide sur la situation de l’Église catholique à l’âge de la sécularisation. Dans son dernier ouvrage intitulé Croire, mais en quoi ? Quand Dieu ne dit plus rien, il nous montre comment la « belle construction traditionnelle » des rapports du sacré et du profane se voit totalement brouillée par la sécularisation : « Le sacré s’envole. Il déserte les temples et les prêtres, pour se poser au fronton de la Bourse et dans les stades. Il auréole les champions et couronne les stars » (1).
Cette situation va obliger les chrétiens à « se convertir à un autre mode pensée » pour retrouver le cœur du message évangélique : « Le sacré n’ouvre plus la porte à l’annonce de la foi. Il ne fournit plus une pré-compréhension croyante – ou contraire. C’est donc bien autour de l’incarnation que tout se joue ». Cela conduit à ce qu’il appelle la question fondamentale : « Comment rejoindre ceux qui, au-delà de l’opposition entre croire et ne pas croire, donc sécularisés, cherchent confusément quelque chose qui les rejoigne ? » (2). Pour Albert Rouet, « Jésus envoie ses apôtres, non pas au Temple, mais chez les gens » (3). Ce qui signifie « qu’avant de discourir, les disciples doivent se faire accueillir » (4).
C’est pourquoi, Albert Rouet dénonce avec vigueur une scolastique et une tradition catéchétique « qui osait poser à des enfants de dix ans cette question à laquelle aucun mystique véritable ni aucun philosophe sensé n’ont voulu apporter de réponse : « Qu’est-ce que Dieu ? » (…) La question n’a été formulée que parce que le « maître » voulait qu’ils sachent cette définition (qui ne répond à rien) : « Dieu est un pur esprit infiniment bon, souverain maître et créateur de toutes choses ». (…) Une telle scolastique absconse préparait un déisme inconsistant, fort peu chrétien. Il a rapidement conduit à l’athéisme : qui confierait sa vie à une abstraction aussi éthérée ? » (5).
La sécularisation a conduit certains chrétiens à des réactions défensives en cherchant refuge « dans la chaleur croissante de la proximité et le littéralisme de la piété » (6) ou à « l’engouement pour des ‘’pères spirituels’’ excessifs » (7). Pour Albert Rouet, les Évangiles rappellent que Jésus est l’Envoyé du Père : il est donné, livré aux hommes. La sécularisation actuelle attend que l’Église suive le même chemin. C’est ce qu’il précise dans un entretien publié dans l’hebdomadaire Réforme :« Je crois que la sécularisation peut aider l’Église catholique à s’épanouir. Les gens nous parlent, s’expriment. Nous devons les écouter et arrêter de « causer religion », avec le vocabulaire classique. Dans l’Évangile de Luc, celui-ci est totalement absent. Quand le Christ envoie ses apôtres en mission, ils partent sans rien dans les mains ou dans les poches. S’ils ne sont pas capables de se faire accueillir, ils vont dormir dehors. Sans un minimum d’échange humain préalable, si l’on ne devient pas frère, les chrétiens ne pourront rien dire » (8).
Bernard Ginisty
(1) Albert ROUET, Croire, mais en quoi ? Quand Dieu ne dit plus rien, éd. de l’Atelier, Ivry, 2019, p.140.
(2) Id., p. 282.
(3) Id., p. 157.
(4) Id., p. 285.
(5) Id., p. 163-164.
(6) Id., p. 47.
(7) Id., p. 287.
(8) Propos recueillis par Philippe Clanché dans l’hebdomadaire Réforme du 13 juin 2019, p. 13.