Pentecôte : la liberté de l’Esprit

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’événement de la Pentecôte que la liturgie nous invite à célébrer apparaît décisif pour écarter trois dérives mortelles de la vie spirituelle : l’identification à un « directeur spirituel », la confusion avec une identité nationale ou raciale, l’aliénation à un Dieu transcendant perdu dans un autre monde. 

 

Au cours de sa courte vie, le Christ a cherché à éveiller l’homme enfermé dans sa justice, sa loi, sa culpabilité et ses appartenances nationales et religieuses. Cet éveil a suscité, dans un premier temps, une fascination pour celui qui en est le messager. Loin de vouloir l’exploiter à son avantage, le Christ n’a cessé de casser cet enchantement pour renvoyer chacun à son itinéraire. A des disciples paniqués par l’annonce de la mort de celui dont ils voudraient faire un dirigeant institutionnel, le Passeur de Pâques affirme : « C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, l’Esprit ne viendra pas en vous ; si, au contraire je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16, 7). Cette liaison entre l’effacement du messager de la « bonne nouvelle » et la venue de l’Esprit constitue le fondement de toute saine relation éducative, psychologique et spirituelle. Le surgissement de l’Esprit dans les flammes de la Pentecôte ne peut se faire qu’après la déception surmontée de ceux qui pensaient que la proximité avec le porteur de la « Bonne Nouvelle » les dispenserait de se risquer eux-mêmes dans la liberté de l’Esprit.

 

La deuxième libération de la Pentecôte délivre de la liaison mortelle du spirituel et du national. A des disciples qui, à la veille de l’Ascension, attendent enfin la concrétisation de leur plan de carrière (« Est-ce maintenant que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? »), les derniers mots du Christ seront de les inviter à « recevoir une puissance, celle de l’Esprit qui viendra sur eux » pour témoigner « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). L’événement de la Pentecôte va se manifester par la capacité de tout être humain, quelle que soit sa langue maternelle, d’accueillir l’Esprit. La confiscation de Dieu par une caste cléricale est abolie : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes » (Ac 2, 17). Certes, l’histoire montre la tentative toujours recommencée des institutions religieuses et nationales de récupérer cette liberté de l’Esprit. Mais elle témoigne aussi de sa renaissance permanente qui bouscule les laborieux efforts des pouvoirs pour colmater la brèche radicale ouverte par la Pâques du Christ et proclamée à la Pentecôte. C’est ce qu’a su exprimer, avec passion, l’écrivain et philosophe Maurice Clavel : « Fameuse annonce qu’il n’y a plus de Grecs, ni Juifs, ni Romains, ni barbares, ni esclaves (...). C’est fait. Ce ne sera jamais fini, mais c’est fait. En langage familier, c’est parti. Il n’y a plus de nations ni de religions ni de races, mais enfin des individus absolus, seule Humanité. Nous sommes tous nés ce jour-là » (1). 

 

De là découle la troisième « révolution » de la Pentecôte. Cette libération de l’être humain par la force de l’Esprit ne s’accomplit pas dans quelque odyssée solitaire et gnostique. Le premier signe concret donné après l’événement de la Pentecôte, c’est le partage : « Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun » (Ac 2, 45). Si tout être humain est habité par l’Esprit, il est porteur de sens pour l’ensemble de l’humanité. Et désormais, aucun ordre humain ne sera acceptable qui ne fasse sa place aux plus démunis et aux plus exclus. Aux disciples le nez pointé vers le ciel pour tenter de combler le vide créé par la disparition de leur maître, il est dit pour toujours :« Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1, 11).  L’épître de Jean montrera le chemin :« Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » (1 Jn 4, 12).

 

Bernard Ginisty

 

  1. Maurice CLAVEL (1920-1979),Ce que je crois, éd. Bernard Grasset, Paris, 1975, p. 286.        

Publié dans Réflexions en chemin

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R
Où faut-il chercher les doux rêveurs ?...<br /> Mr Levy ne manque pas une occasion de passer d'une lecture fondamentaliste d'un texte théologique à une lecture fondamentaliste d'une idéologie philosophico-politique.<br /> C'est à désespérer de voir tirer des leçons des expériences les plus actuelles de cette nature. A savoir la manière de mettre en œuvre de Nicolas Maduro, conseillé par J.L.Mélenchon (ce dernier s'étant d'ailleurs bien gardé de distribuer ses biens...)<br /> Robert Kaufmann
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D
Faites-moi, cher ami, tous les reproches du monde, j'en tirerai profit. Mais pouvez-vous vous éviter, me concernant, l'emploi du qualificatif de "fondamentaliste". Aussi loin que ma mémoire remonte, j'ai toujours, et d'abord spontanément, exécré le fondamentalisme et le littéralisme, immanquablement en perte de sens, qui le nourrit. Rêveur, utopiste, ignorant (des vérités de la science économique), partial, partisan, attardé (dans des idées et des visions politiques d'un autre âge) ... j'en oublie forcément. Ajoutez à cela que j'aime la controverse, surtout quand le débat d'idées est musclé, et que je critique les autres avec assez d'entrain pour me réjouir qu'on fasse de même avec les opinions et les partis pris sur lesquels je me tiens. Et que sauf avec les intégristes (cf. supra pour ce qui est du littéralisme), j'ai des ressources quasi inépuisables du bonne humeur et d'humour dès lors que le vis à vis exprime un point de vue intéressant et des convictions solidement étayées. Ce qui est votre cas. Merci encore de me remonter régulièrement les bretelles - faute de quoi, on risque, surtout sur les réseaux sociaux où l'on commence par monologuer, de penser qu'on seul à penser juste. Cordialement.
V
Le vernis craque. Mr Lévy vous insupporte manifestement autant que moi. Comme moi c’est un doux rêveur, incapable de tirer les leçons du réel, et comme moi c’est un fondamentaliste[1], coupable de soutenir une utopie meurtrière. Pour aggraver mon cas, je persiste et signe. Le doux rêveur que je suis soutient qu’il n’est pire utopie que de défendre le capitalisme et de s’imaginer pouvoir réguler le marché (qui fonctionne très bien tel qu’il est : c’est le seul marché réel, pas celui de l’Idée). Vous qui haïssez tout ce qui de près ou de loin évoque une pensée «socialiste», qui n’existe pas vu qu’elle n’est qu’une idéologie, jamais ne vous effleurera l’idée que le capitalisme lui aussi est une idéologie, et l’idéologie dominante (et donc meurtrière selon votre propre conception de l’idéologie). Dans votre réponse à mon article «Pas d’alternative à la politique de réformes? J’ai l’impression de rêver tout debout!», vous détailliez comme moi votre parcours et mentionniez la révolution de 1905 en Russie à propos de votre grand-père avocat, «tué d’une balle dans le ventre dans les rues d’Odessa en 1905 (cela rappelle quelque chose à ceux qui connaissent un peu l’Histoire?)», et la Seconde Guerre mondiale à propos de votre père, «assassiné par les Nazis en 44.» Un de mes amis fut l’intime d’un révolutionnaire juif qui avait participé à la révolution de 1905 (il faisait partie du premier soviet qui a été créé en Russie en janvier 1905 à Saint-Pétersbourg). Ce Juif révolutionnaire échappa à la mort en étant expulsé de l’Union soviétique par les Bolcheviks à la fin de la révolution de 1917 à laquelle il participa aussi en tant que responsable de la section Culture et éducation de la Makhnovtchina. Mon ami, insoumis et entré dans la clandestinité en 1939, combattit avec ce Juif les nazis à sa manière (il était non-violent) en fabriquant de fausses cartes d’identité (plus d’un millier selon le rapport de police), sauvant ainsi de nombreux Juifs. L’Histoire avec un grand H, je crois la connaître aussi bien (ou aussi mal) que vous. En 1905, les révolutionnaires ne furent pas les seuls à commettre des crimes et mettre sur le même plan comme vous le faites dans votre commentaire du 05/05/2019 de la «Charte des citoyens pour un changement de cap» de l’ECCAP la révolution de 1789, celle de 1917, le nazisme et le franquisme relève d’un amalgame qui laisse sans voix. L’Église catholique a toujours condamné la révolution, sans relâche et à haute voix. Le nazisme, elle l’a fait à voix si basse que nul ne l’a entendue. Quant au franquisme, elle en était le pilier. En 1789, certains des révolutionnaires les plus radicaux étaient des curés.[2] En 1917, vous ne retenez que les bolcheviks, qui n’ont pas simplement assassiné leurs opposants, mais se sont exterminés entre eux. Pour vous, c’est d’une simplicité «biblique» : les révolutions ne contiennent que des révolutionnaires qui sont rigoureusement d’accord entre eux, la pensée unique à l’état pur. Les révolutionnaires ne peuvent pas être d’opinions radicalement opposées. Proudhon=Bakounine=Marx=Lénine=Trotski=Staline=Mao=Pol Pot, etc. Maduro et Mélenchon, qui arrivent comme des cheveux sur la soupe (quel rapport avec Mr Lévy?), doivent être mis dans le même panier, je suppose. (Considérer des hommes politiques comme des «révolutionnaires», des anti-capitalistes -des «partageux» pour tout dire- m’a toujours fait rêver! Mélenchon distribuer ses biens! Pourquoi pas le pape clochard?) Toutes les pensées anti-capitalistes et tous les moyens de combattre le capitalisme sont les mêmes.[3] De toute façon, que les anti-capitalistes pensent pareil ou différemment, le résultat est le même. Leur grand péché, c’est le refus du capitalisme. Le capitalisme ou le chaos.[4]<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> [1] Voir votre réponse à mon article «Les croyants ne croient eux-mêmes en rien» (publié le 28/12/2017). Réponse à laquelle j’ai fait deux réponses détaillées, point par point. Vous les connaissez, vous, et vous ne m’avez jamais répondu personnellement en m’envoyant un mail. Les lecteurs du site, eux, les ignoreront toujours vu qu’elles n’ont pas été publiées.<br /> [2] Un curé chilien que j’ai connu à Gardanne au milieu des années 1970, exilé volontaire après la mort d’Allende, portait le couteau entre les dents. Il ne décolérait pas contre l’ex-président qui selon lui avait bien mérité son sort car il n’avait que deux choses à faire: donner la terre aux paysans et les usines aux ouvriers, et il conseillait à ses paroissiens dans ses prêches de ne pas voter. Il avait participé un week-end à un séminaire sur la mission. Conclusion des débats : la meilleure façon d’annoncer l’Évangile aujourd’hui est de ne plus employer le mot «Dieu».<br /> [3] De même, tous les catholiques pensent rigoureusement de même. Ce site en est la preuve.<br /> [4] Un article d’Agustín García Calvo paru en novembre 1978 dans El País («Re-ven-di-ca-tions») se terminait par ces mots : «Mais, mon vieux, où veux-tu aboutir? à l’anarchie? au chaos?/Ne t’étrangle pas, camarade. Un autre jour je te parlerai du chaos.» (Repris dans Qu’est ce que l’État ?, 1992, p. 58.) Fin de l’article qui suivit («Le chaos!») : «Pour l’instant, mon gars (et c’est à cela qu’il faut s’en tenir), le seul chaos que tu connaisses est celui où tu te trouves enfermé et absorbé chaque jour: un chaos certainement obtenu par voie d’organisation, et d’organisation de l’organisation, chaos des feux rouges et de signalisation, chaos des horaires et des changements d’horaires, chaos de l’économie, des hausses progressives de prix et de salaires, des inflations, des dévaluations et des sursauts de l’argent, chaos de la planification, des plans de construction des immeubles, des plans d’étude qui changent à une vitesse progressivement accélérée. Et chaque nouveau fonctionnaire qui, motivé par la meilleure bonne foi supposons , essaie avec de nouveaux plans, avec des imprimés et des formulaires nouveaux, de remédier aux défauts de l’organisation et de la perfectionner, de fait contribue à l’augmentation du chaos organisationnel. Voici, mon gars, au jour d’aujourd’hui, le chaos. Ce ne sera pas un océan de troubles et d’avalanches, mais de papiers, de chiffres, d’organismes, de sigles d’entreprises et de partis, de plans et de constitutions ; mais c’est pareil. C’est dans celui-ci que tu es en train de te noyer.» (Ibid., p. 62.)
D
« Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes ». Dans la lecture de cette très belle méditation, l'Esprit autorise sans doute de distraire un instant d'ironie, à la fois amère et provocante : pour les filles, deux millénaires n'ont pas suffi à faire entendre le message qui les inclut dans le don de prophétie, et dans toutes les facultés connexes qui font corps avec ce don et qui sont descendues avec lui dans les flammes de la Pentecôte sur l'indivision des disciples. <br /> Quel bonheur, dans un autre registre, de retrouver Maurice Clavel et sa pensée, dont on n'a pas oublié combien elle était "tout feu tout flamme" ! <br /> Et que la Pentecôte se concrétise d'abord dans le partage, qu'il est" juste et bon" de le rappeler ... Et encore davantage quand la citation des Actes anéantit par avance l'édulcoration de ce partage, si facilement réduit à un confortable et bénin "esprit de partage" dans le robinet d'eau tiède des commentaires bien pensants, timorés et réducteurs. En ce qu'elle signifie - on ne peut plus clairement - que ce qui est en cause est bien une réalité très matérielle, que nous qualifierions aujourd'hui d'économique et de sociale, et partant de politique, sourcée dans l'incandescence du spirituel : « Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun ».
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R
Voilà un commentaire très éclairant sur ce moment clé du Nouveau Testament.<br /> Si l'on songe aux "racines judéo-chrétiennes " de l'Europe, on peut imaginer que que ce...."entre tous, selon les besoins de chacun".... a pu inspirer un certain Karl Marx. Ce qui nous rappelle la nécessité de tirer des enseignements sans succomber à une lecture fondamentaliste des textes.<br /> En l'occurrence, éveiller en chacun d'entre nous davantage l'esprit de partage, plutôt qu'un hypothétique et irréaliste partage de tout entre tous.<br /> Si la nature humaine demeure, le monde évolue, change. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le faire remarquer : dans le monde actuel, un partage virtuel des richesses circulantes entre les huit milliards d'individus aboutirait à enrichir chacun peut-être de quelques dizaines de dollars, vite engloutis dans les besoins personnels immédiats. Que resterait-il de disponible pour entretenir, développer, investir, dans l'outil agricole, industriel,intellectuel, culturel, qui fait vivre et assure l'avenir de l'humanité ?....<br /> Robert Kaufmann
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