Notre-Dame de Paris
« L’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père... l’heure arrive – déjà même elle est là ! – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jn 4, 21,23).
La catastrophe de l’incendie de Notre-Dame ne se résume pas à la perte d’un édifice qui serait sacré parce que lieu de prière. Cette catastrophe est la perte d’un témoignage, d’un récit, au-delà de celle d’un joyau d’art appartenant à toute l’humanité.
L’appel à la foi nous est fait depuis toujours par des récits (et non par des spéculations, si intelligentes soient-elles), ceux de l’Ancien Testament (création, déluge, toute l’histoire du peuple hébreu) puis vie de Jésus, Actes des Apôtres dans le Nouveau Testament. Il ne s’agit pas d’Histoire, mais de récits, mythiques pour certains, histoire embellie ou pas, reconstruite toujours. Ce sont ces récits qui peuvent nous amener à la foi dans le Père à la suite de Jésus. Avant d’être une communauté d’argumentation, le christianisme est une communauté du récit. Le récit est une langue qui brise les systèmes. Rappelons Pascal qui distinguait le « Dieu des philosophes » du « Dieu raconté », celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il y a encore tous les récits et témoignages au cours des siècles qui nous ont transmis la foi de nos pères. Héritiers de toute cette histoire, les hommes d’aujourd’hui, comme ceux d’avant, peuvent décider de suivre le Christ (ce sont les « croyants ») ou de le refuser tout en gardant dans leurs gènes cette histoire des ancêtres qui nous appartient à tous. Nos chemins peuvent diverger, mais tous, croyants ou non, nous sommes héritiers du même patrimoine sur lequel nous construisons le monde présent et à venir.
Les cathédrales du Moyen Âge, et spécialement celle de Paris, racontent ces récits, les inscrivent dans la pierre pour qu’ils passent à la postérité. Ces cathédrales sont notre bible, ce qui les rend si précieuses.
Mais il y a plus. La construction de Notre-Dame est en elle-même un récit de foi qui appelle la nôtre (foi au Christ, foi en l’homme). Sur plusieurs générations, combien d’hommes et de femmes ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour écrire ce récit qui fondait leur foi ! Ce n’était pas une écriture banale, mais la plus travaillée, la plus créative, celle qui exigeait de leur part un engagement total. Ils voulaient construire le monument le plus beau qui exprimerait le sens de leur vie, de celle du peuple présent et à venir en rappelant dans les œuvres celle de ceux qui précédaient. Ce récit s’adresse à toute l’humanité. Leur foi n’était pas séparée de leur vie, leur foi en Dieu et leur foi en l’homme ne faisaient qu’un. Pour travailler à une telle œuvre, pour la lancer en sachant que cela prendrait des générations, il fallait croire en l’humanité, l’art manifestait la grandeur des hommes qui les transcendait. Aussi cette cathédrale ne pouvait être la propriété privée des chrétiens, elle est propriété universelle, elle concerne tous les hommes.
Notre-Dame ne rappelle pas seulement le récit de sa construction. Depuis 800 ans elle a été rénovée plusieurs fois, elle a été témoin de notre histoire, la grande et celle de chacun, celle de tous ceux qui l’ont visitée, ou l’ont connue par d’autres moyens. Le sacre de Napoléon ou le Te Deum de 1944 ont été des moments marquants, de même que certaines célébrations de funérailles de grands hommes. Mais n’oublions pas tous les petits qui y ont prié, rappelons le « pilier de Notre Dame » de Claudel à une époque où il n’était pas encore un « grand homme », n’oublions pas tous ceux qui n’avaient pas besoin d’être croyants pour y trouver une élévation de leur esprit à l’occasion d’une visite. Notre-Dame est le récit de tous ces passages, de tous ces témoignages qui ont parcouru huit siècles.
Ce récit, fondateur, est parti en fumée. Cette catastrophe nous atteint tous. Une souscription est ouverte pour reconstruire, c’est bien. Mais c’est le souvenir du récit que nous raconte ce joyau qu’il faut faire revivre.
G & S