Ne nous voilons pas la face

Publié le par Garrigues et Sentiers

Voilà qu’on nous rebat encore les oreilles avec « le voile », problème non seulement socio-religieux, mais aussi politique, récurrent et jamais résolu, en l’occurrence à propos du « hijab de course », comme on l’avait fait avec le « burqini de bain ». Sans entrer dans les questions théologiques, juridiques ou morales liées à ce débat-chiffon, et sur lesquelles les avis « autorisés » sont partagés, même dans les milieux musulmans, quelques remarques naïves « en passant ».

 

1° Face au risque d’une contagion du port d’un voile sombre plus ou moins intégral, comme la burqa, qui met mal à l’aise une partie de la population non-musulmane du pays (1), ne pourrait-on négocier d’une manière ferme et définitive l’acceptation réciproque d’un foulard – léger mais suffisant pour satisfaire les croyants sincères (2) en matière de pilosité crânienne –, trouver une solution qui éviterait ces polémiques stériles ? Elles ne font aucun bien au rêve du « vivre ensemble » (à moins que ce ne soit qu’un rêve !). Ce serait une manière de concilier la couverture de la tête des femmes désirée par certains (certaines ?) (3), et le respect de notre conception égalitaire de la femme, qui ne la sépare pas, au moins en principe, du corps social français.

 

2° Pendant longtemps, majoritairement en ce pays, les femmes musulmanes n’ont pas porté de voile. Étaient-elles de mauvaises musulmanes ? Qu’est-ce qui a fait que, tout d’un coup, toutes affaires cessantes, il faut les ensevelir, enfants incluses, sous un « voile » plus ou moins opaque d’origine moyen-orientale ? Les théologiens ne sont pas unanimes.

 

3° Au-delà des questions de principes, forcément contradictoires (« tradition » contre loi républicaine), on peut invoquer le respect dû aux lois et coutumes du pays laïc dans lequel vivent volontairement ces personnes. Une partie de la population de notre pays semble plus ou moins indifférente aux fantaisies vestimentaires de nos concitoyens musulmans. Mais une partie, plus importante, rejette le port du voile comme manifestant un désir de mettre à part, de « discriminer » les sexes, en fait d’auto-stigmatiser (4) les femmes. Ce fait, que l’on pourrait qualifier d’esthétique ou de moral, est largement exploité par les islamistes – pour souligner qu’ils sont là et actifs, cherchant à imposer leur vision du monde et, si possible, le plus possible de principes issus de la charia – et par les « islamophobes » profitant d’un geste ressenti comme «négatif», parce qu’ostentatoire, pour ne pas dire agressif, de la présence musulmane, pour contester celle-ci. 

 

4° Une dernière question, simple mais plus essentielle qu’il n’y paraît : quelle serait la réaction populaire dans une rue d’un pays musulman, disons par exemple Iran ou Arabie saoudite, si une occidentale s’y promenait en minijupe ? Ce serait considéré non comme une simple faute de goût, mais comme une véritable provocation, dont les conséquences dépasseraient la simple désapprobation et seraient même périlleuses pour l’intéressée, bien au-delà d’une banale contravention encourue sous nos cieux. Si c’est là-bas une manifestation de sensibilité collective, pourquoi n’existerait-elle pas sous nos climats ? 

 

Atténuons au maximum les occasions de conflit, donc parlons du voile autrement que dans la polémique permanente, et surtout une fois pour toutes.

 

Jean-Baptiste Désert

 

 

(1) Faut-il voir dans ce rejet des séquelles du trauma qu’avait été pour beaucoup de Français la série télévisée « Belphégor », qui a été vue, en 1965, par au moins 20 % de la population et en a gardé une célébrité mythique ?

 

(2) J’entends par « croyant sincère » celui ou celle qui pose des actes religieux par conviction religieuse réelle et profonde, fût-elle erronée, et non par opportunisme politique ou provocation, pour affirmer qu’il est différent du reste de la population d’un pays qu’il a pourtant choisi de venir habiter ou de continuer à habiter.

 

(3) Et pourquoi pas la tête des hommes pour éviter la concupiscence féminine ? Et oui, ça peut exister !

 

(4) « Stigmatiser » : manière d’imposer à quelqu’un une marque distinctive dévalorisante, voire péjorative, par exemple l’étoile jaune pour les Juifs sous la domination nazie.

Publié dans Réflexions en chemin

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V
Lorsque vous écrivez: "Pendant longtemps, majoritairement en ce pays, les femmes musulmanes n’ont pas porté de voile. Étaient-elles de mauvaises musulmanes?", j’aimerais que vous précisiez de quelles femmes vous parlez. Êtes-vous sûr de ne pas faire l’amalgame entre femmes dites "d’origine musulmane" et musulmanes, selon cette habitude pas innocente du tout qui consiste aujourd’hui à mentionner l’origine religieuse d’une personne et à suggérer ainsi une identité de la personne avec cette origine? Je me demande si dans les années 70 et 80 en France les jeunes filles arabes se posaient seulement la question de savoir si elles étaient musulmanes ou non. Elles ne vivaient pas dans ce monde-là, de même que les Français d’aujourd’hui ne vivent plus dans le monde catholique. La question de l’" identité" musulmane n’a commencé à mon avis à se poser en France qu’une décennie après la chute du shah d’Iran. Les jeunes filles arabes se voient maintenant sommées d’endosser une identité religieuse de tous côtés. Alors qu’en réalité la religion ne les concerne pas (en fait la "question religieuse" ne concerne personne), que leur vécu y est étranger, tout est fait pour leur faire croire que non seulement cette question existe mais qu’elle est primordiale. Cette sommation à une identité purement fictive est le lot de tout un chacun. Dès que l’enfant paraît, si la famille est religieuse, il est formaté. La seule marge de manœuvre dont il disposera plus tard dépend du type de société dans lequel il vivra. C’est pourquoi la laïcité doit être défendue bec et ongles (sans se faire d’illusion: je suis le premier à ne pas douter qu’elle ne sera jamais vraiment appliquée). Il ne s’agit pas de parler du voile "autrement", il s’agit de créer un contexte où la question ne se posera même pas (et donc la question de la laïcité non plus). Nul aujourd’hui ne parle de Jupiter.<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> P.-S. Tout autre sujet. L’étoile jaune est le dernier avatar de la rouelle imposée aux juifs par l’Église catholique, elle-même une reprise de marques distinctives appliquées aux dhimmis par l’islam. Tantum religio potuit suadere malorum!
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V
Dans la contribution de paroissiens catholiques d’Aix au "grand débat national" publiée le 4 mars 2019 sur ce site, on lit : "Que la laïcité, telle que contenue dans la loi de 1905, continue à protéger la paix civile". Or, à mon avis, la question du voile ne se pose que parce que la laïcité n’existe pas, sinon sur le papier.<br /> <br /> Dans son livre Le Devoir de morale. Le rôle de l’Église catholique dans l’Holocauste et son devoir non rempli de repentance (2003 ; éd. orig. 2002), la critique de fond de Goldhagen était que "l’Église, source d’une longue histoire de persécution des Juifs, ne traite pas le judaïsme et les Juifs avec le respect qui leur est dû et considère qu’ils doivent renoncer à leur identité et se convertir" (p. 320-321). Je lui écrivis : "Une Église prétend détenir son autorité de Dieu. Elle ne professe pas une opinion parmi d’autres, une doctrine susceptible d’être discutée, mais une doctrine révélée. Cette doctrine est vraie par définition. Toute autre doctrine est fausse et ne peut être mise sur un pied d’égalité avec elle par principe. L’Église n’est pas détentrice de n’importe quelle vérité, mais d’une vérité morale dont dépend le salut de l’homme. Elle a donc le devoir d’être évangélisatrice et missionnaire. Elle doit convertir. Elle doit convertir tout le monde. Elle doit donc convertir aussi les juifs (et l’Église chrétienne doit même, dès les origines, les convertir en premier). Si elle manque de respect envers les juifs en cherchant à les convertir, elle manque de respect à tous ceux qu’elle cherche à convertir. Si elle manque de respect en cherchant à convertir qui que ce soit, il faut interdire tout prosélytisme. Il faut surtout interdire immédiatement tout enseignement religieux inculqué aux êtres sans défense, c’est-à-dire aux enfants. En bref, il faut impérativement interdire à quelque croyance que ce soit tout droit à se présenter comme autre chose qu’une opinion privée et sanctionner impitoyablement tout manquement à cette interdiction, l’infraction la plus grave en l’occurrence étant bien sûr celle des parents croyants de toute confession soumettant leurs enfants qui n’en peuvent mais à une éducation religieuse. Autrement dit, il faut enfin appliquer réellement la laïcité."<br /> <br /> Les affaires de voile en France ont, évidemment, commencé (en 1989) avec des enfants et des adolescents. Le point de vue des théologiens, je m’en moque. Les enfants sont des enfants et non des croyants ou des athées, et ils n’ont à être élevés ni dans une religion ni dans un athéisme quels qu’ils soient. Que ce soit au nom de la liberté des cultes ou au nom de n’importe quelle autre liberté, au nom de la liberté tout court je n’ai que le droit "de les traiter et de les respecter comme des personnes alors qu’ils n’en sont pas encore (et que leur devenir-personne dépend précisément de moi, ce qui me crée vis-à-vis d’eux une responsabilité infinie" (Conche, "Christianisme et mal absolu", in Raison présente n° 7, 3e trim. 1968, p. 83). À qui fera-t-on croire qu’une fillette choisit volontairement de se voiler ou une adolescente de n’épouser qu’un musulman? Quel rapport avec le "respect" de la liberté de croyance?<br /> <br /> Armand Vulliet
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