Résurrection : qui ressuscite ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Tous nous sommes tenus par le désir d’une vie véritable, par la volonté d’être libérés de nos chaînes, des spirales mortifères qui nous pèsent. La résurrection nous concerne tous. Ressusciter, c’est revivre, avancer de nouveau, voir un avenir possible. S’ils n’avaient pas été tendus par ces désirs, cette volonté de vivre, les hommes n’auraient pas pu témoigner voici 2000 ans de l’expérience spirituelle qui les a jetés sur les routes. Les premiers témoins, comme tous leurs successeurs, ont proclamé la résurrection du Christ avec les outils intellectuels et culturels qu’ils avaient à disposition. Cela a donné les évangiles, précédés du témoignage de Paul de Tarse qui a vécu cette résurrection comme la sienne, se renouvelant lui-même, vivant un bouleversement total de sa vie dont un signe est le changement de son nom, passant de Saul – nom d’un roi – à Paul, qui signifie « le négligeable » (1). Cela a donné les écrits et témoignages qui ont parcouru vingt siècles, y compris la théologie spéculative qui a essayé de cerner ce que cela pouvait signifier. Il nous reste à tenter de voir ce que cela vaut pour nous aujourd’hui.

 

Encore une fois, le phénomène premier sans lequel aucun de ces témoignages n’aurait de sens, est le désir de tout homme, chevillé au corps, de vivre pleinement sa vie. Ce désir est un désir partagé. L’homme est réponse au désir de l’autre, la référence à l’autre est au cœur de son être même. L’impératif moral développé par Kant dans la « Raison pratique » nécessite a priori que l’homme s’éprouve, dans sa relation avec les autres, épris de justice. Le désir de justice, qui précède l’amour, est ancré en l’homme et le met en relation. La justice ne peut être individuelle, elle est fondamentalement une valeur partagée. L’homme aspire à une vie renouvelée, avec les autres, dans la justice. Voilà un ressort essentiel de nos vies, à la base de notre désir constant de renouvellement, de résurrection.

 

Les évangélistes ont témoigné d’un homme, Jésus, qui a manifesté au plus haut point son désir de libération, dans toutes les relations qu’il avait avec ses contemporains, spécialement les plus éprouvés, les plus délaissés, abandonnés, proscrits. Chacune de ses guérisons était d’abord un appel à la vie. Cet homme a témoigné qu’il pouvait agir ainsi parce qu’il se savait aimé. C’est parce qu’il se sait aimé qu’un homme trouve la force de se tourner vers l’autre pour lui permettre de ressusciter. Si on se sait aimé, profondément, tel qu’on est et non tel qu’on voudrait être vu, il n’y a plus d’échec qui compte, tout est transformé. Le seul désespoir qui tue véritablement l’homme, est de douter de cet amour reçu qui nous tient en vie. Alors l’échec est irrémédiable (2).

 

Là se séparent les croyants des autres. Jésus a eu l’intuition, la certitude, qu’il était aimé par un Autre qu’il appelle son Père, amour qui transcende tous les amours humains. Qui est cet Autre, nous n’en savons rien, nous n’y avons accès qu’à travers le témoignage de Jésus raconté par ses disciples puis relayé par ceux qui se sont succédé à travers les siècles. L’homme incroyant n’accepte pas ce « Tu » transcendant, cela ne l’empêche pas de se savoir aimé par des humains ou valorisé, voire transcendé, par son appartenance à la Nature, cette mère nourricière, et de bâtir sa vie grâce à cet amour reçu. Au nom de cet amour, Jésus a donné sa vie pour les hommes, il n’a pas reculé devant la conséquence incontournable de son action au service des autres. Sa souffrance a été son doute, pendant son agonie et sur la croix : avait-il été abandonné par cet Amour sur lequel il avait tout fondé ?

 

Le témoignage de la Résurrection permet de passer de l’utopie (nécessaire de toutes façons pour désengluer nos vies, pour regarder plus loin) qui nous permet de croire à nos résurrections et de poursuivre notre route, à la foi en cet Amour. Jésus ressuscité, pour le croyant, est le garant que c’est dans sa propre vie que l’amour le tient éveillé et le ressuscite à tout instant. Le témoignage des évangélistes est l’annonce que le souffrant du Vendredi Saint est passé au-delà de l’échec de sa mission, qu’il n’a pas été abandonné, que l’amour a été plus fort que la mort. C’est l’assurance que nos vies valent, que ce que nous faisons et construisons ne disparaît pas dans l’indéfini, dans le shéol indistinct. Nos peines, nos souffrances, nos échecs ne passent pas par profits et pertes, mais avec nos joies, nos amours, nos succès ils sont appelés à donner vie à l’humanité.

 

Le témoignage de la Résurrection nous dit que l’homme n’est pas impossible, que le sens l’emporte sur le non-sens, que la raison instrumentale n’est pas le fin du fin de nos vies, qu’il y a un surplus de sens, appelé l’espérance. Il donne corps au discours de Jésus avant sa mort, aux chapitres 13 à 17 de Jean. Ces chapitres, composés 60 ans après les faits, nous disent la pensée profonde de Jésus, sa relation à son Père et la relation dans laquelle il veut nous entraîner. Le témoignage de la résurrection en fait une parole performative, efficace, dépassant le simple discours. Elle fonde notre espérance.

 

Cette espérance n’est pas une croyance vague dans une éternité meilleure. Notre espérance est actuelle, immédiate, urgente. L’eschatologie chrétienne donne corps à cette espérance, mais elle n’est pas une projection dans l’avenir lointain, la fin du monde. C’est une espérance qui nous implique tous, sujets qui agissons dans le monde pour le recréer à chaque instant, pour opérer ce retournement (certains diront « révolution ») qui fait éclater nos vies tranquilles, ainsi que les règles lénifiantes d’une société qui attendrait patiemment sa fin en tolérant tous les ratés de sa marche en avant, tous les rebuts qu’elle ne veut pas voir, tous les morts qu’elle rejette dans l’oubli. Pour les chrétiens, croire au Christ ressuscité, c’est s’engager à être le Christ qui donne vie parmi les hommes. L’Esprit de Jésus est vivant. L’Église, réunion des chrétiens vivant de cet Esprit, est son Corps ressuscité. L’Amour transcendant auquel les chrétiens donnent foi n’est pas cette « transcendance dans l’immanence » que concèdent certains philosophes, faisant de Dieu un vieux nom mythologique leur permettant une synthèse ouverte sur une vie bien tranquille et apaisée. L’espérance est l’attente urgente de notre résurrection, de notre retournement, elle est l’attente du Christ qui veut vivre en nous tous, c’est notre mise en marche au service de tous les hommes. C’est Teilhard qui écrivait : « Nous sommes toujours en train d’affirmer que nous attendons le maître. Mais si nous étions vraiment honnêtes, nous devrions reconnaître que nous n’attendons plus rien ».Fêter la Résurrection devrait être l’occasion de contredire cette pensée malheureusement bien d’actualité.

 

Pour le chrétien, au contraire de ce qui lui a été souvent reproché, ce n’est pas l’homme qui se vide de sa propre substance humaine pour disparaître en Dieu, c’est Dieu qui meurt pour que l’homme soit. Le Dieu de la Loi et de l’Alliance, en s’anéantissant, annonce le nouvel homme, libéré de la Loi. La Résurrection l’atteste.

 

La fête de Pâques est donc le sommet de ce que le chrétien peut célébrer, elle peut être aussi pour tous les hommes la fête de ce qui les anime, le désir de vivre pleinement.

 

Marc Durand

 

 

1- Le Christ a été enseveli trois jours, Paul passe trois jours sans voir, ni manger, ni boire. Il a obéi à l’ordre « lève-toi », le même terme que celui employé pour la Résurrection (anasteti).

 

2 – Ne serait-ce pas le « péché contre l’esprit » que Jésus dit impardonnable ? Si je refuse d’être aimé, si je nie l’amour que l’autre me porte, je coupe la relation, je me mets hors de tout pardon. Ce sentiment d’abandon total a fondu sur Jésus, d’abord à Gethsémani, puis sur la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».

Publié dans Réflexions en chemin

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