Laïcs dans le gouvernement de l’Église : Communauté ecclésiale et synodalité
Alphonse Borras, théologien canoniste, vient de publier un petit livre, Communion ecclésiale et synodalité (1), qui devrait intéresser tous ceux qui réfléchissent à la place des laïcs dans l’organisation de l’Église. C. Théobald, qui signe la préface, classe l’auteur parmi ceux « qui savent conjuguer leur compétence universitaire avec une mission dans leur Église locale, en l’occurrence comme curé de paroisse et même comme vicaire général du diocèse de Liège ». A. Borras articule ecclésiologie et Droit Canon, montrant comment ils réagissent l’un sur l’autre, sont indispensables l’un et l’autre pour sortir de l’encroûtement actuel qui, par habitude, paresse ou peur, prive l’Église de l’apport laïc et par là lui fait manquer sa mission.
Le livre est un recueil de cinq textes distincts dont le premier est une apologie des conseils pastoraux des paroisses, ce qui permet de bien poser les questions concrètes et devrait intéresser principalement les laïcs qui essayent d’avoir une action dans leur propre paroisse (2). Mais le livre dépasse largement cette problématique, c’est bien la place du laïcat dans l’Église dont il est question. Nous ne rapporterons pas les décisions canoniques sur lequel il s’appuie, ni les préconisations concrètes, nous nous intéressons dans ce qui suit à ce qui nous semble le fondement de la pensée de l’auteur.
L’Église est définie comme un regroupement de personnes, suite à un appel. En ce sens elle est différente d’une association, elle est une communauté hiérarchique, il faudra revenir sur ce dernier terme. Mais déjà il faut insister sur le fait que l’Église est un sujet, constituée de sujets qui sont porteurs de la Parole qui crée. Une organisation dont les membres ne seraient pas considérés comme des sujets devient dictatoriale, elle perd le droit d’être sujet elle-même. Les laïcs sont donc aussi (pas seulement les ministres) des sujets porteurs de la Parole. Le ministère apostolique, celui des ministres, les engage à édifier l’Église au service de tous. Cela les situe en position d’altérité tout en étant dans le corps. L’apostolicité est diachronique, se référant aux apôtres et à tous nos prédécesseurs, elle est synchronique, réalisant en chaque lieu le lien avec toutes les Églises locales. L’apostolicité de la foi repose sur celle des apôtres et de tous leurs successeurs ainsi que sur la foi de tous les chrétiens actuels, chacun dans son Église locale. Le corps sacerdotal doit être le garant de cette apostolicité de la foi. Par ailleurs il assure la présidence de la communauté hiérarchique, principalement en présidant l’Eucharistie qui construit chaque jour cette communauté.
Tous les baptisés sont coresponsables de l’Église (ils sont sujets responsables). Leur mission est de permettre à tout homme de répondre à son statut d’homme, donc d’humaniser l’humanité. Que tout homme puisse se tenir debout comme sujet devant Dieu, et donc d’abord devant les autres hommes. A. Borras écrit :« L’enjeu de nos délibérations en Église concerne notre humanité. L’Église n’a pas son but en elle-même. C’est l’humanité que Dieu veut rencontrer ».Le clergé a un devoir de justice : servir l’Église pour accomplir l’intégralité de sa mission. Les laïcs ont un devoir de charité, au nom de leur foi, ce qui les amène à s’impliquer dans tel ou tel lieu ou activité.
Ce couple clergé-laïcat, avec ses fonctions respectives, est inséparable. Les laïcs sont coresponsables des trois fonctions traditionnelles que sont la Parole, la sanctification et la charité (elle inclut le gouvernement – au sens large – qui permet de la réaliser). Ces fonctions sont à la charge (ou aux soins) de tous. Il existe plusieurs niveaux de responsabilité, lorsqu’il s’agit de prendre en charge un domaine (aumônerie de prison par exemple ou toute charge ecclésiale) les laïcs sont appelés et nommés par l’évêque (ou le curé). L’évêque ou le curé sont en effet responsables du tout, cela justifie cet appel et cette désignation. Mais ils ne sont pas chargés de tout ! L’évêque a une place éminente : il a charge d’un lieu, son diocèse, l’Église locale, qui est une Église plénière, universelle, catholique (ces termes ne sont pas réservés à une question de géographie), qui a pour mission les trois fonctions évoquées plus haut. Par ailleurs il a la charge du lien avec les autres Églises locales à travers la communion avec les autres évêques et qui s’exprime clairement à travers les synodes autour du pape.
Pour gouverner l’Église sont prévus les synodes autour du pape (l’auteur y consacre son dernier chapitre), mais aussi les synodes diocésains et les Conseils pastoraux de paroisse qui ont quasiment disparu dès leur constitution. C’est en réfléchissant sur ces trois entités que l’auteur développe les questions de gouvernement et la place du laïcat, en rentrant dans les détails, ce qui permet de voir l’utilité du Droit Canon et la façon du clergé de s’en détourner ! Traditionnellement, dans toute assemblée, on distingue les voix consultatives et les voix délibératives. Le Droit Canon a conservé cette distinction, ce que l’auteur déplore. Cela a permis à la hiérarchie d’exercer tout pouvoir, tout le pouvoir, acceptant du bout des lèvres de consulter des laïcs. L’ecclésiologie et le Droit Canon sont très clairs, les décisions de gouvernement dans l’Église sont prises après délibération et les laïcs ont toute leur place dans ces instances de délibération, pour ne pas dire délibératives, cequi en langage ordinaire éliminerait les voix consultatives. Les décisions sont, de droit, élaborées en commun avec tous les membres de l’Église (bien sûr en usant de délégations). Le discernement est une démarche ecclésiale qui nécessite le concours de tous.
À la différence d’une association qui termine la délibération par un vote de ceux qui ont voix délibérative, dans l’Église la décision finale est prise par le responsable clérical (curé, évêque, pape), mais l’élaboration de la décision a été faite par tous. On trouve là le sens du terme« communauté hiérarchique ». Faute de cette élaboration, la décision ne peut être prise et elle doit être liée à l’élaboration, tout en laissant la porte ouverte à un refus de suivre l’assemblée dans des cas qui doivent rester exceptionnels. Rappelons que, lors d’un concile, les décisions étaient votées par les évêques (ce qui permettait de préciser ce qui avait été élaboré en commun) mais devaient être acceptées par le pape, et en bonne théologie elles ne peuvent avoir force de loi que si elles sont acceptées par le peuple chrétien, ce qu’on appelle la réception du concile. Le sensus fideiest une notion théologique essentielle. Ce devoir de délibération des laïcs est un droit et une obligation pour les gouvernants de l’Église. En le refusant, l’Église institutionnelle manque à sa mission, se coupant de la Parole qui est portée autant par les laïcs que par le clergé (qui appartient au même corps, rappelons-le). Disons-le encore une fois, l’évêque ou le curé sont responsables du tout, mais non de tout !
Le dernier chapitre du livre est un commentaire de la constitutionEpiscopalis communio du 15 septembre 2018. Elle nous concerne fortement bien qu’elle régisse le fonctionnement des synodes mondiaux. En effet elle montre nettement à quel point le pape actuel (à la suite de ses prédécesseurs, depuis Paul VI, de nombreux décrets l’attestent) prend en compte l’ensemble de tous les chrétiens pour gouverner l’Église. Il ne s’agit plus seulement de réunir des évêques pour conseiller le pape, mais de construire une véritable communion des évêques avec le pape, en relation avec la sollicitude pour et avec toutes les Églises, en insistant sur la catholicité des Églises locales. Le synode« est le reflet de la communion qu’est l’Église en favorisant l’expression de la catholicité ecclésiale ». Le synode doit être la voix de tout le peuple de Dieu de sorte qu’il apparaisse comme une expression éloquente de la synodalité en tant qu’elle est « une dimension constitutive de l’Église » (point 6b de la constitution). Le pape insiste sur les trois étapes du « chemin de synodalité » que sont l’écoute du peuple de Dieu, celle des évêques et enfin celle de l’évêque de Rome. Ces trois termes sont intrinsèquement liés, on ne peut considérer l’un sans les deux autres. Ainsi le synode des évêques devient le modèle des synodes diocésains et des assemblées paroissiales.
Il est temps que les instances diocésaines et paroissiales (du clergé ou laïques) se prennent en mains pour être fidèles à la mission de l’Église. Les règles canoniques le rendent obligatoire et peuvent encadrer, si on veut bien ne pas les dénaturer (3). Il faut se parler et s’écouter. Le récit des croyants dans lequel se déploie la Parole de Dieu est essentiel, il nous faut apprendre à l’écouter. Et grâce à cette écoute réciproque les laïcs, tout comme le clergé, peuvent être à même de délibérer valablement de ce qui permet à l’Église de répondre à sa mission : enseignement, sanctification et charité. La lecture de ce petit livre devrait nous y inciter et nous proposer des clés pour le mettre en pratique.
Marc Durand
1 - Alphonse Borras, Communion ecclésiale et synodalité, éditions CLD, Paris, 2018.
2 - L’auteur s’intéresse, pour ce qui est des applications concrètes, au cas des paroisses classiques, évidemment on peut tout transposer aux autres regroupements de chrétiens qui tendent de plus en plus à supplanter les paroisses territoriales.
3 – Le fonctionnement du synode sur la famille a donné un exemple des intentions du pape. À cette occasion a été organisée à Aix autour d’un prêtre « spécialiste de la famille » (???) une assemblée de laïcs volontaires qui s’est réunie plusieurs fois, qui a travaillé dans une grande liberté, pour faire des propositions ou émettre des considérations. Le prêtre président laissait tout dire et avait même conseillé aux membres de faire des ajouts écrits, charge à lui de les répercuter par mail sur tous les participants. Le dernier jour l’assemblée s’est réunie par petits groupes qui, sur des questions différentes, ont rédigé des vœux de synthèse. C’était tout-à-fait dans l’esprit synodal. Mais jamais n’a été répercutée une contribution écrite, que ce soit par mail comme promis ou par oral. Et pendant que chaque groupe rédigeait des vœux de synthèse sur des sujets particuliers, le « spécialiste de la famille » s’était retiré pour parfaire un texte qu’il a lu comme synthèse finale qu’il communiquerait aux autorités. On est loin du compte !!!